Qu’y puis-je, si on dit “un Don Juan” et “une pute” ? © www.charentelibre.fr
Ce texte est une réponse à l’article de Jean-Baptiste Bing intitulé « Merdre à la féminisation abusive! », publié sur Jet d’Encre le 2 juin 2014.
Cher JBB,
Comme Desproges, je dis « merci d’avoir fait sous toi », car tu m’offres ce soir, alors que j’avais justement que ça à foutre (ça te dérange pas si je dis foutre ?), un tremplin à ma haine misandre et d’avance, pardon, tu vas payer pour les autres.
Alors, je vais commencer par ce que j’aime dans ton article. Quand tu dis que t’es pas contre les anglicismes, je suis d’accord avec toi. La langue se renouvelle, le « vocabulaire » du moins, là-dessus on est beau bien.
Mais, JBB mon lapin (encore Desproges), tu dis quand même pas mal de conneries.
Connerie numéro un : il est possible que tu crois être à contre-courant avec ton billet, alors que tu prends totalement le flot de la pensée populaire proclamant que « le féminisme va trop loin ». Ton billet est conservateur et il se revendique comme conservateur. Tu brosses les dominants dans le sens du poil et tu critiques les dominées. Tu n’es pas original, tout le monde est d’accord avec toi.
Connerie numéro deux : « respecter ladite convention permet tout simplement de se comprendre ». Vous devez pas lire Butler en géographie. Le langage est politique lapin, les conventions ont été édictées pour formaliser les rapports de pouvoir. Est-ce que tu sais pourquoi le masculin, dans notre langue, l’emporte sur le féminin ? Parce que le masculin l’emporte sur le féminin tout court. Donc sus au masculin.
Connerie numéro trois : t’es mal placé pour dire ça, parce que t’es un homme (pardon). Ça sonne drôle que tu te plaignes (de manière relativement creuse en plus, en mode « ça m’agace ») qu’on te demande de changer ta manière d’écrire, celle qui a été inventée par tes pères, pour asseoir ton pouvoir et tes privilèges. Si les femmes en ont marre qu’on parle d’elles au masculin, qu’on les INVISIBILISENT dans tous les champs, c’est pas toi qui peux dire qu’elles se gourent. D’ailleurs, viens encore me dire que je suis ridicule si je dis « mors-moi-le-nœud ». Parce qu’en plus c’est toi qui déciderais ce que j’ai la légitimité de dire ? Franchement, je m’en bats les steaks.
Non, vraiment. L’épicène n’a pas été inventé et mis en place pour toi. Il l’a été pour moi. Parce que moi aussi j’écris, et que je veux qu’on en parle. Je veux qu’on ne parle pas seulement des écrivains, ceux qui ont façonné notre monde et notre manière de penser au masculin, mais qu’on parle aussi des écrivaines, celles qui ont montré qu’il y avait un autre point de vue, et que le vôtre n’était pas neutre, mais était aussi sexué. Je veux qu’on arrête d’invisibiliser le féminin. Et pour ça, il faut être un poil pro-actif et tordre le cou à cette vieille langue sexiste et à ses règles. Ta grammaire, je l’emmerde parce qu’elle n’est pas faite pour moi. C’est pas grave, je vais faire la mienne.
En seconde analyse, je suis d’accord avec toi sur un autre point. Merde à la féminisation abusive… de la précarité, des tâches domestiques, des postes à temps partiel, du chômage, de la discrimination, des violences sexuelles. Parce que c’est là qu’elle se trouve, la féminisation abusive. Y’a pas de féminisation abusive des postes à responsabilité et des hauts salaires. Ça, ça reste tout bien masculin comme t’aimes.
Pis sinon, je te cherche, mais je veux bien en discuter autour d’un café. J’aime le ton de ton billet, je crois qu’on a le même, j’aime juste pas tant le fond. Pis je te mets en lien un texte que j’avais rédigé pour un spectacle, sur cette question précisément. Tu me diras si tu y vois quelque chose.
http://sansdeclinersnarclens.tumblr.com/post/69412163857/on-ne-ma-pas-donne-la-coherence
Bien à toi,
Snarclens
La rue des Granges n'est plus ce qu'elle était !