Coups de coeur Le 26 janvier 2015

Aux origines du « libéralisme réellement existant »

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Aux origines du « libéralisme réellement existant »

« L’Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale », Jean-Claude Michéa (philosophe français), Flammarion, 2011, 209 p.

« Le libéralisme politique de Benjamin Constant1 n’est jamais un aller simple. Il inclut toujours, qu’on le veuille ou non, le retour à Adam Smith2 ». Quelles sont les bases de nos sociétés modernes occidentales ? Qu’est-ce qui a façonné, du point de vue historique, le monde capitaliste contemporain3 dans lequel nous vivons ?

Teinté d’une inévitable fatalité, L’Empire du moindre mal  tend à démontrer que ce capitalisme contemporain constitue la seule forme historique à laquelle la philosophie libérale des Lumières (17ème siècle)4 ait pu donner naissance. En d’autres termes, un genre d’accomplissement logique résultant d’une doctrine libérale originelle. Cette dernière incarnait déjà à l’époque les prémices du libéralisme politique et celles du libéralisme de marché modernes. En somme, les deux versions complémentaires du libéralisme en vigueur aujourd’hui.

Dans son essai, Jean-Claude Michéa traite dans un premier temps du libéralisme actuel par l’avènement, au 18ème siècle, de son versant politique: un État idéologiquement neutre garantissant la liberté de choisir (son mode de vie) pour tous, tant que ce choix ne nuit à personne. L’instance supérieure tenue de réglementer l’ensemble de ces libertés est le droit libéral5. Benjamin Constant évoquera par ailleurs lors d’un discours6 : « Prions l’autorité de rester dans ses limites ; qu’elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d’être heureux ». Évidement, un panel infini de problématiques découle de cette intention. Malheureusement, elle est illustrée de nos jours notamment par l’extension des droits individuels qui semble illimitée (« droit des minorités », conflits religieux, etc.). Quant au libéralisme de marché, le même principe de liberté entre en jeu, mais destiné à l’économie (libération intégrale des échanges économiques) et à sa croissance illimitée. En conférant en plus à cette dernière le pouvoir étonnant d’éduquer les hommes, dans l’objectif d’une paix durable7. À ce titre, il est intéressant de lire les convergences effectuées par les libéraux de l’époque entre la morale et les propriétés matérielles. Selon Frédéric Bastiat8, sous l’effet de la croissance illimitée « créatrice d’emplois et de richesses », les humains deviendraient honnêtes, solidaires et généreux.

En citant entre autres Benjamin Constant et Frédéric Bastiat, Jean-Claude Michéa pointe du doigt l’impossibilité de transposer concrètement à la réalité un raisonnement ou des principes théoriques. Face à cette impasse, les deux versions du libéralisme s’en remettent à des mécanismes immanents (conçus sur le modèle physique des poids et contrepoids) chargés de maintenir un équilibre et de régler les conflits non résolus. La théorie de l’ajustement s’applique alors au libéralisme politique (l’équilibre entre les libertés) et la main invisible d’Adam Smith (lois autorégulatrices du marché) au libéralisme de marché.

En règle générale, un essai favorise l’émergence de concepts. Mais de par sa nature littéraire, aucune recherche empirique ne valide les thèses avancées dans ce type d’ouvrage. De ce fait, si L’Empire du moindre mal ne peut prétendre à une explication tangible de l’évolution de notre société moderne, il en propose néanmoins une interprétation très intéressante.

 


1. Intellectuel français, d’origine vaudoise, du 18ème siècle.

2. Économiste britannique du 18ème siècle.

3. Selon Jean-Claude Michéa, « le libéralisme réellement existant »

4. La genèse de cette philosophie est détaillée dans le livre. En résumé, elle émane de la crainte d’une nouvelle forme de guerre (guerre civile) extrêmement dévastatrice. La volonté d’éviter les affrontements meurtriers et de « vivre en paix » façonnera idéologiquement le courant libéral dans la culture occidentale moderne.

5. « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » demeure l’axiome libéral par excellence.

6. La liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, discours prononcé à l’Athénée royal de Paris, en 1819.

7. Le premier projet de « paix universelle » paraît en 1623, rédigé par Emeric de la Croix (moine français du 17ème siècle). Des parallèles entre une paix généralisée et la liberté du commerce y figuraient déjà.

8. Économiste français du 19ème siècle

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