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À mi-chemin entre conscription et professionnalisation, le concept demeure inédit. Une alternative en quelque sorte, pour supprimer l’obligation de servir sans remettre en cause la milice. Les initiants insistent beaucoup sur ce point. Mais c’est un écran de fumée ! Ils connaissent l’aversion de la plupart des Suisses pour l’armée professionnelle. Seulement, on passe vite de l’une à l’autre. Un volontaire qui touche un salaire n’est rien d’autre qu’un professionnel. Problème : comment attirer les jeunes si on ne peut même pas leur donner un salaire ? Un détail qui n’inquiète pas les membres du GSSA, puisque selon eux, nous ne manquerons pas de volontaires. D’ailleurs, ils ont cru bon d’additionner tous les cadres, sous-officiers compris, pour le prouver. Si a priori grader reste un choix, cela ne marche pas comme ça ! Je suis officier, un volontaire donc. Aurais-je fait l’armée sans l’obligation de servir ? Probablement pas. Beaucoup de mes camarades sont arrivés à la même conclusion. Ce n’était pas une vocation, l’intérêt est venu en vivant l’armée de l’intérieur.
En Suisse, d’après le GSSA, notre longue pratique de la milice favoriserait le développement d’une armée de volontaire. Peut-être. Seulement ce n’est plus la tendance. Les milieux associatifs manquent de bénévoles, les petites communes n’arrivent plus à renouveler leur personnel politique et rares sont les parlementaires fédéraux qui exercent encore une activité professionnelle parallèlement à leur mandat. Aujourd’hui, l’armée demeure le dernier bastion de la milice. On ne peut donc pas utiliser un tel argument pour proposer la suppression de l’obligation de servir. Cependant, je ne doute pas tant de mes concitoyens que des conditions cadres. Parce que l’obligation de servir, c’est aussi l’obligation de laisser servir. Une protection pour ceux qui souhaitent s’engager. Car, reconnaissons-le, ces absences répétées sont mal acceptées par les employeurs. A l’heure où la disponibilité est devenue la règle, le volontariat n’a pas sa place sur le marché du travail. Quant aux étudiants, l’armée repousse d’autant leur entrée dans la vie active. Un choix difficile lorsqu’on dépend financièrement de ses parents.
S’il n’existe aucune armée similaire dans le monde, c’est parce qu’elle est comme tous les éléments instables : condamnée à disparaître. Le jour où les volontaires viennent à manquer, soit l’armée se meurt, incapable de renouveler son effectif, soit elle se professionnalise, et dans le cas de la Suisse, devient vite aussi encombrante qu’inutile.
L’ARMÉE PROFESSIONNELLE : UNE ALTERNATIVE, PAS LA SOLUTION MIRACLE
L’Allemagne a récemment fait le choix d’abandonner la conscription. La réforme est à peine entrée en vigueur que l’armée ne trouve déjà plus les 15’000 volontaires dont elle a besoin chaque année pour renouveler son effectif. Or, il y a 80 millions d’Allemands… Le recrutement, c’est la principale faiblesse des armées professionnelles. La Grande-Bretagne vide ses prisons, l’Espagne compte sur l’immigration sud-américaine, et les Etats-Unis font les deux. Cependant, il y a au moins trois raisons de penser que la Suisse éprouverait encore davantage de difficultés : le plein emploi, un bassin de population minuscule et la neutralité. S’entraîner durant des années pour ne jamais partir à l’engagement ne va faire rêver personne.
Rappelons que les polices cantonales sont toutes en sous-effectif. Malgré le bon salaire et les avantages sociaux, les candidats ne se bousculent pas. Maintenant, on peut supposer que la carrière militaire s’adresse à des gens qui ont le même profil. L’armée devra donc se montrer encore plus attractive. Imaginez le coût en matière de charges salariales… C’est un fait, les armées professionnelles ne sont pas bon marché.
Au problème de la quantité, s’ajoute celui de la qualité. Comme le métier est contraignant – discipline, horaires irréguliers, vie en caserne, travail en extérieur –, ceux qui s’engagent le font par passion ou parce que c’est leur dernier recours. Dans les deux cas, ils ne représentent pas l’élite. À l’inverse, nos soldats de milice ont une formation civile qu’ils peuvent mettre à profit dans le cadre militaire. Peu d’armées, par exemple, tirent à balles réelles dès la deuxième semaine d’école de recrue. En Suisse, nous pouvons nous le permettre, car nos hommes comprennent vite et sont des gens responsables. Nous n’avons pas à refaire toute leur éducation avant de leur donner un fusil.
Quant à la critique d’une armée pléthorique, rappelons qu’il n’y a jamais plus de 5000 hommes en service en même temps. Le reste de la troupe est de retour à la vie civile. Les armées professionnelles n’ont pas cette flexibilité. Trop nombreuses au quotidien, elles vont manquer de monde en temps de crise. Puisque, contrairement à la milice, elles ne disposent d’aucune réserve. Les armées professionnelles ne sont donc pas les entités légères et performantes que l’on imagine.
En fait, si autant de pays occidentaux ont franchi le pas, c’est pour avoir les coudées franches. Que ce soit pour défendre des intérêts stratégiques ou jouer les gendarmes du monde. Compter sur la scène internationale implique de pouvoir se projeter rapidement à l’étranger. Des puissances moyennes comme la France l’ont bien compris, comme le montre leur récente intervention au Mali. Seulement, il n’est politiquement plus possible d’obliger un milicien à participer à des opérations extérieures. L’Algérie et le Vietnam ont montré qu’une opinion publique défavorable pouvait vous faire perdre la guerre. En tant que pays neutre, la Suisse ne se trouve pas dans cette situation et n’a donc aucun intérêt à changer de système. Parce que la milice, plus qu’une forme d’organisation militaire, est une véritable institution dont la plus-value dépasse le simple cadre sécuritaire. Machiavel, dans « Le Prince », rappelle que Rome, Sparte et la Suisse tirent leur liberté de leurs « armes propres » et non de mercenaires. La milice est dans notre ADN.
LA CYBER-GUERRE : LA MENACE DU MOMENT
Véritable mantra des initiants, elle symboliserait à leurs yeux l’obsolescence de l’armée suisse. On peut pourtant lutter efficacement contre les cyber-attaques tout en gardant notre système de milice. Les deux ne sont pas incompatibles. Au contraire. Pour créer un bataillon de hackers, il faut trouver des centaines de spécialistes. Sans l’obligation de servir, l’armée entre en concurrence avec le privé. Malheureusement les moyens ne sont pas les mêmes et, comme on ne peut pas compter sur le patriotisme pour combler cet écart, l’armée risque de n’avoir plus à disposition que du personnel de seconde zone. Il reste toujours la possibilité de les former, mais pas facile de faire mieux dans ce domaine que nos EPF… La force de la milice, c’est justement d’avoir accès au large réservoir de compétences que représente la population d’un pays. Besoin d’informaticiens ? Proposons leur de faire leur travail en service, dans un cadre plus souple.
Mais la cyber-guerre n’est pas seulement l’affaire de quelques spécialistes. Nos sociétés sont devenues tellement dépendantes des ordinateurs, que les Américains parlent maintenant de « cybergeddon » pour décrire le risque d’une paralysie totale du système. Pour l’armée, cela impliquerait, entre autres, de sécuriser les centrales nucléaires, d’éviter les pillages, d’assurer l’approvisionnement en électricité ou encore de rétablir le trafic routier et ferroviaire. Des missions qui nécessiteront toujours une masse critique d’hommes et de matériel. Parce qu’une fois qu’on leur a tiré la prise, nos informaticiens ne peuvent plus se défendre qu’en jetant leurs ordinateurs du haut de leur bureau. Pas très efficace…
MISE EN PERSPECTIVE : REDONNER DU SENS ET DES MOYENS À L’ARMÉE
Bien que les sondages semblent annoncer un refus net de l’initiative du GSSA, il mérite d’y avoir une réflexion de fond sur les perspectives de l’armée. D’après les mêmes sondages, la génération des 18-35 serait favorable à cette initiative. Effet d’âge ? Peut-être. Toujours est-il que l’armée a moins la cote auprès des jeunes. Problème : ce sont les forces vives, l’avenir de la milice. Et puis, dans l’immédiat, l’armée doit convaincre les nouvelles recrues de s’engager. Le libre choix entre le service civil et militaire est déjà une réalité.
La communication est donc devenue un enjeu important, il faut savoir se vendre. D’autant plus que l’armée n’a pas souvent l’occasion de prouver son efficacité à l’engagement. C’est donc d’abord sur son image qu’on la juge. Et là, le GSSA a entrepris un travail de sape qui est en train de porter ses fruits. Pour retrouver de la crédibilité, la « grande muette » doit apprendre à communiquer. Elle doit cibler les jeunes, être percutante et utiliser tous les canaux d’informations disponibles.
Cette lacune est d’autant plus regrettable que l’armée a fait d’importants efforts pour se moderniser et qu’aujourd’hui, dans le domaine de l’instruction, elle est à la pointe. D’ailleurs, des unités d’élites étrangères viennent se former chez nous. Mais l’image vieillotte d’une armée de « grand-papa » continue de lui coller à la peau.
Les effectifs ont été réduits. On a supprimé des bataillons de chars et démantelé l’artillerie. À l’entraînement, les ennemis ne sont plus les Russes. On se prépare pour des conflits asymétriques en milieu urbain. Le niveau de nos forces spéciales (de milice et professionnelles) est au-dessus des standards internationaux. Elles appuient, entre autres, les polices cantonales dans la lutte anti-terroriste. Les troupes de sauvetage ont été renforcées et disposent de compétences uniques pour l’aide en cas de catastrophe. Rares sont les pays qui possèdent de tels spécialistes. Quant à l’infanterie, elle est devenue très polyvalente. Elle peut aussi bien faire des engagements subsidiaires au profit des autorités civiles que du combat en zone urbaine. Nous avons d’ailleurs à disposition des équipements de simulation sophistiqués et des villages d’exercice parmi les plus modernes d’Europe. Alors bien sûr, comme dans toutes les grandes organisations, il y a une certaine inertie. Mais c’est le GSSA qui retarde d’une guerre. Sans doute parce qu’il y a longtemps qu’aucun de ses membres n’a mis les pieds à l’armée…
Si l’armée s’est adaptée à l’évolution des menaces, elle ne peut évidemment pas, comme le souhaiteraient certains, abandonner toute composante défensive. Parce que l’armée n’est pas la protection civile et qu’une fois perdues, il faut des dizaines d’années pour acquérir de nouveau ces compétences. Or, l’avenir n’a jamais été aussi flou : révolutions, globalisation, crises économiques, changement climatique, émergence de nouvelles puissances. Tout est en mouvement. Il est impossible d’affirmer que le « Sonderfall » suisse sera encore une réalité dans 10 ou 20 ans. Surtout au milieu d’une Europe en crise.
En fait, les difficultés rencontrées par l’armée ont avant tout des causes politiques. Nos parlementaires semblent incapables d’avoir un débat constructif quant à l’avenir de l’institution. La gauche veut supprimer l’armée, l’UDC défend une vision étriquée de la tradition, et le centre-droit ne propose aucune alternative. Au fil des années, l’armée est devenue le parent pauvre de la politique fédérale. Le département revient souvent au plus mauvais conseiller fédéral et l’on rogne toujours le budget de la défense lorsque la Confédération a besoin de faire des économies.
On peut discuter du coût et des missions de l’armée et même de son utilité. Seulement, à un moment, il faut trancher et laisser l’armée faire sont travail sereinement. On ne peut pas avoir en permanence un climat délétère autour de cette question. Ne serait-ce que par respect envers les citoyens à qui l’on demande de donner de leur temps et de leur personne pour la sécurité collective. Ce climat, le GSSA en fait son fond de commerce et l’entretient avec habilité. La réussite de leurs initiatives ne se mesure pas dans les urnes, c’est avant tout un moyen d’user l’armée, de l’obliger sans cesse à se justifier, d’insinuer le doute et la confusion dans la tête des gens. Pour devenir officier, l’une des premières choses que l’on nous apprend, c’est à être proactif : anticiper et aller au devant des problèmes. L’armée subit depuis trop longtemps, elle ne peut plus rester dans les cordes, et pour reprendre la main, elle doit ouvrir le champ des possibilités.
Par exemple, imaginer l’armée dans le cadre plus large d’un service citoyen, auquel les femmes seraient astreintes. Généraliser le « service long » pour délester les entreprises et permettre de mieux concilier armée, études et vie professionnelle. Assouplir la neutralité et mener davantage d’opérations à l’étranger sous l’égide de la communauté internationale. Il ne faut donc pas voir l’obligation de servir comme une contrainte mais plutôt comme une opportunité. Un moyen d’affirmer, une fois encore, que le citoyen suisse n’est pas un citoyen comme les autres. Plus qu’un consommateur ou un simple contribuable, on lui demande de participer activement et à tous les niveaux au bon fonctionnement de son pays.
J'étais sous-officier de circulation a l'armée et travaille actuellement dans un corps de police. Si la suisse a besoin d'une…