« Autoportrait au masque » © Vioxymore
Il y a des choses qui nous échappent et qui nous angoissent. On peut apprendre une nouvelle de la bouche d’une personne qui n’était pas censée nous l’annoncer. On ne s’y attend pas et on aurait espéré que les choses se passent autrement. On ouvre toujours les yeux sur ce même monde, cette même routine et un jour, on nous annonce quelque chose et tout semble être une blague qui n’est pas vraiment drôle. Quelque chose nous échappe et nous traverse le corps sans donner d’explication. Il n’y en a sûrement pas.
Paraît-il…
On voudrait pourtant savoir. Savoir à tout prix et voir que ça est vrai. Le voir, puisque le croire, quand on l’apprend, n’est pas envisageable.
Ce monde est fascinant, parce qu’il est beau et il ne l’est pas à la fois. Le quotidien nous fait vivre des situations qui semblent issues d’un film tragicomique de série B, avec des décors en carton et de mauvais acteurs. On ne se rend jamais bien compte que ce qui se passe est bien réel. L’émotion entrave la perception objective du moment présent, de ce qui se passe vraiment. Ou alors, nos pensées les plus absurdes s’enflamment et envahissent notre tête de fumée – fumée d’incendie qui brouille le sentiment du moment présent, le sentiment que ce qui se passe est la réalité.
Ensuite, il reste le souvenir.
Le souvenir de ce moment réel.
Le souvenir en sfumato, placardé sur les parois du cerveau, de la même matière que les souvenirs des rêves, les souvenirs de ce qu’on a imaginé dans un livre, les souvenirs de ce qu’on a vu dans un film.
La réalité reste là, dans sa tête. On ne peut rien prouver mais on peut convaincre, décrire, se remémorer, lever les yeux au ciel ou les plisser sous l’effort de la réflexion. Mais on ne peut rien prouver, parce que les choses qui arrivent, les choses qui se passent sous nos yeux, à l’intérieur de soi, tout cet amas d’expériences sensorielles, ce n’est que ce qu’on vit, ce n’est que ce qu’on voit, à un certain moment – et quoi ? Plus de possibilité de retourner en arrière. La Pensine n’existe que dans Harry Potter. Remonter le temps serait prendre un trop grand risque de mettre en pratique son complexe d’Œdipe.
On ne peut que faire confiance à ce qu’on se souvient d’avoir ressenti. Les frissons. La voix. L’intensité du regard. Sa couleur. Quand les souvenirs sont en noir et blanc, il est déjà trop tard.
Les souvenirs à soi, c’est une chose ! Mais qu’en est-il des souvenirs de l’Humanité ? Ceux qui, à partir d’une certaine réalité, ont forcé les vainqueurs à écrire l’Histoire d’une main tremblante – peut-on leur faire confiance ? On n’y était pas. Il ne reste que des témoignages. Des pages et des pages écrites de souvenirs, ressassés, sans cesse. Mais on n’y était pas. Il nous reste ces pages. Ces manuscrits d’écrivains témoins du monde, des guerres et des renversements historiques, de tous ces traités signés sous des yeux ébranlés, de toutes ces promesses clamées pour la paix, de toutes ces conquêtes et ces récits – tous ces événements qui marquent l’Histoire, tournés au roman ou à la dérision.
Et si c’était une blague ? Et si on manipulait notre esprit pour y injecter de nouveaux souvenirs ? Des souvenirs qui seraient ceux d’une lecture d’un témoignage historique falsifié ?
Où est la réalité? Où est-elle? Peut-on la connaître, si on ne l’a pas vue/entendue/goûtée/sentie ? Si on ne s’en souvient pas ? Peut-on faire confiance à nos sens ? À ceux des autres ? À la plume de ces gens qui, sous les traits d’une prose magnifique, nous font regretter une époque perdue, révolue et nous donnent envie de refaire la révolution, refaire le monde ?
N’avez-vous jamais imaginé que tout cela n’était qu’un écran sur lequel était projetée une histoire – la nôtre ? N’avez-vous jamais songé que des êtres plus intelligents (des pieuvres, par exemple) pourraient être en train de nous épier ? De nous tester ? Ne pensez-vous pas que le fait que certaines choses se passent sans aucune raison de se passer pourraient être une faille de ce système mis en place par ces êtres (les pieuvres, par exemple) ? Que tout ne serait qu’une immense mise en scène, dont on ne serait que les vulgaires spectateurs bluffés ?
Mieux qu’un théâtre, le monde. Parce qu’au théâtre, on sait que c’est du faux. On s’en moque, parce que savoir que c’est faux permet d’y plonger sans risque. Le monde, on sait qu’il est vrai. Parfois on a de la peine à le croire. Mais on le sait, au fond, que tout est vrai.
Poser des mots sur ce genre de pensées abstraites, c’est comme s’avouer qu’on a des désirs sexuels pour une personne improbable : c’est le début d’une réalité qui se met en place. Et si ces ébauches de pensées sont vraies, on se sent mal, car c’est gênant. En effet, c’est gênant d’imaginer qu’on se fait berner chaque jour, que la pauvreté qu’on voit dans la rue ne sont que des acteurs payés plus qu’on ne le sera jamais.
Je me suis fait la réflexion, parce qu’au fond de moi vibre encore cette pauvre âme d’enfant.
Pourquoi les guerres existent ?
Pourquoi les gens sont méchants ?
…
Douce naïveté. Douce lucidité…
On dirait que c’est fait exprès. Les politiciens sont les acteurs : ils sont grassement payés pour dire ce que la foule veut entendre. Ils assurent qu’ils changeront les choses – mais les choses ne changent jamais. Que dis-je ! Les choses évoluent. Mais la balance reste la même. La balance constante qui fait basculer le monde dans une oscillation permanente.
L’eau scia ? Scions ! La branche sur laquelle on est assis. Pour tomber dans le panneau parce que c’est ce qu’on nous a demandé. À la manière d’un chef d’orchestre, ce sont les pieuvres qui battent la mesure de la danse des moutons blancs et noirs que nous sommes. Blanc. Noir. Noir. Blanc. Le bas lent se ment.
Aussi assis, on… observe ce qui se passe, impuissants. On croit qu’on pourra devenir à notre tour les maîtres du monde. Or, seuls les plus bêtes, bêtement intelligents, seront élus par les pieuvres, pour sceller le pacte du silence et faire partie du jeu. Un casting dans le public. Sans que personne ne s’en rende compte. Jamais. Après, ils deviennent fous. Parce que la pression du secret est trop forte.
Oscillation. Balancement. Tout, dans ce monde, est fait pour aller et venir. Sans arrêt. Dans un sens. Et puis dans un autre. Comme une immense corde qu’on tire continuellement dans les deux sens. Jusqu’à ce qu’elle se brise. Mais elle ne se brisera jamais. C’est sur cette corde tendue qu’on a créé le monde. Un monde bancal, sans arrêt en recherche d’équilibre, sans jamais le trouver. Toujours entre ici et ailleurs. Seuls les équilibristes expérimentés s’en sortent. Parce qu’ils ont compris qu’on ne parvient jamais à s’asseoir à l’abri, en sécurité. La chute libre peut être n’importe quand, n’importe où. C’est un faux pas, la chute. Et la chute, c’est le basculement, après le balancement. L’oscillation qui lâche prise. La corde grise qui devient noire ou blanche. Et choisir entre les deux, c’est l’anéantissement.
Tout, dans ce monde, est fait pour aller et venir. Les gens qui s’en vont finissent par revenir. Les gens qui refusent finissent par s’y faire. Les gens qui crient finissent par se taire. Les gens qui rient finissent par pleurer. Les gens qui sortent finissent par rentrer. Les gens qui espèrent finissent par comprendre. Les gens qui réfléchissent finissent par apprendre. Les gens qui cherchent finissent par cesser. Les gens qui trouvent finissent par céder.
Et l’origine de l’univers, l’origine de l’humanité, l’origine de chaque être est une mise au monde. L’entrée dans le monde par la sortie. La sortie d’où, auparavant, des cellules sont entrées pour se répandre. Et procréer.
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