Migrations Le 13 avril 2021

Le camp de réfugiés de Samos entre (dés)espoir et pandémie

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Le camp de réfugiés de Samos entre (dés)espoir et pandémie

Daniela Silva est infirmière. Fin 2020, elle se rend sur l’île grecque de Samos pour apporter bénévolement son aide à une ONG active dans le camp de réfugiés de Vathy. L’auteure témoigne des multiples difficultés rencontrées sur place, entre le Covid-19 et l’extrême précarité des habitant.e.s du camp.


 

Début septembre 2020 : mon stress est à son paroxysme. Avec la pandémie de Covid-19, j’ai peur de ne pas pouvoir me rendre à Samos, petite île grecque de la mer Egée, située à quelque trois kilomètres des côtes turques. C’est là que je me suis engagée comme infirmière bénévole avec Med’Equali, une petite ONG prodiguant des soins de santé primaire à la population du camp de réfugiés de Vathy. C’est ce que j’ai toujours voulu faire dans la vie et je ne supporterais pas que tout tombe à l’eau si près de la date butoir.

Après 10 jours de quarantaine sur place, j’arrive enfin à la clinique du camp de Vathy. Ma première vision, c’est une longue file de patients qui s’étend le long du trottoir et les blouses vertes qui s’activent avec ardeur. Je suis agréablement surprise de constater que la clinique est bien équipée. La pharmacie est bien remplie et les médicaments qu’elle renferme utiles pour traiter un large panel de pathologies. La salle de pansements contient le matériel nécessaire au traitement de tout type de plaie. Il y a un électrocardiogramme, un appareil à ultrasons et des prises de sang peuvent être effectuées, puis envoyées en analyse à l’hôpital de Samos.

J’apprendrai à mes dépens que celui-ci est un petit établissement qui n’accepte qu’un réfugié pour huit Grecs. Même si le pronostic vital d’un réfugié est engagé…

[D. Silva]

Huit heure, le matin de mon troisième jour à la clinique : toujours pas de patient. Mais que se passe-t-il ?

Après confirmation de deux cas positifs au Covid-19,  probablement contaminés par quelqu’un d’extérieur au camp puisqu’aucun nouveau réfugié n’est arrivé dans les derniers mois, la sortie du camp se fait au compte-goutte. Elle est uniquement permise pour aller acheter de la nourriture. Nous, nous pouvons rentrer. Il n’y aura pas de patient aujourd’hui.

 

Dysfonctionnements à tous les étages

Les policiers patrouillent la ville, leurs interventions sont arbitraires et racistes, chacun faisant comme bon lui semble. Le port du masque est obligatoire en permanence pour tous les réfugiés, qu’ils logent dans le camp ou pas, alors que pour moi comme pour les Samiotes, il n’en n’est rien. Les policiers ordonnent de regagner le camp avant 21h, couvre-feu imposé pour tous ceux qui y résident. Ceux, rares, qui vivent hors du camp sont chassés avec le même traitement indigne.

Quant au personnel de l’ONG, nous devons tous être testés malgré notre comportement de professionnels de la santé et nos masques FFP2. Il a fallu attendre les résultats –  tous négatifs – plus de trois jours et deux des tests ont été perdus… Dans l’intervalle, obligation de rester à la maison sans aucune sortie possible. Quarantaine totale.

À la réception des résultats, réouverture de la clinique. Très brièvement hélas. Un bébé qui avait préalablement consulté à la clinique est testé positif au Covid-19 à l’hôpital. Nouvelle fermeture, nouvelle quarantaine, nouveaux dépistages. Mais impossible d’obtenir un rendez-vous ! Après quatre jours d’attente, la police nous informe qu’un nouveau test n’est finalement pas nécessaire. Un des volontaires a même manqué son vol de retour à cause de cet imbroglio administratif !

Le 28 septembre, c’est la grosse douche froide. Les autorités locales imposent une fermeture définitive de la clinique, car les personnes en situation d’exil parcourent quelque 500 mètres dans la ville, entre leur camp et notre structure.

 

Interpellation pour délit de soin

La moitié de mon temps ici s’est quasiment écoulée et je n’ai pas encore fait grand-chose. Je suis venue à Samos pour aider les gens et voilà que l’on m’en empêche !  Une frustration énorme s’empare de moi comme de tous mes collègues.

Les habitants de l’île, eux, continuent de vivre comme si de rien n’était : bars bondés à la nuit tombée, pas de distance sociale et encore moins de masques. Même le personnel n’est que très rarement masqué, malgré la loi municipale qui exige le port du masque dans tous les commerces.

Vivant hors du camp et engagé par des locaux, une personne déplacée s’est blessée à la tête lors de son travail. Plaie ouverte sur 10 centimètres. Conduit à l’hôpital de Samos, il est renvoyé sans avoir été pris en charge après plus d’une heure d’attente. Il vient alors chercher de l’aide auprès de la clinique, toujours fermée, mais où les volontaires s’activent à préparer un éventuel déménagement. J’assiste le médecin qui suture la plaie tout en surveillant que la police n’arrive pas au même moment. C’est notre équipe médicale tout entière qui risque l’arrestation si nous sommes pris en flagrant « délit »…

[D. Silva]

Finalement, après dix jours d’âpres négociations, nous obtenons l’autorisation de monter une clinique mobile à l’intérieur du camp. Chaque matin, nous amenons notre matériel et montons la tente, et chaque après-midi, nous rempaquetons et la tente doit être démontée.

Ce sont des soins minimalistes. Il y a trois files d’attente selon la langue parlée : arabe, dari ou français/anglais. À l’aide de son traducteur, le médecin de triage fait une brève anamnèse pour retracer les antécédents médicaux des patients afin de les orienter vers une consultation médicale ou paramédicale plus approfondie ou s’il peut leur donner directement des médicaments.

Les conditions d’hygiène sont mauvaises. Parfois, lorsque le vent se lève et que la poussière s’insinue partout, je dois recommencer mon pansement. Souvent plusieurs fois de suite. Mais ces hommes et ces femmes méritent des soins de qualité, comme tout être humain. Tout ceci est loin d’être optimal mais, au moins, les réfugiés ont un accès aux soins.

 

Tsunami d’émotions en mer Égée

Après deux mois comme volontaire pour cette petite ONG, je m’apprête à quitter Samos.

Dans le ferry, je ne peux m’arrêter de penser à celles et ceux que je laisse derrière moi. Je m’effondre en larmes. Je pense au privilège que je détiens de pouvoir rentrer chez moi, de vivre confortablement dans un pays en sécurité et de voyager sans me faire de soucis. C’est un privilège absurde, qui découle uniquement de la chance que j’ai eue d’être née ici et pas ailleurs. Dans un certain pays et pas un autre.

[D. Silva]

J’éprouve une profonde admiration pour toutes les personnes rencontrées dans le camp. Après tout ce qu’elles ont déjà enduré, elles continuent de chanter et de prier avec tant d’enthousiasme ! Elles font preuve d’une telle résilience pour aller de l’avant. Elles prennent soin les unes des autres, se motivent à apprendre de nouvelles langues, à travailler à nos côtés. Je tiens aussi à remercier les traducteurs sans qui nous ne ferions rien. Leur travail n’est pas toujours aisé. J’ai l’impression que la foi qui les anime est inébranlable.

 

Insalubrité et indignité dans le camp

Il y a une faille incontestable dans le fonctionnement protocolaire de la police d’immigration. Les personnes en situation d’exil attendent plusieurs mois pour pouvoir faire leur demande d’asile et ceci indépendamment des raisons qui les ont poussés à partir, telles que l’évidence de la guerre, les persécutions et autres atrocités.

Le processus lui-même est douloureux. Après avoir déposé sa demande, il faut raconter une énième fois les souffrances subies et ainsi réveiller un épisode traumatisant que l’on espérait enfoui à tout jamais. Entre les deux, des mois et des mois se sont encore écoulés. On se retrouve happés dans le système sans aucun contrôle sur le futur ni le présent. Pire encore à l’ère du Covid-19, car les procédures d’asile ont été suspendues.

Prévu pour 600 personnes, près de 4000 à 5000 demandeurs d’asile vivent dans le camp de Vathy. Les conditions de vie y sont inhumaines. D’ailleurs, les droits humains sont inexistants ici, tout comme la dignité. De simples cabanes faites de vieille tôle ondulée et de plastique ou juste une tente de camping constituent les abris. Abris qui prennent l’eau les jours de pluie.

[D. Silva]

Les toilettes mobiles sont insalubres. Des déchets jonchent le sol un peu partout et des rats se promènent, pénétrant même les « habitations ». Des files d’attente de plusieurs heures se constituent pour recevoir une barquette de nourriture périmée. La moisissure est déjà visible sur les aliments. Les plaintes pour des maux de ventre et des nausées sont fréquentes après consommation de la nourriture du camp.

Le réservoir d’eau fonctionne au ralenti, deux heures par jour maximum, ne pouvant évidemment pas satisfaire les besoins de tous. Là aussi, la file d’attente est longue et source de violence. Les accidents de cuisine provoquent régulièrement des incendies. Ces derniers sont plus nombreux encore en hiver, lorsque les habitants du camp cherchent à se réchauffer.

L’insalubrité, la promiscuité, les différences culturelles et l’incertitude font que l’ambiance dans le camp est toujours tendue. En dépit de tout cela, les réfugiés du camp sont capables de donner encore tellement de leur personne, de partager, de veiller les uns sur les autres et de reconstruire sans relâche ce qui a été détruit.

[D. Silva]

Faire parler le silence

La loi grecque prévoit un séjour de 12 semaines maximum dans les camps situés dans le pays. Des délais très largement dépassés, puisque la majorité des réfugiés que j’ai rencontrés sont là depuis un an, voire deux pour certains. L’option prendre un vol retour pour rentrer chez eux –  si seulement « chez eux » existe encore – n’est pas envisageable. En effet, la Grèce ne les laisse pas quitter l’île.

D’une part je comprends la colère des Grecs : l’Europe a repoussé la question migratoire et laissé un pays déjà en difficulté s’occuper seul du problème. L’Union lui verse des millions pour qu’elle s’occupe des camps de réfugiés, certes, mais combien de ces millions sont détournés au profit d’autres intérêts ? La Grèce n’a donc pas d’intérêt à vider ses camps… Mais elle ne peut gérer seule la situation non plus.

On ne peut pas arrêter le flux migratoire. En fin de compte, ce n’est que la recherche d’une vie meilleure. Mon propre père a lui aussi quitter sa terre natale dans cet espoir. Certains misent tout ce qu’ils ont et risquent leur vie dans ce voyage. Peut-on les blâmer de vouloir fuir les coups, les bombes, le chaos ?

« Qu’ils rentrent chez eux !» ;« On ne les veut pas ici !» : lorsque j’entends ce type de propos je me demande : ces gens-là ont-ils seulement compris qu’ils n’ont justement plus de « chez eux » car leur village a été rasé par une bombe ? Que leurs proches y ont perdu la vie ? Sont-ils conscients qu’il y a encore des endroits dans le monde où l’on est enfermé pour ses idées ou son orientation sexuelle ? Ces gens-là sont-ils capables de se mettre à leur place ne serait-ce que deux secondes ? Qu’auraient-ils fait, eux ?

Comment faire pour changer cette situation ? J’ai retourné la question plus d’un millier de fois dans ma tête, dans tous les sens. Il faudrait que la guerre cesse, que la corruption cesse, que les hommes aient du bon sens, mais tout cela est utopique…

C’est une réalité absurde faite d’injustices.. Quelque chose que je ne comprendrai jamais complètement. Cependant, je me sens comme dans l’obligation de dire que cela existe, là, tout près.

Cela me semble mieux que le silence…

[D. Silva]

 

 

 

Commentaires

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Karen Rocca

Merci beaucoup pour ce texte et témoignage. Hélas, l'oubli et le déni dominent bien trop souvent nos esprits et nos…

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Ernesto

Texte très émouvant, trop de réalité sont passées sous silence. merci pour ton témoignage.

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Karen Rocca

Merci beaucoup pour ce texte et témoignage.
Hélas, l’oubli et le déni dominent bien trop souvent nos esprits et nos coeurs. Nous sommes tou.tes enfants d’immigré.es. Ne l’oublions jamais!

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Ernesto

Texte très émouvant, trop de réalité sont passées sous silence. merci pour ton témoignage.

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