En 2004, quand la Grèce avait soufflé l’Euro de foot à tous les favoris – Espagne, Allemagne, France, Portugal – j’ai rigolé. D’accord, le jeu proposé n’était pas flamboyant, mais c’était tellement drôle de voir une petite équipe sur qui personne n’aurait misé rafler cette saloperie de potiche… Ça n’arrivait peut-être pas à la hauteur de la réalisation du Danemark en 1992 (qui, pour rappel pour les plus jeunes, s’était pointé à la dernière minute, sans préparation, et avait enquillé le trophée presqu’en buvant l’apéro) – mais pas loin.

Tiens tiens, Danemark 1992, ça ne vous dit rien ? Le traité de Maastricht, refusé par les Danois… Moyennant un rhabillage de façade, hop ! On leur a fait avaler un an après. Marrant, non, comme les choses se répètent ? Le traité de Lisbonne – déjà une belle manière de passer par-dessus les « non » français et néerlandais au référendum sur le traité constitutionnel – et les Irlandais, en 2008-2009 même procédure… Tu dis non ? On te force à ingurgiter la potion malgré tout…

Soyons franc : à ce fameux traité donnant Constitution à l’Union, en 2005, j’avais voté « oui ». Pire encore : je suis de sensibilité plutôt libérale, au sens anglo-US – ou ancien – du terme. Pas « néo » libéral, donc, ni libertarien, ou tenant de tous ces extrémismes économiques, qui veulent nous faire croire que la société et les « groupes intermédiaires » n’existent pas ou que l’humanité doit être régie par la loi de la jungle. Libéral, c’est-à-dire convaincu que les choix individuels (en termes économiques bien sûr, mais aussi de mœurs, d’idées, de croyances, etc.) sont le moins pire des moyens pour arriver à bâtir un monde vivable où chacune et chacun se tolèrerait à peu près. Pas très exaltant, je le reconnais : le petit matin ça fait moins rêver que le « grand soir » ou le « grand midi »… Bref, je puise mes références politico-économiques chez J.F. Deniau et A. Sen plus que chez J.C. Michéa (sauf pour les questions de foot¹, on y revient).

Et avec ces petits yeux libéraux, que voit-on à propos de la situation actuelle de la Grèce et de ce qui en est dit ? Les médias nous serinent en permanence que les Grecs « doivent à chaque Français » environ 700 €². Ciel, je tremble ! Effectivement, ce n’est pas une somme négligeable, loin de là : plus d’un demi-SMIC mensuel, pour celles et ceux dont le salaire est faible, ça met plus que du beurre dans les épinards… Mais dans l’affaire qui oppose aujourd’hui la Grèce à la « Troïka », je crois qu’il se joue quelque chose de plus profond : le sens de l’Union européenne, la liberté des peuples face aux institutions. Qui dispose de la souveraineté sur un pays : le peuple qui y vit, ou ses créanciers ? Quel est le but de l’Union, faire tourner des machines financières détachées de l’économie réelle (la seule qui vaille, et pour laquelle les banques sont indispensables³ – sans pour autant pouvoir prétendre dicter l’alpha et l’oméga de la politique, le bien ou le mal) ou assurer à tous les citoyens européens (Grecs compris) un espace de paix et de prospérité ?

Parce que question prospérité, il me semble que le Grecs la voient de loin… Leurs dirigeants ont, il y a quinze ou vingt ans, menti et truqué les chiffres pour pouvoir intégrer la monnaie unique⁴ ? Mais alors que ces dirigeants soient arrêtés et traduits en justice ! Eux sont – peut-être – coupables, mais il me semble que la « culpabilité collective » d’un peuple n’existe pas…

Allez, les Grecs ! La souveraineté d’un peuple et la démocratie valent plus que les 650 ou 750 € que vous nous « devez » ! Le projet d’unité de l’Europe et les libertés individuelles valent plus que ce que Junker, Lagarde et d’autres bureaucrates osent appeler « libéralisme »⁵. Vous avez porté au pouvoir un Premier ministre courageux et tenace, soutenez-le : il a, au sujet de votre avenir, au moins autant de légitimité que bien d’autres grands dirigeants qui lui font la leçon – je pense notamment au nerveux mégalo que nous avons éjecté de l’Élysée en 2012 et au flan mou par lequel nous l’avons remplacé…

Pré­sen­ta­tion de la démarche de l’auteur et appel à contri­bu­tion :
“Cho­ra­gra­phies [Intro­duc­tion] – Mani­feste pour une géo­gra­phie de trottoir”

Épisode 1 : “Cho­ra­gra­phies 1 – Gunung Kaba (Suma­tra), un champ d’expérimentation pour les spé­cu­la­tions métaphysiques ?”

Épisode 2 : “Cho­ra­gra­phies 2 – Ciel noc­turne et belle lumière glauque, ou balade d’un insomniaque”

Épisode 3 : « Choragraphies 3 – Plaidoyer pour la laïcité »

1. Cf. http://www.sofoot.com/jean-claude-michea-je-suis-un-supporter-de-la-paillade-depuis-plus-de-30-ans-183259.html. Pour vos lectures d’été, je vous conseille d’ailleurs ce joli petit bouquin de Michéa : Les intellectuels, le peuple et le ballon rond. Pour se rappeler que le foot, ça n’est pas seulement les magouilles de la FIFA ou toutes les saloperies de la Ligue française, mais aussi – tout simplement – un jeu bien plaisant.

2. De la presse de caniveau (http://www.metronews.fr/conso/grexit-dette-non-remboursee-impot-la-faillite-de-la-grece-va-t-elle-vous-couter-750-euros/mofC!IAJPQIQ49c/) aux journaux spécialisés (http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20150205trib2c6f85623/ce-que-couterait-vraiment-aux-contribuables-l-annulation-de-la-dette-grecque.html).

3. Autre lecture d’été, un petit chef d’œuvre de vulgarisation : L’archipel des Sanzunron (37^ème tome de la série Achille Talon) par Greg.

4. Pour un rappel du processus ayant conduit la Grèce à entrer dans la zone Euro, cf. http://www.slate.fr/story/46035/grece-entree-zone-euro. Sur les chiffres falsifiés, cf. http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20120309trib000687366/quand-goldman-sachs-aidait-la-grece-a-tricher-pour-600-millions-d-euros-.html.

5. Sur les enjeux du referendum grec, des centaines de pages ont été écrites. Voici, pour se faire une idée des diverses opinions, quelques articles : http://www.causeur.fr/grece-referendum-euro-crise-33588.html, http://www.causeur.fr/grexit-tsipras-communiste-33559.html, http://blog.mondediplo.net/2015-04-06-Lecons-de-Grece-a-l-usage-d-un-internationalisme, http://blog.mondediplo.net/2015-06-29-L-euro-ou-la-haine-de-la-democratie, http://bourse.lefigaro.fr/indices-actions/actu-conseils/le-scenario-des-analystes-financiers-sur-le-referendum-grec-de-dimanche-4359738. Il en existe bien d’autres…