Critique Médias Le 17 avril 2017

Journalisme «d’information»: nous sommes-nous fourvoyés?

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Journalisme «d’information»: nous sommes-nous fourvoyés?

Photo Luc (licence CC)

« Lügenpresse »« médiacratie »« système politico-médiatique »… On pourrait multiplier ces termes, qui tous mettent en lumière la crise de crédibilité que vivent les médias et les journalistes.

Une crise aggravée par la multiplication des fausses nouvelles qui certes ont toujours existé, mais qui aujourd’hui se répandent comme des traînées de poudre sur les réseaux sociaux.

Et pourtant, les sociétés et les démocraties ont toujours besoin d’un journalisme crédible. Plus que jamais peut-être. D’abord pour établir les faits face aux « vérités alternatives » répandues sans vergogne par les Trump et leurs thuriféraires. Ensuite pour animer le débat public. Un débat public apparemment aussi vif que jamais à mesure qu’il s’étend sur les réseaux sociaux, mais également de plus en plus biaisé pour la même raison. En effet, par la grâce des « like » et des algorithmes, on tend à n’échanger plus qu’entre « coreligionnaires ». Les opinions se renforcent, elles ne s’affrontent plus.

Mais comment nous autres journalistes en sommes-nous arrivés à cette perte de crédibilité? Quelles erreurs avons-nous commises? Et comment regagner cette crédibilité pour répondre aux attentes? Qu’on me permette, modestement, d’apporter ma contribution à cet ample débat.

Pour nombre de journalistes de ma génération, les journaux et médias audiovisuels d’information ont représenté le modèle à suivre. Par rapport à la presse d’opinion, autrefois dominante, ils étaient perçus comme un vrai progrès. Comme la manifestation de la volonté des journalistes d’établir et de commenter les faits sans a priori. Certes, nous ne prétendions pas à l’objectivité – notion philosophique plus que journalistique – mais notre absence de parti-pris garantissait un journalisme plus crédible que celui des feuilles radicales, conservatrices ou socialistes de naguère. Il faut rappeler aussi qu’à l’époque, les médias classiques étaient seuls à pouvoir s’adresser au grand public. Raison pour laquelle une certaine retenue avait du sens.

Mais aujourd’hui, ne doit-on pas constater que nous nous sommes fourvoyés? La posture même du journaliste au-dessus de la mêlée et des opinions n’a-t-elle pas fini par alimenter l’image du journaliste donneur de leçons? Nous ne voulions plus dire au public comment penser, fort bien. Mais n’est-ce pas notre prétention à la neutralité qui aujourd’hui n’est plus crédible? Chacun est légitimé à s’exprimer publiquement, la subjectivité fait partie du jeu. Le journaliste aussi a son histoire, son point de vue. (A propos du « retour des médias d’opinion », écouter l’excellente interview de Benoît Grevisse dans Tribu sur la RTS.)

N’avons-nous pas confondu une prétendue neutralité avec l’obligation déontologique d’aller au fond des choses, de manière dépassionnée? N’ayons pas peur d’assumer notre subjectivité, ne craignons pas d’écrire à la première personne. Non pas pour imposer nos opinions. Mais pour exposer comment nous enquêtons. Comment nous confrontons les données factuelles, les opinions. Comment nous réagissons à la découverte des réalités et des témoignages que nous recueillons. Comment peut évoluer notre opinion propre.

Il nous faut résolument privilégier le journalisme de terrain. Tourner le dos à un journalisme institutionnel auquel nous avons trop souvent succombé, qui résulte surtout de notre trop grande proximité avec les décideurs. Ces décideurs, circonstance aggravante, qui pratiquent avec toujours plus de maestria l’art de la communication, dont un des objectifs est d’empêcher une recherche indépendante de la vérité. Plus nous pratiquerons un tel journalisme institutionnel, et plus le public nous percevra comme les simples relais, pour ne pas dire les complices, des pouvoirs en place.

La reconquête de notre crédibilité passera donc par un journalisme d’enquête résolument critique à l’encontre des pouvoirs. Et par un journalisme de terrain à la recherche des réalités de la vie des gens. Des enquêtes et des reportages effectués par des journalistes qui ne se mettent pas au-dessus du lot, qui assument leur subjectivité.

Mais un tel journalisme est exigeant. Il demande du temps et des moyens, de la profondeur et du suivi. Des bases indispensables qui sont en train de disparaître. Les journalistes spécialisés ne sont plus rémunérés à la hauteur de leur travail et sont obligés de faire de l’alimentaire, parfois au mépris de leur déontologie. Quant aux rédactions, leurs effectifs fondent comme neige au soleil, et chacun doit y parer au plus pressé.

C’est tout le paradoxe. Au moment où les médias journalistiques doivent regagner leur crédibilité, ils refusent ou sont incapables de s’en donner les moyens. La crise du journalisme d’information sera-t-elle finalement celle du journalisme tout court?

 

Ce texte a été initialement publié sur Domaine Public.

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