L’exposition « Fuir » a ouvert ses portes le 25 janvier dernier à Berne. Projet commun de la Confédération et du HCR, elle vise à mieux faire comprendre au grand public la situation des réfugiés. Jet d’Encre vous propose aujourd’hui le discours d’ouverture de l’exposition, dans le cadre duquel le Professeur Etienne Piguet est revenu sur les évolutions structurelles qui expliquent – en complément à la violence – le nombre important d’arrivées en Europe ces dernières années.
FUIR – Le titre de l’exposition qui s’ouvre au musée d’histoire de Berne va délibérément bien au-delà des questions de politique suisse; bien au-delà même de la question des réfugiés au sens relativement étroit défini par la Convention de 1951 et ses protocoles additionnels.
L’exposition vise avant tout à rendre sensible ce que vivent les personnes contraintes par la force et la crainte à quitter leur lieu de vie. Elle fait ainsi référence à ce qui constitue sans doute pour l’humanité l’un des plus anciens facteurs de mobilité. Fuir, peut-être, l’aridité croissante de l’Afrique il y a 1.5 millions d’années pour les premiers hommes, fuir devant l’avancé des Huns pour trouver asile dans l’empire romain pour les Goths au IVe siècle, fuir les persécutions religieuses et gagner la Suisse pour les Huguenots, fuir toutes les violences du XXe siècle pour d’innombrables groupes ballotés par les vents de l’histoire. C’est bien en effet la violence qui sert le plus souvent de dénominateur commun aux histoires de fuites. Tout comme c’est bien la violence qui explique, dans une large mesure, le récent afflux de demandeurs d’asile qu’a connu l’Europe. Populaire dans certains milieux politiques, le concept de faux réfugié ou de réfugié économique a aujourd’hui peu de sens pour des migrations en provenance de pays comme l’Érythrée, la Syrie, l’Afghanistan ou la Turquie, principales origines des demandes de protection adressées à la Suisse en 2017.
Mais vivons-nous alors un éternel recommencement ? La violence seule suffit-elle à expliquer que plus de 2 millions de demandes d’asile aient été déposées entre 2015 et 2016 en Europe ? Non.
Entre 1967 et 1970 au Biafra une épouvantable guerre civile a fait des millions de victimes et de déplacés régionaux sans que l’Europe ne soit confrontée à des arrivées de réfugiés. Aujourd’hui, le Nigeria, toujours frappé par la violence, est l’un des grands pays d’origine des demandes d’asile en Europe. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Qu’est-ce qui a changé et explique, en complément à la violence, le nombre d’arrivées en Europe de ces dernières années ? Il m’est impossible ici d’entrer dans une analyse détaillée mais j’évoquerai 3 facteurs complémentaires :
En premier lieu, même si la majorité des réfugiés restent toujours à proximité des zones de crises, notre monde – pour eux aussi – rétrécit. Plusieurs études ont montré l’importance des nouvelles technologies dans l’organisation des déplacements. En parallèle, la croissance des diasporas et l’émergence de classes moyennes rend désormais possible d’envisager de fuir à longue distance et de tenter le tout pour le tout vers l’Europe. Un objectif inconcevable il y a encore vingt ans.
En second lieu, le régime d’assistance mais aussi de mise à distance des réfugiés longtemps en vigueur s’est fissuré. Comme l’ont montré plusieurs auteurs, l’assistance sur place, dans des camps, gérés par le HCR et financés par l’Occident a été le grand modèle de la fin du XXe siècle. Hors, la crise syrienne en a montré les limites : peu de pays ont répondu, en 2013 déjà, aux appels à l’aide du HCR confronté à des situations dramatiques dans les camps de la frontière syrienne. Pas étonnant dès lors qu’en 2015, à bout, des populations entières aient quitté les camps pour voguer vers l’Europe. En brisant un pacte implicite d’assistance sur place, l’Europe a dans une large mesure produit sa crise migratoire.
Enfin, l’évolution du droit est aussi à évoquer. Même si, au plan politique, on a assisté à une fermeture grandissante et à des attitudes de rejet désolantes face aux réfugiés. La jurisprudence et de nombreux acteurs ont plutôt conduit à un élargissement de la définition du statut de réfugié ouvrant des perspectives d’accueil aux victimes de violences indifférenciées alors que la définition étroite de la Convention de 51 exigeait des persécutions individuelles. Cette évolution, couplée à des situations de non-droit dans les zones d’origine ou de transit, a creusé l’asymétrie géographique entre les zones de crises et le territoire européen. Comme seule la présence physique permet à un réfugié d’être pris en considération, il est devenu parfaitement rationnel – nous le ferions aussi – de prendre des risques, même très élevés, pour gagner l’Europe avec dans ce cas, des taux de protection élevés.
Pour toutes ces raisons, la question des réfugiés a fait irruption aux frontières même de l’Europe. Il s’agit là d’évolutions structurelles dont les effets vont continuer à se manifester. La fuite est désormais globale et il faut nous y préparer.
Tout le monde s’accorde à considérer la question des réfugiés comme l’une des plus graves et importantes à laquelle la communauté internationale est aujourd’hui confrontée. Nombreux sont ceux pourtant qui pensent que des solutions simples pourraient la résoudre. Pour les uns, l’ouverture des frontières ; pour les autres, au contraire, leur radicale clôture. Ni l’une ni l’autre de ces solutions ne sont réalistes dans le cadre désormais globalisé que j’ai brièvement décrit.
A un monde global doit correspondre un concept global définissant plus clairement à qui et surtout où une protection doit être accordée. Sans se faire d’illusions, on peut espérer que le Global Compact on Refugees actuellement en préparation par l’ONU esquissera une voie.
Dans tous les cas, aucune avancée vers un futur meilleur ne sera possible sans une compréhension par le grand public de qui sont les personnes qui fuient, de leurs souffrances mais aussi de leur extraordinaire capacité de résilience. C’est à cette empathie avec les réfugiés que l’exposition « Fuir » souhaite contribuer.
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