Économie Le 14 juillet 2013

Gardiens de camp de concentration, top managers, petits lapins et responsabilité

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Gardiens de camp de concentration, top managers, petits lapins et responsabilité

L’expérience de Milgram. « L’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre participant, l’apprenant (A), qui est en fait un acteur. La majorité des participants continuent à infliger les chocs jusqu’au maximum prévu (450V) en dépit des plaintes de l’acteur. » © Wikipedia

« Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Voilà ce que répondirent à leurs juges beaucoup des bourreaux des camps de concentration. Dans les années soixante, le psychologue américain Milgram mettait sur pied des expériences où un « enseignant » devait envoyer un choc électrique à un « élève » lorsque celui-ci ne trouvait pas la bonne réponse. En réalité, l’élève était un acteur et l’unique cobaye de l’expérience était l’« enseignant » qui, dans la plupart des cas, suivait les consignes scrupuleusement et finissait par administrer à l’élève des ampérages potentiellement mortels. Cette expérience démontrait, à l’instar des camps de concentration, que toute personne, ou presque, peut devenir criminelle lorsque le contexte l’amène à ne plus se sentir responsable de ses actes.

 

Les « top managers » des grandes multinationales nous renvoient irrésistiblement à cette problématique. Il est à peine besoin de rappeler le caractère franchement immoral, voire criminel, de certains de leurs actes : corruption, mise en danger de la santé et la vie des travailleurs par le non-respect des règles de sécurité et d’hygiène du travail les plus élémentaires, mise en danger des consommateurs par la promotion publicitaire de produits nocifs, crimes écologiques divers et variés, etc. Leur réponse est très semblable à celle des gardiens de camp de concentration : ils ne font que ce qu’on leur demande de faire. « Ma responsabilité sociale est de faire du profit », répondent-ils en chœur, « je crée de la richesse et des emplois et je paie des impôts ».

Si les « top managers » sont dans la même position que les gardiens de camp de concentration, on peut se demander, alors, qui sont les donneurs d’ordre. Qui joue le rôle des Hitler et Himmler, jugés bien plus sévèrement par l’Histoire que les simples exécutants ? Qui a donné l’ordre aux « top managers » de mettre leur conscience en veilleuse et d’avoir le profit pour seule éthique ?

La principale responsable semble bien être une idée folle, qui consiste à croire qu’il est bien que l’argent rapporte un maximum d’argent, comme s’il était une sorte de ressource naturelle. Il est donc normal que toute personne place sa fortune, en toute innocence, à l’endroit où elle rapporte le plus, de la même façon qu’un paysan plante ses graines là où la terre est le plus fertile. De même que nous sommes contents lorsque les lapins font beaucoup de petits lapins, nous sommes censés nous réjouir lorsque l’argent se multiplie.

(c) pixel77.com

(c) pixel77.com

Rappelons pourtant que personne, à l’exception des banquiers et des faux-monnayeurs, ne peut « faire de l’argent ». Cette expression, peut-être empruntée à l’anglais « make money », est une faute de français que les enseignants devraient souligner trois fois en rouge. On ne peut gagner que l’argent que les autres dépensent. Parvenir, grâce à la vente d’armes ou de cigarettes, à pomper l’argent des consommateurs et des contribuables pour le reverser ailleurs, cela n’est ni une création de richesse, ni une création d’argent. C’est un abus de langage que de désigner ce processus par le mot « croissance », qui renvoie aux arbres fruitiers, aux enfants et aux lapins.

Les sociétés humaines fonctionnent d’autant mieux que chaque personne se sent responsable de ses actes. À l’évidence, l’idée délirante selon laquelle l’argent doit rapporter de l’argent est une machine à déresponsabiliser, où ni le donneur d’ordre, ni l’exécutant n’assument quoi que ce soit. Que chacun en tire ses conclusions…

 

Sur une thématique proche de cet article, je recommande vivement le livre de Joel Bakan « the Corporation », traduit en français sous le titre « Psychopathes & Cie : La soif pathologique de profit et de pouvoir ». Ce livre a donné lieu à un documentaire (http://www.thecorporation.com/).

Lien utile: http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram

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