J’aurais aimé écrire des mots à faire trembler les hommes.
J’aurais aimé, par la force de ces derniers, raconter le monde.
Pas uniquement comme je le perçois, moi, mais comme les autres le voient.
Avec leur histoire et leur savoir. Là où ils vivent, et s’aventurent, et se perdent.
J’aurais aimé transmettre leurs mots, les mêler aux miens, pour les transporter plus loin.
J’aurais aimé raconter ce monde avec ses incompréhensions, ses iniquités, ses inexplicables.
Le raconter, pour le comprendre.
J’aurais aimé que mes mots soient fédérateurs pour vibrer en même temps que les autres. Les faire se rejoindre en même temps, exactement. Sur ce qui leur tombe dessus. Sur ce qui les emporte. Sur ce qui les sépare, puis les rassemble.
J’aurais aimé utiliser ces mots pour dire, un peu plus haut et un peu plus fort, ce qui est tu, celé, à dessein ou par oubli, par manque de ressources ou de courage.
J’aurais aimé, comme tant d’autres journalistes avant moi, brandir cette parole qui est le témoignage de notre histoire, de nos semblables, de nos échecs, de nos combats.
Des plus chanceux. Des plus reculés. Des convictions les plus profondes aux velléités les plus futiles qui disent, chacune, l’état humain.
J’aurais aimé être journaliste avec presque rien si ce n’est un calepin et un stylo, l’adrénaline dans le corps et la volonté bien logée dans les tripes ; qu’avec ce presque rien ce que je vois devienne un témoin de la diversité de l’existence.
Que l’unicité d’une situation puisse rappeler, interpeller, émouvoir, révolter ; que cette unicité ne soit plus isolée, mais universelle et collective.
J’aurais aimé pouvoir m’élever au-dessus de ce qui, émotionnellement, politiquement, embrase les passions ; surplomber l’agonie, l’enjeu et la discorde, pour les regarder, autrement ; les ausculter, librement.
Peut-être un peu égoïstement, m’extraire du tumulte et, reconnaissante de ce privilège, le raconter avec plus d’acerbité encore.
Si les anfractuosités de ce monde oppressent, les hurler.
Si la lutte pour le pouvoir écorche, sans peur aucune la disséquer.
Sans parti pris mais mue par une curiosité béante, avaler d’une seule traite ce qui nous est donné à observer. Apprendre, s’approprier le sujet, pour ensuite mieux le questionner. Rechercher chaque parcelle d’obscurité pour en sonder la vérité, plus furieusement encore.
Peu importe que celle-ci soit belle.
Peu importe que celle-ci soit morale.
Peu importe que celle-ci soit facile.
A l’instar d’un entomologiste étudiant chaque cellule du plus petit coléoptère, gratter la carapace vermeille et en chercher l’essence.
Sans crainte de représailles.
Sans crainte de contestation.
Sans craindre la colère de celui qui n’aurait pas encore compris que c’est précisément la variété de cette myriade d’écailles qui permet d’en appréhender la véracité.
Un mathématicien penché sur son équation n’aurait de repos qu’après avoir observé que sa formule, confrontée à chaque situation connue, conserve sa vérité.
Il en va de même pour le journaliste qui, avide, recherche au plus juste, au plus probant, le fait originel ; les paroles authentiques ; le récit attesté.
J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un praticien, méthodique et rigoureux, au regard froid et clinique.
J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un écrivain, libre dans le format et lyrique dans la prose.
J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un résistant, insoumis et belligérant, dénonciateur aux premières lignes, bien droit sur le front.
J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un pacifiste, sage et bienveillant, mesuré dans la critique et constructif dans le dialogue.
J’aurais aimé être journaliste à ma manière, pas tout à fait celle des autres, mais d’une façon qui me fait rejoindre ceux qui m’ont précédée, et auxquels j’aurais aspiré à ressembler.
J’aurais aimé, oui, aimé.
Etre journaliste dans un monde où la vérité n’est pas l’apanage du plus fort, mais du plus informé.
Où l’information n’est pas l’exclusivité du plus fortuné, mais du plus intéressé.
Où l’intérêt du plus grand nombre n’est pas modulé par une quelconque rentabilité, mais par sa nécessité.
Où la quête du fait dépasse tout intérêt individuel, et dont le cheminement est presque sacralisé.
Ni exsangue, ni érodé
Aux couleurs encore vivaces
Cette profession dont les grandeurs ont bercé notre enfance
Et dont le nom douceâtre qui me poigne encore
Crie ses heures noires
Hurle sa peine
Qu’on lui passe sur le corps
et qu’on lui arrache les ailes
Il courbe l’échine mais n’est pas mort.
L'objectivité journalistique n'existe pas, cite-moi un seul journaliste objectif. C'est quoi un journaliste ? Un diplômé d'une école de journalisme…