Politique Le 26 octobre 2014

De Charles de Gaulle à François Hollande, l’art du rebrousse-poils

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De Charles de Gaulle à François Hollande, l’art du rebrousse-poils

Les présidents de la Vème République française.

C’est devenu une Lapalissade, un chef d’État est-il élu à gauche qu’il fait une politique de droite. Et réciproquement. Il bat la campagne pour la paix puis déclare la guerre. Et réciproquement. Ce mouvement à rebrousse-poils se vérifie un peu partout.

Sauf en Suisse, où, selon le mot du conseiller fédéral Willi Ritschard, si personne ne sait vraiment où est le pouvoir, chacun est persuadé qu’on ne saurait le trouver au gouvernement. Que l’électeur helvète actionne de l’eau froide ou chaude, c’est toujours un filet tiède qui s’échappe des urnes. Les surprises sont rares. Si, par hasard, un extrémiste bien clivant – un type comme Blocher, par exemple – se glisse parmi les sept nains de la Blanche-Neige fédérale, l’intrus en est éjecté comme un vulgaire Schtroumpf noir. On lui choisit comme remplaçant – prenons au hasard, Ueli Maurer – un compagnon de parti de même sinistre mentalité et de semblable démagogie, mais qui a l’avantage d’avoir le dynamisme d’une moule pendant la canicule.

À part le casus helveticus, les dirigeants des pays démocratiques usent du rebrousse-poils avec un art consommé. En Israël, c’est le belliciste Menahem Begin qui a signé la paix avec l’Égypte. Aux États-Unis, Obama a été élu pour retirer les troupes américaines du Moyen-Orient ; aujourd’hui il doit les réengager pour achever un job sans fin. Et l’on pourrait multiplier les exemples.

La Grande Zohra et les cocus de l’Histoire

C’est en France que le poil électoral est le plus malmené. Le général de Gaulle a été porté au pouvoir par l’armée, les Pieds-Noirs de l’Algérie française et la droite nationaliste pour vaincre les indépendantistes algériens et conserver le pays le plus important du Maghreb au sein de la France. On sait ce qu’il en est advenu. La Grande Zohra1 a fait tout le contraire. Quatre ans après la reconquête du pouvoir par le Général, l’Algérie était indépendante, ce qui a contraint les Pieds-Noirs, électeurs aussi gaullistes que cocufiés, à traverser la Méditerranée en catastrophe.

Georges Pompidou est mort trop tôt pour trahir qui que ce soit durant son mandat.

Quant à Giscard d’Estaing, le favori des culs-bénis, il a légalisé l’avortement. La Fille aînée de l’Eglise pratiquant l’IVG … Même dans leurs cauchemars les plus délirants, les grenouilles de bénitier n’avaient pu envisager pareil blasphème.

Mitterrand et la «bascule à Charlot»

Avec François Mitterrand, c’est autre chose. Il a tellement trahi ses camps successifs, passant de la droite nationale au programme commun avec les communistes, qu’il serait fastidieux de dresser la comptabilité de ses changements de veste. Avec ce paradoxe particulier: son nom restera lié à la suppression de la peine de mort; or, lorsqu’il était ministre de la Justice durant la Guerre d’Algérie, il a fait tourner la «bascule à Charlot2»  à un rythme effréné, cosignant même le 17 mars 1956, avec trois autres ministres, les lois 56-268 et 56-269, qui ont permis de condamner à mort – sans instruction préalable – les membres du FLN (indépendantistes algériens) pris les armes à la main. (Le Point, N° 1511 du 31 août 2001).

Sur un plan plus politique, Mitterrand sera celui qui, élu sur un programme à la limite du gauchisme, aura tenté de convertir les Français aux frénétiques bienfaits de l’économie de marché, qui est le mot poli pour dire «capitalisme».

Du Grand Matin Calme aux petits soirs agités

Jacques Chirac a été élu par la droite et le centre pour mener une série de réformes très ambitieuses destinées à rendre compétitif le capitalisme français. Mais pendant ses douze ans de règne, il s’est surtout efforcé de ne rien faire, ce qu’il a accompli avec une constance qui force l’admiration. On comprend mieux l’intérêt de Chirac pour la culture asiatique qui prône le non-agir. Contempler le bilan chiraquien relève de la méditation zen sur le vide.

Comme pour Mitterrand, énumérer les volte-face de Nicolas Sarkozy remplirait plusieurs tomes: un jour prenant les socialistes plus ou moins repentis genre KouchnerBessonBockel et Jouyet3 dans son gouvernement ; un autre, débordant le Front national sur sa droite extrême. Mais il a effectué ses zigzags avec une telle rapidité qu’il en est venu à décontenancer son électorat. Celui-ci l’a désarçonné comme l’aurait fait un cheval agacé par son cavalier trop agité.

L’État-Major n’aime pas le nez sale des trouffions

Avec François Hollande, le rebrousse-poil est devenu une pratique quotidienne. Il n’est pas un jour où l’actuel président paraît-il socialiste ne fait pas le contraire de ce qu’il a promis. Événement rare dans un parti de gouvernement, des élus de son parti et même d’anciens ministres, encore en charge récemment, dénoncent aujourd’hui le hollandisme en des termes d’une rare violence. Encore ministre de l’Éducation nationale il y a deux mois, Benoît Hamon (voir la vidéo ci-dessous) vient de déclarer que la politique menée par François Hollande – pour laquelle il a œuvré pendant plus de deux ans – «menace la République» et va provoquer «un immense désastre démocratique» , rien que ça ! Au Parti socialiste, ça sent le sapin et pas seulement parce que le ministre des Finances porte le nom de ce bois dont on fait les cercueils.

Au fond, Hollande ne fait que suivre les traces de ses prédécesseurs en menant la politique pour laquelle il n’a pas été élu. Ni plus ni moins. Alors, pourquoi suscite-t-il un rejet aussi massif, une impopularité aussi générale, qui dépasse même celle de la présidence Sarkozy?

Hasardons cette hypothèse. L’actuel président français n’a pas pris la mesure du changement profond qui est en train de transformer la société française. Naguère encore, elle se résignait avec fatalisme à ces promesses qui rendent les fous joyeux. De temps en temps, elle battait le pavé et grognait mais s’en tenait à ces manifestations quasi-hygiéniques de mauvaise humeur. On défilait sur les Grands Boulevard, la bouche pleine de kebab, lors de manifs où l’on se retrouvait entre copains, comme aux noces et enterrements en province.

Mais voilà, le peuple en a marre de marcher pour des prunes. Il voudrait être associé de plus près aux décisions qui le concernent. Une femme politique avait bien perçu cette mutation, à savoir Ségolène Royal qui a tenté de promouvoir la «démocratie participative» lors de sa campagne présidentielle de 2007. Mais l’appareil de son parti, le PS, a tout fait pour torpiller l’idée. Les généraux d’État-Major détestent que les simples trouffions mettent leur nez sale sur leurs belles cartes bien dessinées. Exit donc Ségo.

Ce désir de démocratie plus ou moins directe a toutefois pris de l’ampleur. En octobre 2009, les syndicats, mouvements associatifs et partis de gauche avaient organisé contre la privatisation de la poste, un référendum sans aucune portée juridique, puisque la France ignore ce type de scrutin.

Malgré tous les obstacles mis sur son chemin, cette consultation a attiré 2.123.717 personnes, selon Libération à l’époque. Le résultat – écrasante majorité contre la privatisation – ne signifiait pas grand-chose. En revanche, le succès de cette initiative – qui a convaincu plus de deux millions de Français à se déplacer lors d’une votation qui «comptait pour beurre» – aurait eu de quoi faire réfléchir le futur candidat François Hollande.

Mais le président socialiste reste ce qu’il est profondément, c’est-à-dire un énarque qui ne dispose pas du logiciel permettant d’associer le peuple à sa politique.

Dès lors, Hollande est incapable de trouver les mots justes pour expliquer ses réformes. Ce n’est même pas par mauvaise volonté, mais toute la formation (déformation?) qu’il a reçue le conforte dans cet esprit de caste qui a de la vie sociale, une vision pyramidale. C’est le sommet qui s’occupe de la base qui, elle, doit rester à sa place subalterne.

Or, la société vit désormais sous le règne de l’horizontalité, à l’image des réseaux sociaux. L’heure est aux échanges et non aux ordres du haut vers le bas. Les interventions via internet ont fait tomber de leur piédestal les faiseurs d’opinions de jadis. Désormais, n’importe quel citoyen peut commenter, en temps réel, un discours, un projet, une décision, et le faire savoir à un large public.

La démocratie autocratique telle que la France la pratique encore est morte. Tout le monde le sait, mais ceux qui en profitent encore ne veulent pas le savoir. Ils oublient qu’enfouir la tête dans le sable reste le plus sûr moyen de recevoir un coup de pied aux fesses.

 

Pour décou­vrir d’autres textes sous la plume de Jean-Noël Cué­nod, n’hésitez pas à lire son blogue et à vous abon­ner à sa « Niouze Létaire du Plouc » à l’adresse jean-noel.cuenod@orange.fr.


1 Surnom donné à de Gaulle par les Pieds-Noirs ; sobriquet d’abord affectueux, puis franchement injurieux.

2 Le Charlot en question n’est point de Gaulle et encore moins Charlie Chaplin, mais Charles-Henri Sanson, rejeton d’une célèbre dynastie de bourreaux français, qui a raccourci Louis XVI et 2999 autres suppliciés. A son époque, sa petite entreprise ne connaissait pas de morte saison.

3 Malgré une concurrence de très haut niveau, Le Plouc remet à Jean-Pierre Jouyet le Caméléon d’Honneur pour l’ensemble de ses œuvres. Serviteur de gauche à droite, puis de droite à gauche, il est aujourd’hui le bras droit (mais pas gauche) de François Hollande comme secrétaire général de l’Elysée.

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