International Le 15 juin 2013

Interview d’Edwin Canil, avocat travaillant pour la défense des droits humains au Guatemala

0
0
Interview d’Edwin Canil, avocat travaillant pour la défense des droits humains au Guatemala

© Yasna Mimbela

Au mois d’août dernier, j’ai effectué une interview avec Edwin Canil dans le cadre de mon mandat d’accompagnatrice internationale au Guatemala pour Peace Watch Switzerland (PWS). L’accompagnement international est perçu et utilisé comme un outil de promotion pour la paix. Notre mission peut se résumer à la phrase suivante : voir et être vu. En effet, notre but est d’offrir une protection à des personnes, des organisations ou des communautés menacées qui en ont fait la demande. C’est donc par une présence internationale (ACOGUATE, le partenaire sur place, est composé de 11 comités étrangers dont PWS) que nous mettons en place une stratégie de dissuasion afin d’empêcher ou de diminuer les trop nombreuses violations des droits humains. Mais c’est aussi témoigner, rapporter ces violations en montrant par ce biais que la communauté internationale a un œil attentif sur ce qui se passe au Guatemala. Enfin, une fois de retour dans nos pays, c’est un travail d’advocacy que nous entreprenons tout en essayant de sensibiliser les personnes sur la situation actuelle.

PWS travaille également de manière similaire en Colombie, Chiapas (Mexique), Honduras et Palestine (pour plus d’informations, voir le site www.peacewatch.ch).

Edwin Canil, avocat du CALDH (Centro para la Acción Legal en Derechos Humanos), est le dernier témoin du massacre de Santa María Tzeja (village du département de l’Ixcán). Il est également membre de l’AJR (Associación para la Justicia y Reconciliación). Durant mon mandat, j’ai été amenée à accompagner la famille d’Edwin.


PWS : Edwin Canil, pouvez-vous nous expliquer brièvement votre parcours et votre travail ?

Edwin Canil : Je m’appelle Edwin Canil, je viens de Santa María Tzeja, un village de l’Ixcán. Je travaille pour le CALDH depuis sa fondation en 2000, lorsque la première plainte pour génocide a été déposée. Je suis également membre de l’AJR. Je connais de très près ce qui s’est passé dans les villages durant la guerre civile. J’avais 6 ans lorsque les soldats sont arrivés pour saccager notre communauté. Nous avons alors dû fuir dans les montagnes pour nous cacher. Je suis resté 7 mois dans les montagnes jusqu’à ce que la situation alimentaire devienne si précaire que mon père a alors pris la décision de partir se réfugier au Mexique. Après mon retour au Guatemala, j’ai eu la chance de pouvoir continuer à étudier et entamer une carrière d’avocat. Actuellement, je coordonne, avec d’autres avocats, au sein du CALDH, le programme « Justice et Réconciliation ». Nous travaillons sur le rassemblement des preuves et des outils théoriques que nous présentons devant le tribunal.


Pourquoi le travail de défense juridique des droits humains est si important au Guatemala ?

Tout d’abord, je dirais que cela vaut pour le monde entier ! Mais je crois personnellement qu’il y a eu un moment dans l’Histoire où le monde a décidé que ce genre d’atrocité ne pouvait pas continuer dans un monde que l’on veut meilleur. Dans notre pays, la majorité de la population est de descendance indigène ou maya et, depuis la colonisation, il y a eu une tendance systématique à vouloir supprimer et contrôler la culture indigène. Ceci se voit, par exemple, par l’exploitation de nos terres et ressources naturelles, mais aussi par la volonté de vouloir changer notre manière de vivre et notre manière de penser pour, en d’autres termes, nous occidentaliser. L’État guatémaltèque a alors suivi cette tradition d’exploitation et de volonté d’assimilation. Plusieurs méthodes ont alors été utilisées, comme par exemple nous forcer à changer nos tenues vestimentaires traditionnelles. Mais c’est surtout par la religion, l’éducation et l’appareil répressif que l’État guatémaltèque a démontré sa détermination. Nous, nous voulons juste faire entendre que ce n’est pas parce que nous avons une autre culture, une autre tenue vestimentaire, que cela nous rend des êtres différents ou moins importants. Il faut comprendre que, dans la philosophie maya, nous nous voyons comme des êtres faisant partie de la nature, mais nous ne sommes pas là pour la contrôler, la dominer. Ces différentes visions entre l’État et le peuple maya nous ont amené à vivre une série de problèmes qui se sont traduits par la mort et le saccage de peuples entiers. Le conflit armé interne entre 1960 et 1996 est le dernier exemple en date.

Les procès pour génocide doivent faire jurisprudence. Au Guatemala, l’impunité qui règne dans tous les domaines laisse penser qu’il est impossible de juger les responsables pour leurs actes. Je suis persuadé qu’il est également bénéfique pour l’État guatémaltèque et pour la démocratie que nous franchissions cette première étape. Les populations indigènes pourraient alors commencer à croire que le système judiciaire est effectivement là pour protéger toute la population et non quelques individus.


Quels sont les procès les plus importants pour le CALDH ?

Le CALDH a mené le premier cas de disparition forcée dans le pays. Bien que tout le monde savait qu’il s’agissait de la mise en œuvre d’un plan systématique, aucun juge n’a jamais osé condamner ni même faire usage du terme. En effet, avant cela, on avait l’habitude d’entendre des termes comme « délits de séquestration », « exécutions extrajudiciaires » ou « assassinats ». C’est avec le cas de Choatalum (village du département de Chimaltenango) qu’ils ont donc fait usage pour la première fois du terme de disparition forcée. À partir de là, la terminologie juridique a changé et ce sont d’autres cas qui se sont ouverts, comme par exemple celui de Fernando García de la communauté del Jute. C’est donc un réel succès historique pour le CALDH d’avoir réussi à faire en sorte que les cas de disparitions forcées durant le conflit armé aient été amenés devant la justice guatémaltèque. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a également adopté l’usage du terme en admettant que les délits de disparition forcée sont permanents et constants.

Le CALDH prend également en charge des cas spécifiques de massacres de villages indigènes, comme par exemple le Plan Sanchez (plan militaire qui a entrainé la mort de plus de 250 personnes du village Plan de Sanchez, département du Baja Verapaz, le 18 juillet 1982). Le CALDH suit ce cas depuis 1996. Après plusieurs échecs, nous avons amené le cas devant la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme qui a finalement établi la responsabilité de l’État guatémaltèque et ordonné des compensations. Bien que cinq personnes aient déjà été condamnées, celles-ci appartenaient au rang inférieur de l’armée. Nous souhaitons pouvoir arriver à la condamnation des auteurs intellectuels de ce massacre, ce qui est bien évidemment plus difficile.

D’autre part, le cas le plus emblématique en ce moment est le procès pour génocide que le CALDH mène avec l’AJR et les villages concernés de la région ixile. C’est la première fois qu’on parle de génocide au Guatemala, et d’ailleurs sur le continent américain. Il existe ici une grande discussion juridique sur l’usage du terme génocide. De plus, c’est devenu une question politique puisque le pouvoir exécutif tente, depuis sa position de pouvoir, d’influencer la position juridique. Toutefois, nous sommes plus que convaincus, nous avons toutes les preuves nécessaires, toute l’information et les moyens pour continuer d’affirmer que oui, il y a eu génocide au Guatemala et qu’il doit être condamné en tant que tel.


Pourquoi le travail juridique en faveur de la défense des droits humains est-il si dangereux au Guatemala ?

Le problème au Guatemala, c’est que le système actuel se maintient à travers la violation des droits humains. C’est par la poursuite de ces violations que beaucoup de personnes ont réussi et réussissent toujours à garder leur statut. Aussi, c’est la raison pour laquelle il est dangereux de questionner et de demander le respect des droits humains au Guatemala, car cela revient à désigner une élite économique, politique et militaire qui bénéficie largement de cette situation, et donc, une élite qui est très clairement contre un éventuel changement dans le sens d’une garantie du respect des droits humains. Voilà pourquoi il est dangereux de travailler dans ce domaine.

Graphique sur l’évolution des agressions commises à l’encontre des défenseuses et défenseurs des droits humains au Guatemala de 2000 à 2013. (c) udefegua.org

Graphique sur l’évolution des agressions commises à l’encontre des défenseuses et défenseurs des droits humains au Guatemala de 2000 à 2013. (c) udefegua.org


Dans le contexte actuel, observez-vous une augmentation ou une diminution des menaces et intimidations ?

Avant l’entrée de ce nouveau gouvernement (Otto Perez Molina est entré en fonction en janvier 2012), les menaces et intimidations venaient de certaines organisations d’ex-militaires vétérans qui avaient alors l’habitude de faire usage de la presse pour dénoncer et accuser publiquement les avocats et organisations de défense des droits humains d’être des guérilleros et de gagner de l’argent sur le malheur des gens.

Depuis l’arrivée au pouvoir de ce nouveau gouvernement, ces mêmes groupes ont réussi à prendre pied à l’intérieur des institutions de l’État. Ceci amène un nouveau type de menace qui trouve sa base directement à l’intérieur de l’État, le Président lui-même étant partisan de ce genre de discours. Autrement dit, les menaces et intimidations se sont institutionnalisées. De ce fait, cela devient encore plus dangereux qu’auparavant, car désormais ces groupes se sentent largement protégés et légitimés.

Ce n’est donc pas un climat favorable pour les travailleurs et travailleuses des droits humains. En effet, des vieilles pratiques utilisées durant le conflit armé interne refont surface : par exemple, constamment et publiquement jeter le discrédit sur toute personne s’engageant pour la défense des droits humains, ou encore une surveillance accrue avec planification d’attaque à l’encontre des observateurs et observatrices étrangers des droits humains. Le Président lui-même a déclaré qu’il fallait surveiller de près les personnes étrangères qui venaient au Guatemala pour motiver une révolution au sein de la population. Le risque est donc que ces menaces se transforment en une expression généralisée de l’État guatémaltèque.


Pourriez-vous me donner un exemple courant d’intimidation ou de menace ?

Oui, si vous regardez simplement la presse de la semaine dernière, vous verrez un article où un représentant de l’armée disait que si on continuait d’insister dans la recherche de preuves des cas préalablement mentionnés, alors beaucoup de sang allait couler sur le pays. Il faut bien comprendre que les personnes ici sont encore traumatisées par les événements qui se sont déroulés durant le conflit armé. C’est pourquoi utiliser de tels propos, c’est user de l’arme psychologique afin de maintenir les personnes dans un état de terreur constant.

Personnellement, j’essaie de passer outre et de ne pas trop y penser.

Propos recueillis par Yasna Mimbela,
Observatrice des droits humains au Guatemala.

Laisser un commentaire

Soyez le premier à laisser un commentaire

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.