L’un des très nombreux mèmes créés et diffusés par les partisans de Trump (ainsi que par les trolls) durant sa campagne électorale, le faisant figurer avec la tête de « Pepe the Frog », figure anti-politiquement correcte de l’alt-right américaine.
Vous pouvez cependant l’attribuer de cette manière: © Anonyme, Pepe the Frog Trump meme [Digital image]. (2016). Source: https://dstormer6em3i4km.
En près de deux ans de règne à la Maison Blanche, Donald Trump semble avoir contrevenu à tous les enseignements traditionnels en matière de communication politique, laissant nombre d’analystes circonspects. « Et si son apparente impudence participait en réalité d’une stratégie consciente et maîtrisée de gouvernance ? », s’interroge Rui-Long Monico.
Le changement de paradigme apporté par la démocratisation d’Internet a métamorphosé de nombreuses industries, en particulier celle de l’information. Avec une distribution aujourd’hui instantanée, la multiplication des vecteurs de communication et une horizontalité toujours plus prononcée entre émetteur et récepteur, la pression exercée sur les instances décisionnelles s’est fortement accentuée, notamment lors de scénarios de crise.
Ces crises qui se désamorçaient jadis derrière des portes closes sont désormais auscultées, critiquées par un public chaque jour plus large, mais aussi instrumentalisées par des acteurs cherchant la déstabilisation. La figure du contre-pouvoir médiatique s’est élargie aux blogs, aux réseaux sociaux, aux tribunes citoyennes.
À l’aune de ces transformations, la communication de crise s’est structurée, théorisée1, afin d’offrir aux décideurs des méthodes standardisées leur permettant de trouver une sortie de crise. Devenue un outil indispensable pour la gouvernance institutionnelle, elle est un art avec des règles bien précises et des fondamentaux tactiques : proactivité, rapidité, sincérité, transparence, continuité.
En observant les bientôt deux ans de règne de Donald Trump à la Maison Blanche, force est de constater que le président américain contrevient, de manière quasi méthodique, à tous les enseignements en matière de communication — faisant fi des protocoles et checklists usuellement prisés par ses homologues. Plus étonnant, il s’avère que, non content de raviver les tensions autour des crises auxquelles il est confronté, Donald Trump s’échine à en créer de nouvelles à une cadence soutenue.
Cette appropriation de la communication de crise — et à plus large échelle, de la crise en elle-même — semble participer d’une stratégie esciente de gouvernance. Ainsi, peut-on lier la saturation de l’espace public par d’innombrables crises à l’aura d’intouchabilité dont semble jouir Donald Trump ?
Communication de crise : Obama, le bon élève
Le président Barack Obama a su faire preuve durant sa carrière politique d’une absolue domination de sa communication. Avocat assermenté, enseignant puis homme d’État, il s’est servi des mots et de leur puissance pour séduire, conquérir, gouverner.
Plus que ses actions, que sa doctrine, ses prises de parole publiques ont constitué un tremplin politique puis une formidable arme pour consolider sa popularité. Mais, c’est paradoxalement ses interventions lors des crises qu’il a traversées qui ont le plus instauré son leadership. Alors que nombreuses sont les figures politiques qui négligent la communication de crise ou l’utilisent de manière défensive (ex: le naufrage de la campagne de François Fillon suite au Penelopegate2), Obama a su trouver en chacune d’entre elles une opportunité pour renforcer son image.
Confronté aux propos antipatriotiques et racialistes de son pasteur3, le Révérend Jeremiah Wright, et alors en pleine campagne aux primaires du Parti démocrate en 2008, le jeune sénateur s’est trouvé face à une polémique risquant d’interrompre sa course à la présidence. Barack Obama opte alors pour une réponse rapide et radicale: dans son discours A More Perfect Union4, il dénonce fermement les principes de divisions du pasteur tout en insistant sur les origines d’une telle colère dans les communautés afro-américaines. Inscrivant cette controverse dans un débat plus global, il ébauche sa vision d’une Amérique post-raciale et apaisée. Il se positionne alors comme le candidat de tous les Américains et non des noirs uniquement, moment décisif qui lui ouvre les portes de l’investiture démocrate.
Mais c’est en comparant sa conduite lors de l’Ouragan Sandy en 2012 avec la catastrophique prestation de son prédécesseur avec l’ouragan Katrina (deux catastrophes naturelles d’ampleurs similaires) que la plus-value d’une communication maîtrisée devient flagrante. L’évident désintérêt que George W. Bush porta à Katrina endommagea définitivement sa crédibilité5, lui valant d’innombrables attaques y compris parmi ses partisans. Barack Obama, en pleine campagne de réélection lorsque l’ouragan Sandy frappe de plein fouet l’est des États-Unis, s’implique pleinement dans la gestion de Sandy6, offrant aux médias l’image d’un décideur aux commandes de son appareil gouvernemental, s’offrant une accession facilitée à un deuxième mandat présidentiel.
Grille de lecture médiatique : quinze mois de présidence Trump sous l’angle de la crise
Donald Trump prête serment le 15 février 2017. Encore abasourdie par son élection surprise, la presse de référence démarre alors un lynchage médiatique sans précédent, surtout contre un politique n’ayant pas encore de bilan, positif ou négatif. Pas un jour ne se passe sans que le président américain ne fasse l’objet d’un article, rarement favorable et parfois d’une violence inouïe. En parcourant les milliers de couvertures de journaux et magazine, notamment aux États-Unis ou en Europe de l’Ouest, on pourrait penser que Trump fait l’unanimité contre lui, tant l’hystérie collective à son encontre est omniprésente.
Ce qui peut surprendre est l’angle d’attaque ad personam7 de la majorité de ces titres8 : Trump est critiqué pour sa misogynie, ses cheveux, son vocabulaire, les liens de son père avec le Ku Klux Klan, ses déboires conjugaux, sa façon de parler, son bronzage artificiel, ses capacités intellectuelles. Quand la politique est enfin abordée, le spectaculaire/superficiel est privilégié9 : le mur le long de la frontière mexicaine, l’interdiction d’entrée de citoyens de certains pays musulmans, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.
Si l’écrasante majorité des politiciens opte pour une stratégie politiquement correcte, Donald Trump semble cultiver son image publique désastreuse. Assumant son costume populiste, il rend coup pour coup, insulte, raille, dénonce, punit. Sa stratégie est celle de la terre brûlée, érigeant ses détracteurs en « ennemi du peuple américain10 » et fermant les portes de la Maison Blanche aux médias les plus virulents.
Cependant, cette ligne de conduite ne l’amène pas à l’isolement. Contre le biais médiatique, Donald Trump popularise le néologisme Fake News, s’appuie sur des médias alternatifs — dont le sulfureux réseau Breitbart News — et compte sur le soutien d’une large armée d’internautes11 pour diffuser ce que d’autres occultent. Chaque excès, chaque anathème, chaque oubli des médias traditionnels contribue à favoriser l’émergence d’une ère de « post-vérité » et de « faits alternatifs » chers au président.
Et quel meilleur outil d’émancipation, quel meilleur autel pour le prosélytisme trumpien, que Twitter? Le compte @realDonaldTrump est utilisé comme la caméra d’une émission de télé-réalité, suivant le président dans ses moindres déplacements, s’adressant directement à sa base électorale, inondant de tweets (plus de 37’000 à ce jour) ses 48 millions de followers; usant du format concis comme d’une mitraillette pour un intarissable stream of consciousness12.
Doctrinalement cohérent, Donald Trump ne s’embarrasse pas des codes et standards de la communication: il ment éhontément13, change de versions et se contredit régulièrement, manque totalement de transparence, refuse d’expliquer ses mesures, adopte un ton agressif et une posture sur la défensive, récite des promesses floues. Enfin, il ne semble pas vraiment chercher la sortie de crise.
Obama / Trump : une nécessaire dichotomie en style et en substance
Dans l’inconscient collectif américain, Barack Obama symbolise l’un des personnages cardinaux du roman national. Lisse, propre, modeste, moral, politiquement correct, il est l’archétype de ce puritanisme yankee de Nouvelle-Angleterre. Il se situe dans la lignée d’un Abraham Lincoln, maniant le verbe et l’abnégation au profit d’une mission progressiste de civilisation.
La figure de Donald Trump fait également écho au roman national américain, s’inscrivant dans une tradition parallèle, mais antinomique. Il est le pionnier, le frontiersman, qui après avoir conquis l’Ouest sauvage, protège agressivement ses acquis. Obnubilé par le challenge, l’indépendance, il possède une rhétorique proche d’un autre président anti-establishment, Andrew Jackson14.
Champions respectifs de leur nation culturelle, les deux présidents, par leurs préoccupations, leur style, leur rhétorique, reflètent les attentes de deux Amériques qui se toisent en se méprisant.
La bipolarisation du système électoral américain s’est traduite en moins d’un siècle par un phénomène d’alternance entre partis démocrate et républicain. Phénomène qui s’est particulièrement accentué depuis 1989 avec un basculement au terme de chaque ère présidentielle, la fracture grandissante entre l’Amérique progressiste et l’Amérique conservatrice favorisant cette alternance avec une mobilisation en fin de cycle au profit du bloc politique d’opposition.
Barack Obama, en raison de ce mouvement de balancier politique et de son incarnation proche de la perfection du modèle yankee, a pavé un chemin difficile pour sa succession. Candidate démocrate, Hillary Clinton n’arrivera pas à se hisser au niveau du président sortant : moins charismatique, moins rassembleuse, ses nombreux scandales contrastant trop avec les deux mandats presque immaculés d’Obama. Tâche analogiquement laborieuse pour des candidats républicains au discours politiquement correcte et élitiste. C’est ainsi que Trump, pourtant considéré comme un candidat fantasque, terrassa les onze autres candidats du parti malgré la présence de certains ténors (Jeb Bush, John Kasich, Rand Paul) ou d’étoiles montantes (Ted Cruz, Marco Rubio, Ben Carson).
Cependant, malgré leurs différences quasi paroxystiques, les deux hommes partagent une même conscience médiatique. Ils connaissent l’importance et les enjeux des différents modes de communication et savent les instrumentaliser, chacun à leur manière, s’adressant de manière horizontale directement à leurs soutiens. Court-circuitant les médias traditionnels et les appareils de partis, ils sauront tirer parti de la puissance d’Internet, des réseaux sociaux.
Communiquer la crise, maintenir l’état de siège : gouverner selon l’art de la guerre
À lire la presse mainstream, Donald Trump serait fou15, idiot16, une marionnette du KGB17 ou encore un hasardeux mélange des trois. Cependant, ses actions méritent d’être analysées selon une autre grille de lecture — à savoir comme participant d’une stratégie délibérée de communication et de gouvernance.
En se lançant à la course à la présidence, Donald Trump a dû composer avec son inexpérience de la vie politique, son absence de soutien institutionnel, ainsi que le dégoût qu’il inspire dans les sphères médiatiques. Il compensera ces handicaps par une application brutale de certaines théories de l’art de la guerre. Illustrant cette proposition, trois citations tirées de l’ouvrage The 48 Laws of Power de l’historien Robert Greene décrivent particulièrement bien les principales orientations tactiques du président américain.
Loi 27 — Créez une mystique
Les êtres humains ont un irrésistible besoin de croire en quelque chose. Devenez l’épicentre de ce désir en leur offrant une cause à soutenir, une nouvelle foi à suivre. Vos paroles doivent être vagues mais pleines de promesses ; mettez l’accent sur l’enthousiasme plutôt que sur la rationalité (…).
La relation qu’entretient Donald Trump avec la religion reste marginale. Jeune, il fréquente le pasteur Norman Peale, figure hétérodoxe prônant la réussite matérielle (théologie du succès). N’assistant que rarement aux messes, il ne se dit pas, ni se montre particulièrement croyant. Sa faible religiosité personnelle, ses trois divorces, ses positions fluides sur des sujets d’éthique chrétienne, ses participations entrepreneuriales dans certaines industries condamnées par l’Église, ne l’empêcheront cependant pas de triompher auprès de l’électorat évangéliste blanc (plus de 80% du vote18). Ainsi, si depuis la présidentielle, il plébiscite les enjeux chers à cette communauté — avortement, euthanasie, mariage homosexuel, soutien à Israël — cela procéderait davantage d’un mariage de circonstance.
Malgré cette ambivalence avec la chose religieuse, il comprend très tôt dans sa campagne l’utilité d’une transcendance. Son pédigrée de salesman et d’homme de spectacle lui facilitent alors le façonnage d’un culte bien éloigné de la bourgeoisie évangélique sudiste et adressé aux petites gens, ouvriers, artisans, agriculteurs, chômeurs du Greater Appalachia. Transgressant sur la forme l’ensemble des règles officielles et officieuses de la communication19, il développe une rhétorique messianique20, dont la géniale promesse Make America Great Again21 est l’injonction. Aux grands oubliés, à cette génération d’Américains qui vivent moins bien que leurs parents et grands-parents (les taux de mortalité dans ce groupe ayant explosé ces dernières années22), il a offert, dans l’ordre:
- une vision apocalyptique du contexte présent, appuyée par un champ lexical mortifère, qui a jusqu’à ponctué son discours inaugural : « Mères et enfants sont piégés dans la pauvreté de nos quartiers défavorisés ; des usines délabrées sont essaimées comme des pierres tombales dans le paysage de notre nation ; un système éducatif, plein d’argent, mais qui laisse nos jeunes et beaux étudiants privés de savoir ; et le crime, les gangs et la drogue qui ont volé tant de vies et spolié notre pays de tant de potentiel non-réalisé. »23 ;
- un schéma narratif sans nuance, ôtant toute complexité aux nombreux problèmes de la nation (immigration, criminalité, chômage), décelant des ennemis facilement identifiables (Crooked Hillary, les médias, le FBI), devenant vérité révélée après avoir été continuellement martelé ;
- une perspective de prééminence, une transfiguration en peuple élu des délaissés de la mondialisation ; doctrine savamment énoncée en deux mots : America First ;
- un idéal atteignable que cette population a connu ou étudié, celui de l’Amérique toute puissante de la guerre froide, avec son armée invincible, sa prospérité, sa domination industrielle, scientifique, culturelle24 ;
- enfin, une figure prophétique, un leader sans peur, prêt à en découdre25, qui annonce avec force et répétition « je suis le seul à pouvoir régler le problème », qui se positionne comme étant le seul émetteur de vérité et pourvoyeur d’une solution simple à chaque obstacle.
De ces projections, il tire une armée de golems au feu sacré, insensibles aux critiques médiatiques, prêts à prêcher la bonne parole dans la rue ou sur Internet. Parfaitement conscient de ce fanatisme, Trump déclara lors d’un meeting en Iowa: « Je pourrais me tenir au milieu de la 5ème avenue et tirer sur quelqu’un, que ça ne me ferait pas perdre une seule voie »26.
Loi 17 — Soyez imprévisible
L’homme est féru d’habitudes, surtout chez autrui. Quand vous ne surprenez plus personne, vous donnez aux autres l’impression qu’ils vous ont percé à jour. Renversez la situation : soyez délibérément imprévisible. Un comportement sans rime ni raison déstabilisera les gens, ils s’épuiseront à faire l’exégèse de vos actes. Cette stratégie peut intimider, voire même susciter la terreur.
Une fois son branding messianique opérationnel, Donald Trump s’affaire à créer le chaos27.
Trump possède une redoutable intelligence sociale et maîtrise parfaitement les dynamiques des réseaux sociaux, la psychologie des foules, l’art et le timing de la punchline qui bousculera ses opposants et les amènera sur son terrain de jeu. En ce sens, il est une personnification grandeur nature des trolls28 sévissants sur Internet, sur les forums. Il est une usine à générer des polémiques, à allumer puis alimenter artificiellement une controverse qui focalise l’attention de l’opinion aux dépens des enjeux réels et du nécessaire équilibre du débat public.
Lorsqu’il est confronté à un problème, à une critique, il y répond en inversant les codes de bonne conduite de la communication : attaques personnelles ou sur la forme, commentaires hors sujet et détournements oratoires, double discours généralisé, sous-entendus et menaces, procès d’intention, propos diffamatoires ; l’ensemble teinté d’une large dose de sophisme.
Appliquant la prescription de Carl Schmitt — définir un ennemi29 — Trump tâte le terrain en attaquant à gauche comme à droite, à l’intérieur comme à l’extérieur, divisant les camps et ouvrant des lignes de fractures pour connaître ses soutiens réels et ses adversaires les plus dangereux.
Il crée la crise, pour orienter le débat, le contrôler. Puis, il apparaît comme le deus ex machina d’une situation qu’il a lui-même enfantée. Les prévisions d’Armageddon se sont succédé face aux annonces successives du président : déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem30, fin des négociations avec l’Iran31, suspension de l’aide au Pakistan32, retrait de l’accord de Paris (COP21)33, arrêt des négociations du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TAFTA) entre l’Union européenne et les États-Unis34.
C’est ainsi qu’il agite la menace d’une troisième guerre mondiale, d’un conflit nucléaire contre la République populaire démocratique de Corée. Au lieu de chercher l’apaisement à la manière de ses prédécesseurs, comme le lui intimait la communauté internationale, il raille et insulte Kim Jong-un, utilisant un vocabulaire jusqu’au-boutiste. Cette situation tendue forcera finalement la Chine à calmer le jeu.
Même pour ses ennemis les plus farouches ou ses collaborateurs les plus proches, il n’est pas aisé de comprendre les motivations, les buts, les plans de Donald Trump. En désavouant régulièrement ses alliés, en changeant régulièrement de postures (sur l’arsenal nucléaire35, sur l’ONU, sur les interventions militaires36), en engageant des positions contradictoires sur de nombreux sujets, celui-ci cultive l’instabilité.
Loi 48 — Soyez fluide
En révélant un plan gravé dans le roc, vous vous rendez vulnérable. Au lieu d’adopter des contours définis qui donneront prise à votre ennemi, restez adaptable et mobile. Acceptez que rien n’est certain, qu’aucune loi n’est immuable. La meilleure façon de vous protéger est d’être aussi fluide et insaisissable que l’eau ; ne comptez jamais sur la stabilité ni sur l’immobilité. Tout change.
Du chaos créé, il en tire son aura d’invulnérabilité.
Trop d’anathèmes ont participé à la perte de crédibilité des médias traditionnels. Donald Trump a été comparé à un maniaque, à Adolf Hitler, à un clown, à un personnage de bande dessinée. Nourrissant ces affirmations par ses déclarations impulsives et provocatrices, au lieu d’essayer d’amadouer la presse, il a joué à leur jeu, proposé un miroir grossissant de leurs fantasmes. Cependant, cette surexposition aura un effet contraire à celui désiré par ses commanditaires, Trump se retrouvant aujourd’hui dans une position où un scandale supplémentaire, une couverture négative de son action, passe complètement inaperçu.
Dans un contexte de puritanisme extrême où célébrités et politiciens tombent les uns après les autres suite aux accusations alléguées ou avérées de viol, la misogynie de Trump met 5 millions de femmes dans la rue (2017 Women’s March) sans que cela ne l’empêche de manger. La sortie du brûlot Fire And Fury, qui inclut de nombreuses citations de Steve Bannon mentionnant la haute trahison, la stupidité, la vacuité en vigueur à la Maison Blanche, a été un succès de librairie, devenant l’espoir des progressistes de voir le président être destitué rapidement. Il n’en a rien été, l’ouvrage est déjà oublié dans les limbes de la critique anti-Trump.
En multipliant les lignes de front, il noie ses adversaires, qui s’épuisent à prouver, par enquête ou par calomnie, les torts du président. Mais là n’est pas la bataille. En homme de spectacle, Trump orchestre les diversions nécessaires pour avoir le champ libre sur le terrain.
Pendant que d’éminents psychiatres débattent de ses capacités intellectuelles, se gaussant du fait qu’il regarde le soleil sans lunettes lors d’une éclipse, Donald Trump fait passer l’une des plus ambitieuses réformes fiscales depuis l’ère Reagan. Pendant que l’on s’indigne de ses attaques virulentes contre Sadiq Khan, le maire musulman de Londres, Donald Trump force Ford à annuler ses investissements au Mexique pour relocaliser au Michigan37 ou conclut avec Apple le paiement de 38 milliards de dollars d’impôts et la création de 20’000 emplois sur sol américain38. Pendant que la presse progressiste s’étrangle devant son homélie sur l’utilisation de l’expression « Joyeux Noël », Donald Trump (avec le concours bienvenu de la Russie) réduit au silence Daech en quelques mois seulement39 alors que le groupe était encore bien virulent au crépuscule des mandats Obama.
Enfin, pour maximiser sa marge de manœuvre, il use d’ambiguïté stratégique. Lorsqu’il annonce un chantier, une action, il omet tous détails, toute spécificité sur laquelle on pourrait trop facilement l’attaquer. En restant dans le flou sur ses mesures phares, il laisse à chacun le soin d’interpréter ses paroles. Ainsi, en cas de réussite, même partielle, il pourra en prendre le crédit. En cas de non-accomplissement, il pourra aisément rétorquer que c’est son opposition qui lui a empêché d’avancer.
Réflexion
L’avènement de Donald Trump à l’exécutif des États-Unis a surpris jusqu’aux plus éminents analystes politiques40 et confondu la plupart des sondages41.
Comment un personnage non politisé, qui aurait fait tout faux selon les normes de la communication, a-t-il bien pu battre une candidate du sérail, une Hillary Clinton surfant sur l’énorme popularité de son mari et du président en exercice, soutenue par tout le gotha42 médiatique, financier, intellectuel, hollywoodien, encadrée par une équipe de campagne jusqu’à dix fois supérieure43 et bénéficiant d’un budget deux fois plus élevé44 ?
Comment ce même personnage peut-il se targuer d’être encore à la Maison Blanche à l’ère d’Internet et face aux innombrables chiens de garde analysant chacun de ses gestes, chacune de ses formules ? Celui qui semble passer sa journée à choquer et provoquer demeure intouchable alors que les exemples de politiciens disgraciés suite au plus anecdotique des scandales ne manquent pas45.
Si certains enjeux — économiques, historiques, géopolitiques — peuvent contribuer à l’explication de cette situation, il serait absurde de minimiser le rôle qu’a joué la communication de Donald Trump. Loin d’être l’histrion que l’on présente habituellement, il a habilement piloté une campagne de désinformation, soufflant le feu pour désarmer ses concurrents, s’affranchissant de toutes limites comportementales, communiquant la crise pour gouverner.
Une normalisation de la communication de Trump s’imposerait-elle dans les mois à venir ? Car la non-adaptation de sa rhétorique sur une période aussi longue présente des risques multiples. Fatiguer ses troupes, éveiller ses détracteurs à sa stratégie, engendrer des troubles violents et d’ampleur nationale sont quelques-uns des dangers qui rendraient le modus operandi trumpien inopérant.
Une version approfondie de cette analyse est disponible ICI.
Références
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