Société Le 24 septembre 2017

Choragraphies 5 – Mouvance 1218: les TPG sont mon Ariane

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Choragraphies 5 – Mouvance 1218: les TPG sont mon Ariane

Lieu-dit (en un dialecte qui reste à définir…) « La croisée des rails ».  [JB Bing 2016]


Dans le 5e épisode de sa « géographie de trottoir », Jean-Baptiste Bing nous propose une « traversée de la Suisse », via un itinéraire pédestre le long des lignes de tram genevoises 12 et 18. Entre gaz d’échappement et gazouillis des oiseaux, suivez le guide!


 

Mouvance 1218. Non, il ne s’agit pas d’une association destinée à concurrencer la Compagnie 1602. Ni d’une comparaison entre les performances de la fusée européenne et celles de la régie de transports – quoiqu’en nombre de kilomètres parcourus chaque année par l’ensemble de la flotte, je ne crois pas que les TPG aient à rougir de leur chiffre…

Il s’agit juste d’un itinéraire reliant la douane de Moillesulaz à celle de Meyrin, au long duquel (exceptés, en l’état actuel des choses, les quelque dizaines de mètres situés par-delà la station CERN) les rails des lignes 12 et 18 du tram servent de fil d’Ariane – attention à ne pas rater le changement à Bel-Air ! Cette traversée du canton (« de la Suisse » pourrait-on dire avec un peu de mauvaise foi, puisque le trajet relie la Haute-Savoie à l’Ain…) offre au marcheur un parcours pittoresque lui permettant de découvrir une multitude de paysages urbains et périurbains : centre-ville animé, banlieues chics aux vastes villas entourées de jardins (Chêne-Bougeries), anciens villages restaurés avec cachet (Meyrin), grands ensembles très vintage Trente-Glorieuses entourant Balexert.

On s’en doute : tout au long de cette randonnée urbaine, le marcheur entendra plus le bruit des voitures que le chant des oiseaux (quoique celui-ci ne sera pas complètement absent…) et respirera plus le parfum des gaz d’échappement que celui de la terre fraîche. De plus, il goûtera rarement à une solitude bienfaisante, la palme de l’encombrement revenant à la rue du Rhône, plus encombrée encore que le passage sous la gare Cornavin… (N.B. : celui-ci peut être évité, en coupant par l’arrêt de bus 22-Cantons ou par le passage des Grottes – raccourcis à réserver aux aventuriers car il faut alors lâcher le fil d’Ariane quelques minutes, et risquer de s’égarer dans cette jungle urbaine !). En revanche, alors que ces étapes exigent un talent de slalomeur proche de celui mis en œuvre par un rugbyman voulant échapper au placage, par-delà Balexert, exception faite de quelques joggers et cyclistes, l’Homo sapiens (surtout de variété pietonibus) apparaît comme un animal étrange, errant, perdu au milieu des véhicules qui fusent à ses côtés, au-dessus de lui (les couloirs aériens), voire sous lui (l’autoroute).

Paysages sans charme ? Que non pas ! Certes il témoigne que l’urbanisation – pour être plus juste la périurbanisation – des dernières décennies a, en dépit des propos que l’on peut lire, assez largement privilégié les transports motorisés à la mobilité dite « douce »1 (assez curieusement d’ailleurs : au bout de treize kilomètres mal chaussé, après avoir manqué plusieurs fois d’être dégommé par un cycliste et avoir chu dans un buisson – interrompant ainsi la contemplation d’un avion au décollage –, la raideur des chevilles et les épines dans les bras inciteraient à choisir un autre adjectif !). L’on peut cependant trouver un certain charme à ces équipements. Au sein du « tiers-paysage » cher à Gilles Clément, où se recroquevillent de petits recoins de nature (talus d’autoroute, pelouse d’aéroport…), il est également possible d’observer d’assez beaux jeux de lumière produits par les phares des voitures, les immeubles et les chantiers éclairés. À la nuit tombée, à défaut d’un ciel étoilé que masque la pollution nocturne, la poétique relève ici davantage de Renaud que de Rousseau.

Celui-ci a tout de même sa part, avec les perspectives ouvertes (quand il fait beau…) sur le Jura et le Salève, avec les nombreux jardins (dont le Jardin alpin) que l’on croise et dont certains arbres – des cèdres en particulier – atteignent une stature remarquable, avec enfin les zones agricoles qui subsistent autour de Meyrin.

Arrivée au CERN. Face à un paysage aussi féérique, le voyageur se sent transporté par la sensation d'être allé au bout de lui-même et de la Suisse à la fois. [JB Bing 2015]

Arrivée au CERN. Face à un paysage aussi féérique, le voyageur se sent transporté par la sensation d’être allé au bout de lui-même et de la Suisse à la fois. [JB Bing 2015]

 

Avant de partir – ou après le retour

– Temps nécessaire : la balade fait un peu plus de 13,5 km. Il faut donc compter 2h30 à 3h de marche. Plus si l’on veut s’arrêter, prendre son temps, flâner… ou faire du lèche-vitrine.

– Variante possible : on peut opérer semblable traversée de la Suisse en seulement 3 km, en allant de la douane de Valleiry au pont de Pougny, via Chancy.

– Pour se garer : Gaillard compte un certain nombre de parkings ; de nombreuses petites rues sont en outre dotées de places.

– Pour se ravitailler : ayant effectué ce trajet un samedi, j’ai croisé un marché à Gaillard (à deux pas de la douane) et un autre du côté de Rive. Les boutiques et épiceries sont nombreuses dans le centre-ville et à Moillesulaz. En revanche, au-delà de Balexert elles se font rares…

– Pour prolonger cette balade : dans White trash (roman de John King), Rubbie se repose de son difficile métier d’infirmière en s’isolant près de l’autoroute ou, avec son amoureux, près de l’aéroport ; plus théoriques, les essais de Pierre Sansot (Variations paysagères et Poétique de la ville) introduisent du vécu et du quotidien dans l’étude des paysages et l’urbanisme, et les travaux de Gilles Clément élaborent le concept de « tiers-paysage ».

– Un dernier conseil pour la route : avant de partir assurez-vous d’avoir de quoi payer le tram, faute de quoi vous aurez en plus la joie d’effectuer aussi le trajet retour à pied – ce qui est légèrement vexant.


1. Trois  exemples récents de réflexions/polémiques/débats/engueulades/couillonnades (rayez les mentions inutiles) à ce sujet : https://www.tdg.ch/economie/Un-genie-breton-lance-un-projet-de-taxibateau/story/24230498 ; https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/pont-prefere-traverser-lac/story/13690242 ; https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/La-tolerance-de-l-Etat-envers-les-scooters-suscite-la-polemique/story/11076410.


Pré­sen­ta­tion de la démarche de l’auteur et appel à contri­bu­tion :
“Cho­ra­gra­phies [Intro­duc­tion] – Mani­feste pour une géo­gra­phie de trottoir”

Épisode 1 : “Cho­ra­gra­phies 1 – Gunung Kaba (Suma­tra), un champ d’expérimentation pour les spé­cu­la­tions métaphysiques ?”

Épisode 2 : “Cho­ra­gra­phies 2 – Ciel noc­turne et belle lumière glauque, ou balade d’un insomniaque”

Épisode 3 : « Choragraphies 3 – Plaidoyer pour la laïcité »

Épisode 4 : « Choragraphies 4 – Allez la Grèce ! »

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