International Le 31 octobre 2013

Outre-mer, mer profonde et souveraineté: une opportunité pour la recherche scientifique française

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Outre-mer, mer profonde et souveraineté: une opportunité pour la recherche scientifique française

Ilôt tropical de l’océan Indien © Jean-Baptiste Bing

Depuis quelques années, l’ONU s’est lancée dans une réévaluation des zones maritimes nationales. Une partie de ce grand chantier géopolitique porte sur l’extension des droits économiques au plateau continental. Les enjeux ne sont pas minces, tant en termes de souveraineté (quoique celle-ci soit limitée) qu’en termes économiques en raison des ressources naturelles potentiellement recelées. Mais un autre domaine est concerné : la recherche scientifique, fondamentale comme appliquée. Dans le cas français, l’opportunité est considérable, car la France possède le second domaine maritime au monde (après les États-Unis, mais devant l’Australie, la Russie, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie et le Royaume-Uni). Des cinq marines dont elle dispose (militaire, de pêche, marchande, de plaisance, scientifique), la dernière n’est d’ailleurs pas la moins performante : elle dispose de technologies de pointe, de centres de recherche (en métropole et dans les collectivités d’outre-mer), de bases locales (Terres australes et antarctiques françaises), de canaux de vulgarisation multiples et de projets d’application nombreux.

Par ailleurs, l’outre-mer pourrait devenir un domaine majeur de la projection mondiale de la France : sa position géographique fait d’elle l’un des rares États présents dans le monde entier, et la rend capable de développer des projets internationaux et transfrontaliers de coopération scientifique. À ce titre, la Guyane offre un exemple particulièrement frappant. Grâce à elle, l’Europe dispose, sur le territoire d’un des États membres de l’Agence spatiale européenne, d’une fenêtre de tir idéale pour lancer ses engins spatiaux. Cet atout ne peut être négligé : la Russie, qui doit tenir compte de la souveraineté du Kazakhstan sur Baïkonour, loue d’ailleurs depuis peu les équipements européens pour certains tirs. Ce type de science lourde n’est pas sans rappeler le CERN, sis de part et d’autre de la frontière franco-suisse, mais surtout fruit des moyens mis en commun par plusieurs dizaines de nations qui l’ont rendu capable d’apporter à l’humanité, outre de brillantes découvertes, une technologie comme le world wide web.

Mais cette approche ne saurait suffire : en dépit – et peut-être même à cause – des capitaux investis dans le centre spatial de Kourou, la Guyane reste totalement dépendante de la métropole. En termes d’institutions scientifiques propres, elle ne dispose que d’une université qu’elle partage avec l’ensemble des Antilles françaises (soit trois régions). Or, la Guyane mérite l’attention pour elle-même : maritimes, côtières ou terrestres, les dynamiques médiales qui se jouent sur un aussi grand territoire ont peu à voir avec celles de petites îles comme la Guadeloupe ou la Martinique. Une meilleure connaissance de l’Amazonie, notamment, pourrait mobiliser une forte collaboration internationale avec les pays de la région (les frontaliers Brésil et Surinam en premier lieu). Les chercheurs de toutes les sciences de la terre, de la vie, de l’homme et de la société y ont de quoi travailler durant des générations – pour peu que ladite forêt soit bien gérée et protégée, ce qui est un autre aspect de la question…

Cependant, la recherche dans les domaines maritimes et/ou d’outre-mer paraît étrangement absente des préoccupations des Français. Dans le premier cas, elle passe généralement pour du folklore où se mêlent le bonnet du commandant Cousteau et les journalistes de Thalassa ; dans le second,  s’invitent des images bien réductrices de cocotiers, de Marche de l’empereur et de mauvaise conscience postcoloniale qui, là encore, évoquent assez peu une recherche tournée vers l’avenir et la performance. Le contraste est grand entre ces préjugés d’une part, et le besoin de spécialistes nombreux et aux compétences variées dû à l’étendue des zones concernées et à la  grande diversité des milieux rencontrés (des tropiques aux pôles) d’autre part.

D’autres pays sont également conscients des formidables possibilités offertes par une extension de leur puissance outre-mer. Ainsi, la Chine, cette anti-impérialiste autoproclamée, affiche des ambitions nationalistes et maritimes de manière parfois très dure (en mer de Chine du Sud) et toujours très offensive (dans l’océan Indien). En matière d’outre-mer, la France doit défendre ses positions et rien n’est anecdotique. Cette année encore, la Polynésie française a été réintégrée par l’ONU sur la liste des « territoires à décoloniser ». Quant à l’île Tromelin, elle a failli faire l’objet d’un partage de souveraineté avec Maurice : il a fallu l’intervention d’un député pour amener la question à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale… Ce cas ne constitue pas une première en matière d’abandon faute d’intérêt. Au contraire, d’une manière générale, la France a rarement montré volonté et constance dans sa présence outre-mer ; les économies de bouts de chandelle militaires, le laisser-traîner administratif et les volte-face diplomatiques dominent même largement depuis l’ère des « grandes découvertes » jusqu’à nos jours.

Que l’outre-mer français ait besoin de se décoloniser (encore faudrait-il s’entendre sur ce terme…) est une chose ; que cela passe par un abandon de souveraineté en est une autre. La France devrait apprendre à se penser autrement que comme un État forcément centralisé si elle veut cesser de traîner comme un boulet budgétaire les collectivités d’outre-mer. Celles-ci ont besoin d’autonomie économique par rapport à la métropole et d’intégration régionale. Y développer des institutions scientifiques performantes aux programmes axés sur les coopérations régionales est une piste intéressante. Et si l’extension de la zone de souveraineté française sur les plateaux continentaux n’en est pas une condition nécessaire, elle peut néanmoins fournir une bonne occasion de s’y lancer.

Naviguer dans les relations internationales où, régulièrement, des pays se menacent et s’affrontent pour une poignée de cailloux (Espagne/Maroc, Chine/Japon,…) relève du défi, particulièrement à un moment où les Français manquent de confiance en eux-mêmes et en leur gouvernement. Pourtant, la France dispose de fortes potentialités à développer dans cet outre-mer, même si elle a la mauvaise habitude de les laisser stagner, voire de les gâcher depuis des siècles. De nos jours, la science ne progresse que par le partage du travail ainsi que des découvertes… et la connaissance vaut de l’or ! Dans un tel contexte, développer des projets communs avec nos voisins d’Europe, d’Amérique et des océans Indien et Pacifique semblerait plus judicieux que pleurer sur la crise ou se créer à bon prix des « amitiés » en cédant des parcelles de territoire.

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