Partie 1: « MONTE DANS LA DELO’, J’VAIS DANS LE FUTUR »
Partie 2: « VULGAIRE, FAUTES DE GRAMMAIRE »
DeLorean enclenchée. Avant d’entrer dans le vif du sujet, à savoir les textes de Booba dans son dernier album « Futur », précisons 2-3 éléments techniques propres au Rap. Basiques. À la différence du Chanteur, qui construit des mélodies et harmonies, le Rappeur construit un flow. Le flow est en fait la manière qu’il aura de scander ses textes, de débiter ses phrases. Quelle vitesse ? Quelles intonations ? Quelle rythmique ? Le Rappeur se pose ce type de questions pour essayer de faire en sorte que ses paroles collent le mieux à la musique, le beat. Avoir un bon flow est aussi important qu’avoir de bons textes, si ce n’est plus. Des lyrics bien écrits seront en effet inaudibles, une fois (des)servis par un flow inadapté.
On voit déjà revenir là les soi-disant « puristes », consternés par la première partie de cet article, et désireux d’en re-découdre. « Quoi ?! Le flow plus important que les paroles ?! Jamais ! Le Rap, c’est fait pour transmettre un message, revendiquer ! »… Salades. Le Rap est un genre musical. Qui dit musique, dit musicalité. L’impératif du flow s’inscrit donc dans la droite lignée du respect de cet art. Toutefois pas d’inquiétude, ô pourfendeurs de la mélodie et du rythme… Pour vous, il reste le Slam1.
Mais ne vous y trompez pas, cependant. Cette petite introduction sur l’importance du flow ne doit en aucun cas être entendue comme un mépris des belles paroles. Au contraire. Elle servira pour la suite de cette partie à expliquer certains choix faits par le rappeur Booba. Judicieux.
Examinons les donc, ces fameux textes. Ou pas encore. On fera ici une dernière précision, et non des moindres. Le Rappeur, en plus de se chercher un bon flow, essaie d’écrire des punchlines. « Lignes coup de poing ». Une punchline, c’est ce genre de phases, de phrases, qu’on retient dès la première écoute. Boom. Pause. On rembobine. Et lorsqu’on est sûr de l’avoir bien comprise – car il y a des punchlines à retardement, celles qui font vraiment mal – on la poste alors sur Facebook. Sur Twitter. Booba, pour en revenir à lui, est l’exemple paradigmatique du punchliner en série. Comme dit dans la partie précédente, les réseaux sociaux sont constamment parsemés de citations de l’artiste.
Alors pourquoi « Grammaire du Futur » ? Parce que. Parce que, comme on l’a avancé, B2O a depuis quelques temps remanié la grammaire française à sa sauce, remixé la syntaxe. Rappel (ou information). Selon le Larousse, la grammaire est l’« ensemble des structures linguistiques propres à telle ou telle langue ; description de ces structures et du fonctionnement de cette langue »2. Le français ici. Et la syntaxe ? « Partie de la grammaire qui décrit les règles par lesquelles les unités linguistiques se combinent en phrases »3. Par « unités linguistiques », entendez des mots, ou groupes de mots.
Élie Yaffa, lui, des règles, il n’en a que faire. Petit retour en 2010. Album « Lunatic ». Dans « Killer », le Météore (autre de ses alias) dit : « Alors je ferme les yeux, je plane/ Traverse nuage de fumée, seul dans ma fusée ». Wow. On assiste là à une forme nouvelle de syntaxe, en musique. Certains mots ont été éliminés. En 2011, rebelote. Sur sa mixtape « Autopsie 4 », parlant de son meilleur ami décédé Bram’s (RIP), il scande : « On a perdu meilleur soldat, j’suis blasé de la life ». Encore. Puis encore. Petit à petit, B2O construit sa nouvelle grammaire. Une manière novatrice de composer ses phrases… Une « Grammaire du Futur ».
Car oui, c’est clairement avec « Futur », son sixième album, que l’artiste instaure cette syntaxe de l’espace comme sa marque de fabrique. Sur trois-quarts des titres en effet, et plusieurs fois par morceau, le rappeur réinvente la langue française, et élimine les mots qui ne lui conviennent pas : les déterminants. Morceaux choisis. Dans « Caramel » :
« L’argent est gagné salement, les sommes sont colossales/
Chevaux noirs dans moteur allemand, ma rage est coloniale ».
Dans « Pirates » : « Menotté au radiateur, je ne sais que nier/
Pirate n’a jamais mal au cœur sur océan de billets ».
Et : « Combien ont voulu me dénoncer, m’arrêter dans ma lancée/
Car on sait qu’j’pèse comme fiancé de Beyoncé ».
La langue française est connue pour sa grande subtilité. Également son manque d’efficacité peut-être. Booba l’a bien compris, lui. Ainsi, lorsqu’il considère que les déterminants, ces petits mots non indispensables à la compréhension globale, pourraient nuire à son flow – question de syllabes, de rythme – ou qu’ils pourraient diluer l’impact d’une punchline – question de sens entre autres – il ne les utilise tout simplement pas.
Dans « 1.8.7 », où l’Américain Rick Ross l’accompagne, il clame encore:
« La drogue c’est compliqué donc je l’ai détaillée/
Criminel en stage enfermé dans cage d’escaliers ».
Comme en témoigne cette collaboration, le rappeur français a les yeux tournés vers les États-Unis. Il ne s’en cache pas. Il habite même une grande partie de l’année à Miami. Parler couramment la langue de Shakespeare l’a visiblement influencé. En anglais en effet, les déterminants sont beaucoup plus rares, voire inexistants. L’expression « Street is watching », par exemple, sonne beaucoup plus direct que la traduction française « la rue est en train de regarder ».
Mais retournons à un peu de théorie. Selon le Bescherelle – référence en matière de langue française, qu’Élie Yaffa lui-même a pu citer par le passé4 – « le groupe nominal minimal est formé d’un déterminant et d’un nom »5. Hormis le nom propre, qui se présente souvent sans déterminant, le nom commun ne peut venir seul que dans certains cas. Lorsqu’il est attribut du sujet : « Sa fille est journaliste ». Lorsqu’il est apposé à un autre nom : « Booba, rappeur franco-sénégalais, […] ». Quand il est épithète et fait office d’adjectif : « un remède miracle ». Quand il est employé en apostrophe, pour interpeler quelqu’un : « Garçon, deux cafés s’il vous plaît ! ». Lorsqu’il est placé derrière certaines prépositions, et uniquement au sein d’un complément de phrase (ou complément circonstanciel) : « Il aime se promener sans but » ou « Il jardine avec plaisir ». Dans des locutions verbales encore, où le verbe et son complément forment un bloc et fonctionnent comme un verbe : « avoir tort ». Dans les énumérations et coordinations : « Talent, travail et chance sont la clé de la réussite ». Et dans certaines expressions figées enfin : « Il y a anguille sous roche »6. Bien…
La Grammaire du Futur de Booba, elle, ne respecte aucune de ces règles. Style télégraphique, totalement épuré. Le rappeur choisit effectivement d’utiliser des noms communs délaissés de leurs déterminants, dans des cas de figure n’entrant dans aucune des catégories admises par le Bescherelle. Non. C’est droit au but. Zéro futilité. Zéro fioriture. L’esthétique y gagne. Le message est tout aussi bien compris, si ce n’est mieux. Dans « Kalash » par exemple, épaulé par le ténébreux Kaaris, B2O tire : « Wouallah j’suis frais, j’suis nickel/ Tirelire est pleine, j’ai haine habituelle ». Dans « Tout c’que j’ai » aussi :
« Faire du blé, c’est ça qu’on fait/
Crime paie plus que B.E.P., c’est ça qu’on sait ».
Dans « Futur » enfin, morceau éponyme, le Météore
« Traverse constellations, envoie MC’s en congélation »,
et « […] attaque comme lion croque à la ge-gor ».
Bien reçu. Cette illustration démontre une dernière fois l’efficacité et la beauté d’une telle construction syntaxique. Précisons ici que la liste des citations invoquées n’est point exhaustive, et que l’album regorge de ces punchlines grammaticalement novatrices.
Ainsi, on conclura cette seconde partie en réaffirmant que Booba révolutionne la langue française. Oui Monsieur. Efficacité et compréhension facilitée, esthétique et rythmique. Le parlé de Molière en ressort certainement gagnant. Sans appel, dans le domaine musical du moins. Ajoutons à cela que B2O a beaucoup d’influence sur les jeunes (et moins jeunes) dans leur quotidien, c’est indéniable. Combien de « Morray », de « IZI », n’entendez-vous pas tout autour de vous ces derniers temps? À l’école, probablement que les professeurs de français ne seront pas ravis de découvrir des dissertations remplies de phrases sans déterminants. Dans un autre registre en revanche, à une époque où les réseaux sociaux gouvernent, cette Grammaire du Futur permet notamment aux utilisateurs de Twitter d’économiser de précieux caractères. Et par la même, de ne plus malmener l’orthographe, trop souvent reléguée au second plan. Puis, qui sait ? Dans quelques années, toujours plus pressés, on écrira et parlera peut-être tous comme ça…
Bref. Ce n’est pas tout. Dans la prochaine partie de cet article – la troisième – on reprendra encore les textes de Booba. L’on s’attaquera cette fois non plus à sa grammaire en général, mais à ses figures de style, plus précisément. Métaphores, « métagores », comparaisons, allitérations, assonances, ou encore Supa Dupa Flow. Rendez-vous donc dans deux jours pour toujours plus de punchlines du « Futur »… Le Rap, c’était mieux après ?
Partie 3: « GROS CHÈQUES, MALGRÉ ÉCHEC SCOLAIRE »
[1] Cette invective ne vise bien sûr pas les Slammeurs. Respect à eux!
[2] LAROUSSE, Définition: Grammaire, accessible à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/grammaire/37802#37745 (consulté le 27.12.12)
[3] LAROUSSE, Définition: Syntaxe, accessible à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/syntaxe/76217 (consulté le 27.12.12)
[4] “J’passe sous les échelles, un flingue caché dans l’Bescherelle”. Album “Ouestside”, titre “Gun in Hand” feat. Akon, bridge de fin.
[5] BESCHERELLE, La Grammaire pour Tous, Hatier, Paris 2012, p.47
[6] ibidem, pp. 35-44 et pp. 74-75
C'est pas parce'que des rappeurs utilisent des «beaux» mots qu'utilisaient les poètes qu'ils sont meilleurs lyricalement. Je suis sur que…