Genre Le 25 octobre 2015

La place des femmes au Conseil national

0
0
La place des femmes au Conseil national

 

Les élections fédérales auront fait couler de l’encre depuis dimanche passé. L’avancée de l’UDC et du PLR, au détriment des partis du centre et des écologistes, y est pour quelque chose. Mais au-delà de cette progression de la droite, consacrée par les médias, d’autres résultats sont aussi à considérer, comme le nombre de femmes élues au parlement suisse. Celui-ci se monte en effet à 64 au Conseil national, soit 32% du total de la chambre basse de l’Assemblée fédérale1. Ironie du sort : ce score assez faible est pourtant en hausse – seules 58 femmes avaient été chargées d’un mandat en 2011 – et constitue même un record absolu depuis l’intégration des femmes à la vie politique suisse en 19712 !

Alors que d’aucuns se réjouissent d’affirmer que le parlement suisse n’a jamais été si féminin3, la question de la présence des femmes au sein de l’organe législatif fédéral doit toutefois être posée. Le Conseil national a en effet pour fonction de représenter la population suisse ; or quand on sait que celle-ci est composée de 50,5% de femmes4, l’inégalité semble évidente. La Suisse est par ailleurs à la traîne en comparaison avec d’autres pays européens qui, à l’instar de l’Islande, la Finlande et la Norvège, comptent plus de 40% de femmes dans leur parlement.5 A quoi cette sous-représentation est-elle due ? Devons-nous nous en inquiéter, et élire coûte que coûte davantage de femmes ?


Candidates moins nombreuses et moins élues

Divers facteurs peuvent expliquer cette sous-représentation. L’argument prépondérant est celui du manque de candidatures féminines. Sur près de 3800 candidats au Conseil national en 2015, seulement 34% étaient des femmes6 – un taux qui stagne depuis 1995.7 Cette disparité est déterminée par les listes proposées par les partis politiques : certains intègrent peu de femmes ou les placent en fin de liste. Lors des dernières élections fédérales, les Verts étaient les seuls à  proposer sensiblement plus de femmes que d’hommes (51%), tandis que le PLR et l’UDC figuraient en queue de peloton, avec respectivement 30,6% et 19% de candidates sur leurs listes électorales. Quant aux autres partis, leur taux de candidatures féminines oscillait entre 32,5 et 46,7%.8 A la sortie des urnes dimanche dernier, tous les partis – à l’exception du PS et des Vert’libéraux –affichaient moins de femmes élues que d’hommes élus.

La faible proportion de femmes élues est évidemment liée au comportement politique des électeurs et électrices. Il est avéré que les Suissesses votent moins que les Suisses, dans presque toutes les catégories d’âge.9 Aux élections fédérales de 2007, par exemple, la participation totale chez les hommes était de 55% et de 43% chez les femmes.10 Cet écart, qui augmente depuis 1990, explique par conséquent que la Suisse, comparativement à d’autres démocraties occidentales, n’est pas seulement le pays dans lequel de telles différences entre les sexes sont encore présentes, mais aussi celui où la différence de participation est la plus élevée, selon une étude de la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales.11

D’après nos recherches, il semble cependant très difficile de déterminer si cette moindre particpation a un impact sur l’issue du vote ; en d’autres termes, si les femmes voteraient plus pour des femmes ou pour des hommes. Une étude nationale américaine révélait toutefois récemment que si les questions de genre importent effectivement aux femmes, c’était à double tranchant : les votantes vont aussi bien élire une candidate parce qu’elle est une femme, que l’évincer pour la même raison.12 Cette exigence plus grande des femmes vis-à-vis de leurs congénères, révélatrice de l’ancienne culture patriarcale qui privilégiait les hommes, pourrait expliquer en partie pourquoi celles-ci sont encore aujourd’hui les moins élues.

Quoi qu’il en soit, cette inégalité dans l’élection, flagrante en 2007 (seules 29,5% de femmes avaient obtenu un siège au Conseil national), tient surtout de l’appartenance partisane des électeurs. La commission fédérale pour les questions féminines relevait récemment que les hommes des partis du centre et populistes ont infiniment plus de chances d’être élus que les femmes de ces mêmes partis. Les électrices et électeurs de ces partis élisent moins de femmes, tandis que les personnes proches des partis de gauche et écologistes élisent presque autant de femmes que d’hommes.13 Proposer davantage de femmes dans les listes ne constitue donc pas la panacée à leur sous-représentation : c’est la ligne politique du parti qui semble être la plus déterminante.


Un électorat de culture patriarcale

L’introduction extrêmement tardive du suffrage féminin dans notre pays joue sans aucun doute un rôle important dans cette faible implication des femmes. Cela ne fait en effet que quarante-quatre ans que les Suissesses ont découvert et intégré le milieu politique au niveau fédéral. Cela signifie donc que tout électeur suisse masculin âgé de plus de 64 ans a appris à voter à une époque où les femmes, exclues de la sphère publique, ne pouvaient, elles, ni voter ni être élues !

Un fait important à considérer lorsque l’on sait que la participation aux élections augmente avec l’âge. Lors des cinq dernières élections fédérales, ce sont en effet les personnes âgées de plus de 75 ans, dont une grande majorité d’hommes, qui ont voté le plus massivement.14 Les électeurs âgés entre 50 et 65 ans étaient également parmi les plus nombreux. Il s’agit donc de plusieurs générations n’ayant tout simplement pas été éduquées dans une société garantissant les droits politiques des femmes. Selon une étude de l’Office fédéral de la statistique, cela explique pourquoi ces dernières, peu socialisées politiquement, osent moins s’engager à cet égard que leurs jeunes congénères ayant été socialisées de façon égalitaire en termes de citoyenneté.15 Or, les jeunes candidats ont peu de chances de se faire élire : leurs contemporains sont ceux qui votent le moins et les électeurs restent visiblement sceptiques face aux néophytes de la politique, qui plus est quand il s’agit de candidates féminines : seuls 4 élus ont moins de 30 ans16 et seules 26,4% des nouvelles recrues au Conseil national sont des femmes17.


Le biais du vote féminin

Cette lente évolution dans les comportements politiques suisses suscite évidemment l’inquiétude. Plusieurs programmes ont été mis en place ces dernières années pour encourager les femmes à se lancer en politique et les partis à les intégrer. Plusieurs organes féministes préconisent d’ailleurs le vote féminin plutôt que le vote masculin. L’association « Votez-femmes » enjoint par exemple sur son site internet les électrices et électeurs, partis et organisations, à s’engager en faveur d’une représentation féminine au parlement nettement supérieure lors des prochaines élections.18 L’association homonyme du canton de Neuchâtel affirme elle aussi qu’élire davantage de femmes parlementaires permet de mieux défendre une politique d’égalité, les intérêts féministes et les thématiques genrées.19

Toutefois, l’appel au vote féminin à tout prix engendre le risque que ce dernier remplace le vote avisé pour des idées ou des valeurs. Inciter les électeurs à voter prioritairement pour des femmes afin de mieux défendre les intérêts féministes peut même être trompeur : on se souvient récemment de plusieurs candidates qui se sont érigées à contre-courant des valeurs si chères au féminisme. En septembre dernier, Sandrine Ruffieux Guignard, candidate au Conseil national sous l’égide de l’Union Démocratique Fédérale, proposait entre autres de supprimer les subventions aux crèches, de pénaliser les familles comptant moins de trois enfants, et affirmait sans détour qu’il était préférable que les femmes restent à la maison.20 L’initiative qui visait à supprimer le remboursement de l’avortement par l’assurance maladie émanait de deux femmes, Valérie Kasteler-Budde du PEV et Elvira Bader, ancienne conseillère nationale PDC.21 Elle avait été approuvée notamment par trois conseillères nationales membres de l’UDC.22 Au mois de juin dernier, la question de la gratuité de la contraception pour les femmes de moins de 20 ans avait été soutenue par la totalité des conseillères nationales socialistes et écologistes, tandis que presque toutes les députées des partis du centre et de la droite s’y étaient opposées. C’est le cas aussi de l’encouragement à l’égalité des sexes dans les professions techniques, les filières mathématiques et les sciences naturelles, que les conseillères nationales UDC avaient refusé en bloc et sur lequel les députées PLR étaient mitigées.23 Le pourcentage de femmes élues à la chambre des représentants ne pourra donc jamais se targuer d’être une garantie de la défense des droits élémentaires féminins, durement acquis au siècle passé, puisque c’est l’appartenance partisane qui semble prévaloir.

En outre, encourager le vote féminin à tout prix sous-entend, de façon très réductrice, que toutes les politiciennes pensent et agissent de façon similaire. Privilégier le genre aux idées, qualités et compétences de l’individu est un pari risqué. Il serait bien naïf de penser que seule une femme peut défendre le droit féminin : selon le parti auquel il appartient, un homme les défendra tout aussi bien. Rappelons tout de même que la Suisse est le seul pays ayant adopté le vote féminin non pas par le biais d’une autorité gouvernementale, mais par le corps électoral masculin qui, par deux voix contre une, a entériné les droits politiques et civils féminins au niveau fédéral le 7 février 1971. Il ne fait donc nul doute que les mentalités, même lentement, peuvent évoluer. Gageons qu’il en ira de même afin que, petit à petit, les femmes se fassent leur place dans les mœurs et le monde politique suisses, et puissent être élues pour leurs idées plutôt que pour leur sexe.

 


1 http://www.24heures.ch/elections-federales-2015//Jamais-autant-de-femmes-elues-au-Conseil-national/story/22053257.

2 Date de l’adoption du suffrage féminin, http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/17/02/blank/key/frauen_und_politik/bund.html

3 http://www.lematin.ch/elections-federales-2015/Jamais-autant-de-femmes-elues-au-Conseil-national/story/22053257

4 Chiffres de l’OFS à la fin de 2014, http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/01/02/blank/key/alter/nach_geschlecht.html

5 Chiffres de l’Union interparlementaire, http://www.ipu.org/wmn-f/classif.htm

6 https://www.admin.ch/ch/f/pore/nrw15/list/stat/stat2015.html

7 Ibid., la proportion de candidates était arrivée à un pic de 35,1% en 1995, puis est redescendue à environ 33% en 2011.

8 http://www.rts.ch/info/dossiers/2015/elections-federales/7090519-la-proportion-de-femmes-candidates-aux-elections-federales-reste-faible.html?rts_source=rss_t

9 FORS p.6 : chez les jeunes, les hommes participent nettement plus souvent que les femmes. Les niveaux de participation se rapprochent ensuite entre 45-54 ans, puis se creusent de manière plus prononcée au-delà de 55 ans.

10 ibid.

11 Elections fédérales 2007, Participation et choix électoral, Georg Lutz, FORS. http://forscenter.ch/wp-content/uploads/2013/10/selects_07_f.pdf

12 http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/05/01/AR2007050100197.html

13 La politique suisse, noir sur blanc, Analyse de la Commission fédérale pour les questions féminines CQFQ, Régula Stämpfli, 2011.

14 Etude « Vieillissement actif », OFS, Octobre 2012, http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/news/publikationen.html?publicationID=4935

15 Ibid., p. 5

16 http://www.parlament.ch/f/sessionen/sda-sessionen/Pages/20151019_bsf041_Fédérales.aspx

17 https://www.ch.ch/fr/elections2015/resultats-pour-le-conseil-national/nouveaux-elus-au-conseil-national/

18 http://www.votez-femmes.ch/fr/home/index.html

19 https://votezfemmesneuchatel.wordpress.com/2015/10/09/elire-davantage-de-femmes-parlementaires-davantage-de-politiques-degalite-et-sociales-etude-suisse/

20 Emission Face aux petits partis, http://www.rts.ch/play/tv/face-aux-petits-partis/video/union-democratique-federale?id=7086093

21 http://www.mamma.ch/uploads/media/U-bogen_fr.pdf

22 Yvette Estermann, Andrea Martina Geissbühler, Natalie Simone Rickli de l’UDC ; http://www.parlament.ch/F/WAHLEN-ABSTIMMUNGEN/ABSTIMMUNGEN-IM-PARLAMENT/SMARTMONITOR/Pages/default.aspx

23 Ibid.

Laisser un commentaire

Soyez le premier à laisser un commentaire

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.