En Suisse, où l’ethos du travail est très ancré, on préfère souvent parler de « précarité » plutôt que de « pauvreté ». Simple euphémisme ? La pauvreté laborieuse est pourtant une réalité dans notre pays, explique Eric Crettaz, docteur en administration publique et professeur à la Haute école de travail social de Genève (HETS). Spécialiste de la pauvre laborieuse en Europe et en Amérique du Nord, le sociologue nous livre son expertise sur les inégalités économiques et la façon dont nos politiques sociales peuvent, ou non, les résoudre.
Retrouvez les autres contributions de notre dossier thématique consacré à la précarité ici.
Eric Crettaz, la précarité est un terme de plus en plus employé dans la sphère publique ou politique, à tel point qu’on le confond parfois avec le concept de pauvreté. En quoi consiste-t-elle réellement ? Qu’est-ce que le concept de précarité englobe, que la pauvreté ne contient pas ?
Eric Crettaz : La précarité est un terme que j’utilise très peu dans mes travaux, en raison de sa nature polysémique. Il a trois sens assez différents : un premier, très spécifique, est lié à l’emploi précaire. On se réfère à des types d’emplois dont la dimension est instable : l’emploi sur appel, les contrats temporaires ou de courte durée, mal rémunérés, à cause desquels on ne peut pas envisager son avenir à plus de quelques semaines ou mois.
Le deuxième sens est plus général. Il inclut une composante subjective : la peur du lendemain, le sentiment d’être perdu dans une instabilité. Cette précarité-là commence souvent sur le marché du travail (personnes qui ont perdu un emploi ou qui sont au chômage) et inclut des difficultés matérielles et financières, mais c’est une définition plus englobante qui caractérise un ensemble de personnes, qu’elles travaillent ou pas. Des personnes qui auraient un emploi fixe pourraient ainsi être considérées comme précaires dans cette vision-là.
Enfin, la troisième acception de la précarité, moins utilisée, est liée à un mode de gouvernance : des Etats qui décideraient de retirer des protections aux salariés, qui souhaiteraient libérer l’économie des carcans de la politique sociale. C’est une vision très « macro », un phénomène global qui toucherait tout le monde.
Comment la distinguer alors de la pauvreté ?
EC : Quand on parle de pauvreté, c’est plus spécifique : on se réfère à la situation financière ou matérielle. On parle d’individus qui vivent dans des ménages à bas revenu ou qui ont des conditions de vie difficiles. Pour l’identifier, on peut regarder l’accès aux soins, la présence ou l’absence de loisirs et de vacances, si la personne doit s’endetter pour boucler ses fins de mois, si elle possède une fortune ou non. La pauvreté se focalise sur ces aspects-là. Il existe aussi des recherches qui ont une définition plus englobante de la pauvreté qui inclut l’état de santé ou des questions subjectives liées au parcours de vie, mais il devient alors difficile de distinguer les causes et les conséquences de la pauvreté.
En résumé, la précarité est, chez la plupart des auteurs, un concept plus englobant que la pauvreté. Et l’une de ses manifestations est d’avoir une situation financière et matérielle délicate.
Dans la prise en charge des plus démunis et dans la sphère politique, notamment genevoise, on parle de plus en plus de précarité et moins de pauvreté, alors que cela ne se justifie pas toujours. Pourquoi ?
EC : Une raison, très spécifique à la Suisse et bien documentée, est qu’on parle peu volontiers des questions d’inégalités économiques. On a l’impression de faire partie d’une société où presque tout le monde appartient à la classe moyenne. Ce qui ne manque pas de sel, étant donné que la Suisse est l’un des pays au monde qui a les plus grandes inégalités en termes de fortune. Mais il y a cette espèce de fantasme d’une société assez égalitaire, avec une gigantesque classe moyenne1. Certes, on veut bien admettre qu’il y a une petite couche de gens marginalisés et pauvres, et on concède qu’il y a une élite assez riche, mais ça s’arrête là. Cela fait mal d’appeler la pauvreté par son nom ; on préfère l’euphémisme de « précarité ».
Il peut également y avoir une honte à utiliser le terme de pauvreté. Encore dernièrement, on a mené, avec des collègues de Neuchâtel et Berne, des entretiens qualitatifs avec des personnes en grande difficulté financière. Ces personnes, qui étaient pourtant en situation défavorable avec de gros problèmes d’argent, nous disaient spontanément « mais nous, on n’est pas pauvres ». Nous n’avions pourtant pas dit qu’on venait faire un entretien sur la pauvreté ; ce n’est pas un terme qu’on avait mis sur la table. De la même façon, je pense que beaucoup de professionnels du domaine social évitent ce mot pour ne pas heurter des bénéficiaires potentiels. Plutôt qu’une gêne ou un euphémisme, là, c’est une volonté plus délibérée de ne pas vouloir apposer ce label « pauvre » pour ne pas heurter les gens ni les stigmatiser.
Je me souviens des réactions stupéfaites quand on a sorti les premières statistiques sur les travailleurs pauvres en Suisse au début des années 2000, à l’Office fédéral de la statistique : quoi, il y a encore des pauvres en Suisse ?! Dans l’espace public, l’idée qu’il y ait de la pauvreté en Suisse fait peur. Cela heurte une représentation qui est forte. Alors, oui, la Suisse est un pays très prospère qui a connu une croissance économique spectaculaire pendant les Trente Glorieuses, comme la plupart des pays d’Europe. Mais dans ces pays, par exemple chez nos voisins français, il est largement admis aujourd’hui qu’il y a des gens qui sont pauvres. On va sans doute discuter de la définition, de l’ampleur du phénomène… mais on n’a pas de problème particulier à admettre que cela existe.
Comment se situent d’ailleurs la France ou d’autres pays d’Europe au niveau de l’utilisation des termes, et de cette réticence à parler frontalement de pauvreté ?
EC : Dans d’autres pays d’Europe, les termes de « précaires » ou« précarité » sont beaucoup moins utilisés. Dans le monde anglo-saxon, ils ne relèvent pas du tout du langage habituel. En allemand, cela a été utilisé dans quelques livres de sociologie mais sans tomber dans le langage quotidien, me semble-t-il. L’utilisation massive du terme « précarité » est assez francophone : la difficulté à parler de pauvreté explique qu’on parle plutôt de précarité.
Il est certain qu’en Suisse, on n’a pas plus de pauvreté qu’ailleurs, mais on n’en a pas moins non plus. On est au milieu de classement en Europe. En revanche, penser qu’on a une énorme classe moyenne revient à penser qu’on a beaucoup moins d’inégalités qu’ailleurs.
Vous disiez d’ailleurs que les inégalités économiques en Suisse sont beaucoup plus marquées que dans d’autres pays d’Europe ?
EC : Par rapport au nord de l’Europe en particulier, qui a une distribution des revenus plus compressée : il y a moins d’inégalités de revenus dans les pays scandinaves ou aux Pays-Bas. Ils ont une politique de redistribution qui est beaucoup plus développée. La Suisse reste un pays très libéral dans la régulation du marché du travail. Des pans entiers du social sont encore confiés au secteur privé, comme le deuxième pilier via les caisses de pension et les assurances maladie, ce qui n’est pas le cas dans les pays qui nous entourent. Dans un pays libéral avec peu d’intervention étatique dans l’économie, ce n’est donc pas tellement étonnant que le niveau d’inégalité soit plus marqué que dans le nord de l’Europe. Par contre, les inégalités de revenu en Suisse sont plus faibles que dans les pays anglo-saxons et dans le sud de l’Europe.
Depuis cette période où vous avez commencé à vous intéresser au nombre de pauvres en Suisse, et même simplement à prouver leur existence, comment la pauvreté a-t-elle évolué ?
EC : Il est difficile de donner une réponse définitive car il y a eu plusieurs changements dans la statistique publique en Suisse et dans la définition même de pauvreté. On constate que la pauvreté a beaucoup augmenté dans les années 1990, après la grosse récession (la plus grosse que la Suisse ait connu après la fin de la Seconde Guerre mondiale). Elle est ensuite restée assez stable, la crise des subprimes de 2008 n’ayant eu que peu d’impact sur la Suisse ; depuis ces quinze dernières années, elle n’a pas connu de grosse variation.
Ces chiffres concernent toutefois seulement la population résidente permanente. Le fait qu’on dise que la pauvreté reste assez stable pour la population suisse, ça ne dit pas grand-chose sur l’ensemble des pauvres qui vivent en Suisse. Dans ces chiffres et analyses, vous n’avez pas les requérants d’asile, les réfugiés en attente d’un permis, les sans-abris – tous les professionnels avec qui je suis en contact disent que les lieux d’accueil bas seuil sont débordés. On sait également que dans les enquêtes, les populations les plus fragiles et les plus marginales sont sous-représentées car elles y participent moins.
Ce que ces chiffres ne disent pas non plus, et que rapportent les professionnels de terrain, c’est qu’une partie des gens pauvres cumule plus de problèmes qu’auparavant. Ce n’est pas forcément le nombre de pauvres qui augmente, mais leur situation qui s’aggrave.
Vous êtes notamment spécialiste de la pauvreté laborieuse, communément appelés les « working poors » , c’est-à-dire des personnes exerçant une activité professionnelle et vivant malgré tout dans un ménage pauvre. Combien de personnes sont concernées par cette situation en Suisse ?
EC : Sur la base des statistiques de l’OFS, et selon la façon de les définir, ce serait entre 140’000 et 290’000 personnes. Dans ma recherche, j’étais au-dessus de 300’000. C’est en tout cas entre 3 et 8% de la population active qui ne parvient pas à échapper à la pauvreté, même en travaillant.
Est-ce que vous identifiez des facteurs de risque quant à la pauvreté laborieuse ?
EC : Le niveau de formation est sans aucun doute l’un des plus grands déterminants. Les taux de pauvreté baissent sensiblement quand on a fait un apprentissage par rapport à quelqu’un qui n’a pas de formation post-obligatoire, et davantage encore si on a une formation tertiaire (HES ou universités). Cela pour autant que le diplôme ait été obtenu en Suisse : il y a tout un phénomène lié à des gens qui ont fait des formations tertiaires ailleurs et qui ne sont pas reconnues ici.
Ensuite, toujours lié au marché du travail, il y a des secteurs économiques qui paient beaucoup moins : l’hôtellerie, la restauration, le commerce de détail. Il faut préciser, en revanche, qu’avoir un bas salaire ne veut pas dire qu’on sera pauvre : ça dépend de la situation d’autres membres du ménage. Dans le cas de la Suisse, les deux facteurs de risque les plus lourds sont le volume de travail au niveau du ménage global et le fait d’avoir des enfants.
Le risque de devenir un « working poor » augmente donc avec le nombre d’enfants ? Ce facteur-là est-il propre à la Suisse ?
EC : Oui, le fait d’avoir des enfants est un facteur de risque très important en Suisse, bien plus que dans d’autres pays où le mécanisme des bas salaires pèse plus lourd dans le risque de pauvreté (aux Etats-Unis, Grande-Bretagne, par exemple). A partir du troisième enfant, le risque augmente beaucoup. Cela s’explique à la fois car cela fait augmenter les besoins et, vu la façon dont est organisée notre société, cela fait beaucoup baisser le volume de travail de la mère. Dans une récente étude faite avec le professeur Bonoli de l’UNIL, on voit qu’après la naissance des enfants, les pères travaillent un peu plus qu’avant et les mères baissent beaucoup leur participation au marché du travail. Simultanément, vous avez une baisse importante des revenus et une hausse importante des dépenses. Ça fait un mélange assez explosif. Là-dessus, si vous rajoutez un divorce, ça va être un facteur aggravant, même chez une famille qui avait un revenu a priori correct. Selon la Conférence suisse des institutions d’action sociale, un divorce engendre 33% de besoins supplémentaires pour un couple avec deux enfants qui se sépare.
Nos politiques sociales sont pourtant faites à partir de ce modèle de famille traditionnelle, qui fonctionne de moins en moins…
EC : Nos politiques sociales ont effectivement été conçues dans un autre contexte social, pour un couple qui se marie et qui reste ensemble toute sa vie. Sauf qu’il y en a de moins en moins et c’est ça qui pose problème : un mariage sur deux se termine en divorce aujourd’hui. Et beaucoup de femmes ont envie de travailler.
Comment peuvent-elles s’adapter à ce changement de modèle familial ? On parle souvent de l’augmentation de places en crèche comme d’une panacée ?
EC : On m’a souvent demandé si ouvrir plus de places de crèche changerait quelque chose pour les « working poors ». De manière générale, je le pense, mais pour la Suisse je n’en suis pas sûr car je pense qu’il y a encore d’autres facteurs. Beaucoup de personnes pensent encore que le rôle d’une femme est de s’occuper de ses enfants et éventuellement gagner un revenu d’appoint : la Suisse reste un pays très conservateur sur la vie de famille et la vie privée.
Je me suis retrouvé une fois, dans le cadre de mon travail, au Parlement fédéral alors qu’ils discutaient des statistiques sur la pauvreté et sur un programme d’impulsion pour les crèches au niveau des cantons. Il s’agissait de montants marginaux à l’échelle du budget de la Confédération, vraiment peu de chose par rapport aux milliards dépensés pour les politiques sociales. J’y ai observé des réactions extrêmement virulentes de politiciens. Ce n’était pas une question d’argent, c’était une question philosophique : est-ce le rôle de l’Etat de nous dire combien on doit avoir d’enfants, combien on doit travailler ? Il y a l’idée que ce n’est pas à l’Etat de se mêler de la vie de famille… en filigrane, on retombe sur l’idée de libéralisme : si on veut des enfants, c’est un choix individuel. Et si on ne peut pas se le permettre, on assume le fait d’avoir des enfants et d’avoir une vie matérielle difficile.
Ce débat m’avait beaucoup éclairé. Ces députés sont élus par la population, ils reflètent les idées de leur électorat. C’est d’autant plus frappant quand on compare la situation dans d’autres pays. J’ai étudié la situation en Suède et je rencontre beaucoup de collègues scandinaves dans des congrès. C’est vraiment le jour et la nuit : dans certains de ces pays, 70% des mères bossent à plein temps ou presque. Et là-bas, clairement, on pense que c’est plus favorable pour un enfant d’aller à la crèche plutôt que de traîner dans les jupes de maman, que c’est meilleur en matière de socialisation. Le rôle d’une femme là-bas c’est d’être un agent économique qui travaille, d’être indépendante de son mari. Je ne me prononce pas sur ce qui est bien ou mal, je constate simplement des différences frappantes.
Avoir une politique familiale plus généreuse peut donc sembler être un bon outil, mais les attentes sont très différentes en Suisse par rapport au rôle des mères et de l’Etat dans les questions familiales. Dans certains pays, on a même observé que les crèches généreuses renforcent les inégalités sociales. Comme vous vous en doutez, la perception des femmes et des mères n’est pas la même dans toutes les catégories et classes sociales de la population : ce sont plutôt les femmes qui ont des diplômes qui vont vouloir travailler plus. Du coup, si ce sont surtout ces femmes et leurs conjoints, déjà favorisés par rapport aux autres, qui utilisent davantage ces structures pour travailler, cela creuse encore plus les inégalités sociales par rapport aux familles populaires qui ont un modèle plus traditionnel. Vous aurez alors des politiques qui creusent les inégalités sociales, sans forcément faire augmenter la pauvreté, mais en faisant accroître des inégalités de revenu.
Ce n’est pas arrivé en Scandinavie car cela fait longtemps qu’ils ont une autre vision de la famille, de la société. Dans cette région, les parents de tous les milieux sociaux confondus mettent leurs enfants à la crèche. Cela contribue à une réduction des inégalités sociales : les études montrent d’ailleurs que ce sont les pays où l’origine sociale des élèves explique le moins les résultats scolaires. Il y a eu un effet d’homogénéisation grâce aux politiques sociales. Mais dans d’autres pays comme la France ou la Belgique, qui dépensent énormément pour leur politique familiale, on a plutôt observé ces effets pervers dont je parlais, qu’on qualifie d’effet « Matthieu »2 en sociologie.
Y a-t-il une différence marquée entre les femmes et les hommes face à la pauvreté laborieuse en Suisse ?
EC : Elles sont plus exposées que les hommes à la pauvreté en général, mais pas à la pauvreté laborieuse. Les femmes qui travaillent ont en effet une probabilité plus élevée d’avoir un partenaire actif et de ne travailler que pour un salaire d’appoint, comparé aux hommes qui travaillent… qui eux ont une probabilité plus faible d’avoir un partenaire qui travaille. On voit donc l’importance du ménage, dont on parlait précédemment.
D’ailleurs, les hommes qui ont un bas salaire ont beaucoup plus de risques d’être un « working poor » que les femmes, pour les mêmes raisons.
Vous identifiez plusieurs mécanismes pouvant précipiter la pauvreté laborieuse. En plus de ceux que nous avons déjà évoqués (formation, volume de travail, rémunération, besoins du ménage) vous parlez également du recours aux prestations sociales. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
EC : C’est le mécanisme que l’on connaît le moins et que l’on investigue en ce moment. On a effectivement remarqué que le non-recours aux prestations auxquelles on a droit peut constituer un facteur de pauvreté. On constate que la probabilité n’est pas répartie au hasard dans la population : certains groupes demandent moins que d’autres. Les migrants par exemple, par peur de pas obtenir un permis de séjour, de ne pas bénéficier du regroupement familial ou de la naturalisation, renoncent souvent à aller à l’Hospice général.
Dans la même situation, recourir ou non aux prestations sociales peut faire la différence entre être pauvre et pas pauvre. D’autant plus que si on recourt aux prestations sociales, on reçoit de l’argent mais surtout des conseils qui peuvent avoir un impact important sur le long terme (on répertorie des cas d’individus qui ont dû renoncer au dentiste pendant des années puis d’un coup nécessitent une grosse intervention qui va coûter 10’000 CHF, et là c’est la catastrophe). A noter encore que le recours tardif aux prestations sociales est aussi lourd de conséquences si l’on a dû emprunter de l’argent, puisque l’Hospice général ne rembourse pas les dettes.
Mais c’est très difficile à quantifier : le phénomène ne peut pas être observé car il n’est pas directement visible. Le recours, on peut l’observer, mais pas la non-demande. Il en va de même pour les gens qui sont malades et qui ne vont pas chez le médecin. On reste dans une dimension partiellement spéculative et c’est très difficile de trouver des personnes prêtes à parler de ça.
On parlait en début d’entretien de la difficulté à parler frontalement de pauvreté en Suisse. Observe-t-on la même réticence à l’égard du phénomène des « working poors » ? A-t-on du mal à admettre que l’on puisse travailler en Suisse et demeurer pauvre ?
EC : Les positions à l’égard des « working poors » sont beaucoup plus favorables que pour les personnes au chômage ou à l’aide sociale. Ils sont perçus comme des pauvres méritants : ils se lèvent le matin pour aller travailler. Cette posture est liée à l’ethos du travail, très développée en Suisse probablement sous l’influence du protestantisme : la religion n’est plus aussi présente dans la vie des gens, mais elle a laissé des traces. On le constate aussi dans les politiques sociales. Et la prise en charge de la petite enfance est plus fournie dans les cantons urbains et protestants (deux éléments souvent liés).
Malheureusement, il reste très difficile d’avoir des chiffres précis à ce sujet en Suisse, vu que les politiques familiales sont du ressort des cantons. Une statistique nationale nécessiterait un processus complexe et coûteux devant être motivé par un intérêt supérieur comme la péréquation financière – comme cela a été le cas dans la réalisation de la statistique de l’aide sociale par la Confédération.
Références:
1. Dans le cadre d’une étude européenne de grande ampleur (European Values Study) portant sur la perception des classes sociales, la Suisse était le pays où le plus grand pourcentage avait répondu appartenir à la classe moyenne. Un phénomène relevé déjà dans les années 1960 par Luc Boltanski dans son ouvrage « Le bonheur suisse ».
2. L’effet Matthieu (« Matthew Effect ») désigne, de manière très générale, les mécanismes institutionnels par lesquels les plus favorisés tendent à accroître leur avantage sur les autres.
Plus d’informations sur les recherches d’Eric Crettaz : http://www.eric-crettaz.net/.
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