Bien plus qu’une formule ; une déclaration, un axiome. Ce titre à l’accent contestataire résume le Manifeste pour une nouvelle presse (en) Suisse rédigé par Fabio Lo Verso, directeur de publication du journal indépendant La Cité. Cet ouvrage contient à la fois une invitation à la réinsertion du journalisme dans un processus d’innovation et une mise en exergue de ce qui mine ce même journalisme à l’heure actuelle. Ce manifeste, à l’image d’un contenu foncièrement humaniste, est un trait d’union. Le verbe y est limpide et le ton nécessairement subjectif mais étayé. Fabio Lo Verso jette les soubassements d’une presse indépendante et diversifiée tout en peignant avec une lucidité déconcertante le portrait d’une presse traditionnelle sujette à la dégénérescence. Une soixantaine de pages, des concepts-clés, une analyse fine, visionnaire et pragmatique ; ce manifeste est une référence pour qui entend le journalisme comme un acte civique. Je vous livre mon ressenti après lecture.
L’indépendance journalistique, c’est se débarrasser de ce qui obstrue le message, de ce qui l’asservit et de ce qui lui confère une dimension propagandiste. L’indépendance journalistique, c’est également prendre conscience que la réalité n’est pas inéluctablement fille de la vérité, que nous portons en nous les erreurs que nous trouverons chez d’autres et que la nuance est la règle.
Le journaliste n’est pas marchand. Aujourd’hui, le financement d’une majorité de la presse européenne – si ce n’est mondiale – est principalement irrigué par deux entités : l’abonné/l’acheteur et l’actionnaire ; en définitive ceux qui lisent et ceux qui financent (publicitaires, banques, éditeurs, partis politiques, actionnaires en tout genre, etc.). L’argent de ces derniers coule à flots dans les veines de la presse ; une presse qui traverse une crise mortellement croissante et qui accuse une véritable saignée progressive.
La qualité et la diversification du paysage médiatique ne doit pas dépendre d’entités désireuses d’acquérir un capital budgétaire, mais un capital humain. L’intérêt de la collectivité (les lecteurs) doit se substituer à l’intérêt du gain. Le rôle d’informateur est, de fait, biaisé par la recherche du profit ; c’est relayer la presse au rang de produit que de la considérer financièrement comme productrice de bénéfice. Cette dépendance financière influe sur le contenu d’un journal et dicte un rythme frénétique digne d’un fordisme en application. Le lecteur consomme, le journaliste produit, le lecteur consomme, le journaliste produit, le lecteur consomme, le journaliste produit…
La presse s’est engagée dans un cycle vicieux et étourdissant dans lequel lecteurs et journalistes n’ont d’autres valeurs que numériques ; ils endossent à la fois le rôle de moteur et, par défaut, la responsabilité du cycle. Au final, les licenciements se multiplient et les manchettes se ressemblent. La solution que propose Fabio Lo Verso ? Se distancier de toutes entrées financières n’ayant aucun lien de parenté avec le rôle de l’information, se nourrir de dons qui présentent l’avantage d’un versement désintéressé, et surtout – il s’agit là de la pierre angulaire de ce système d’irrigation indépendant – le journal devrait être financé entièrement par ses propres lecteurs. En somme, c’est opérer un glissement structurel et logique que de procéder de la sorte ; le système démocratique politique se transpose sur un système démocratique médiatique. Par conséquent, la notion de citoyen, répondant principalement à des impératifs de l’État, comprend également celle de citoyen-lecteur et de citoyen-rédacteur.
Le journaliste n’est pas militant. Comprendre le journalisme, c’est accepter que la relation journaliste-lecteur est avant tout une relation de mutualité civique mue par un dialogisme clair : l’information n’appartient pas exclusivement à ceux qui la font, elle n’appartient pas à ceux qui la lisent, elle œuvre en faveur d’une salubrité sociale, politique et économique de tous les citoyens, de toute la société, sans pour autant s’immiscer dans le rôle des représentants professionnels du social, du politique et de l’économique. Ainsi, le lecteur passe du rang de statistique à celui d’artisan, de consommateur passif à celui de détenteur actif, de celui de sondé à celui d’écouté, de celui d’habitant d’un savoir à celui d’architecte des savoirs.
Il n’y a rien d’idéal ou de nouveau dans cette description ; elle est intrinsèque à la définition même du mot « média ». Le journalisme n’est pas « un moyen de » avec des velléités utilitaristes, mais « un moyen de » comme un trait d’union entre la voix populaire et les institutions dirigeantes, comme un baromètre de salubrité publique. En France, Mediapart, Arrêt sur images, la revue XXI, pour ne citer qu’eux, fonctionnent parfaitement sur ce modèle ; chacun avec une structure qui leur est propre. En Suisse, La Cité et le Tages Woche incarne l’indépendance avec brio. À ce titre, Jet d’Encre fait également partie de cette mouvance.
L’heure du « médiatiquement correct » est arrivée. La presse est morte, vive la presse !
Bibliographie :
LO VERSO, Fabio, Manifeste pour une nouvelle presse (en) Suisse, Lausanne, Éditions Paulette, 2013.
Site des éditions Paulette pour l’achat de l’ouvrage : http://www.editions-paulette.ch/catalogue/2-manifeste-pour-une-nouvelle-presse-en-suisse.html
En même temps les actionnaires et autres partis qui financent en parties des journaux, avec l'aide des abonnées lecteurs, sont…