© Michael Maccabez
Afin de mieux comprendre la crise économique et politique qui secoue le paysage médiatique suisse, Jet d’Encre vous propose une semaine d’articles sur les différentes facettes de cette thématique, avec la participation de professionnels du milieu de la presse écrite et de l’édition, de la télévision publique et privée mais aussi de politiques impliqués dans le débat sur la redevance. Dossier complet ici.
Pourquoi l’information ne serait-elle de service public qu’à la radio et la télévision? Ce qui pouvait avoir du sens au milieu du XXe siècle en a de moins en moins aujourd’hui, dans un contexte de convergence numérique. Ce n’est pas la diffusion de l’information sur les ondes qui est de service public. C’est l’information elle-même. Plus précisément, l’information indépendante et obéissant à des règles déontologiques est un bien public – du moins en partie, ce qui complique la donne.
Depuis le milieu du XIXe siècle, nos sociétés démocratiques ont eu de la chance : l’information était rentable. Grâce à la vente d’espaces publicitaires, le business model de la presse lui a permis pendant 150 ans de fournir au public des dizaines ou même des centaines de pages bien remplies à un prix dérisoire, souvent moins cher qu’un café au bistrot. Pas besoin, donc, pour la collectivité, de se préoccuper qu’une information de qualité soit à la disposition des citoyens et électeurs, le marché était assez florissant pour y pourvoir. Les rédactions pouvaient travailler tranquilles, le modèle remplissait bien assez les poches des éditeurs pour qu’elles leur laissent toute leur indépendance.
Ce modèle s’effondre, et on a encore beaucoup de mal à concevoir que ça change tout. La publicité fuit inexorablement la presse écrite et ne lui bénéficie que marginalement en ligne. Les articles de presse n’ont jamais été autant lus, mais trop souvent en accès gratuit. De nouvelles formes de financement émergent, la vente d’articles à l’unité, le financement participatif, le mécénat, mais aucune ne semble pouvoir assurer le financement des médias généralistes. Ce n’est pas l’information approfondie et de qualité qui est menacée – elle trouvera des niches ou un lectorat aisé – mais la survie de médias généralistes écrits, accessibles à un large public, servant de lieux de partage de l’information et de débat public.
Ce n’est pas la diffusion de l’information sur les ondes qui est de service public. C’est l’information elle-même.
Il y a des contre-exemples, comme Mediapart ou le Washington Post. L’un bénéficie d’un soutien public non négligeable, l’autre des investissements d’un richissime acquéreur1. En Suisse, les éditeurs se contentent pour l’essentiel de réduire leurs coûts pour préserver leurs marges de rentabilité. Aucun mécène ne s’est présenté pour sauver L’Hebdo ou racheter Le Temps.
Ce qui est donc nécessaire, au moins, c’est une aide transitoire à la presse. Il serait trop risqué de laisser des titres établis mourir en se contentant d’attendre des jours meilleurs. On admet un financement mixte de la culture, très largement subventionnée dans une Suisse pourtant si libérale, pourquoi ne pas s’en inspirer pour l’information ? Peut-on affirmer qu’elle est vitale en démocratie – et plus encore dans un pays de démocratie directe – tout en l’abandonnant dans la tourmente ?
Bien sûr, l’indépendance de l’information est cruciale. Toute dépendance financière est potentiellement dangereuse. Mais pas seulement vis-à-vis du pouvoir politique. Quand la publicité abondait, les journaux étaient en position de force. Aujourd’hui, la presse cherche désespérément des annonceurs et accepte des compromis qu’elle aurait rejetés avec vigueur il y a 30 ans. En revanche, nous avons toutes les raisons de penser que le danger d’influence politique est très faible dans un pays comme la Suisse où le pouvoir n’est jamais exercé par un seul parti. Et il n’est pas difficile de faire en sorte que les rédactions restent indépendantes. On en a un exemple évident : l’information est-elle biaisée à la SSR ?
Dans ce contexte difficile, il faut au moins équilibrer les dépendances. En acceptant que les temps ont changé depuis les blocages idéologiques de la Guerre froide.
Solutions concrètes
Il y aurait plusieurs manières d’aider la presse. Les aides publiques indirectes, déjà, peuvent être élargies: elles pourraient soutenir la formation des journalistes ou les innovations technologiques. Ensuite, des aides directes pourraient appuyer la presse en proportion de ses ventes, ou des start-ups, ou des projets journalistiques soumis à un jury de journalistes… Il faudrait donc créer une plateforme de distribution des aides, gérée par des professionnels et non des représentants des autorités. C’est ce que propose l’association Médias pour tous dans un modèle appelé FIJOU, qui a également le mérite d’envisager la taxation d’opérateurs qui profitent de la circulation de l’information, comme Swisscom, ou celle des fenêtres publicitaires sur les chaînes de télévision étrangères.
D’où viendraient les fonds publics? Une part de la redevance pourrait être affectée à la presse ; ce serait logique si on admet que l’information écrite est aussi un bien public (au moins en partie). La SSR, elle, serait prête à accepter un plafonnement de ses recettes publicitaires, le surplus pouvant être redistribué aux médias écrits.
Le débat actuel sur « No Billag » et un éventuel « redimensionnement » à la baisse de la SSR entretient une illusion : qu’il suffirait d’affaiblir le service public pour sauver la presse. La réduction du « mammouth » ne profiterait que marginalement à des éditeurs qui, de toute façon, visent à rémunérer leurs actionnaires et non à renforcer leurs rédactions. L’information de service public est de bonne qualité en Suisse, il serait insensé de l’affaiblir elle aussi alors que la presse est malade. La presse elle-même doit se rénover – mais en l’état, avec des rédactions compressées et surchargées, elle n’y arrivera sans doute pas sans aide.
Références:
1. Le Washington Post est la propriété du milliardaire Jeff Bezos , fondateur d’Amazon, depuis 2013.
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