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Quel impact la pandémie du COVID-19 peut-elle avoir sur l’Afrique ? Sans mesures adéquates, une double menace – catastrophe sanitaire et humaine d’une part, choc économique sans précédent d’autre part – pourrait faire payer un très lourd tribut au continent, avertit Ludmila Azo.
Pour une fois, on se réjouissait que l’Afrique soit à la traîne dans un mouvement global. Mais c’était sans compter la rapidité de contamination et de propagation du nouveau Coronavirus à l’origine de la pandémie COVID-19 qui affecte lourdement le monde depuis janvier 2020.
À l’échelle globale, les chiffres en sont à près de 750’000 victimes. Si l’épicentre se concentrait pendant plusieurs semaines en Asie et, plus récemment, en Europe, les cas confirmés de COVID-19 en Afrique ne cessent de grimper, passant de 9 il y a quatre semaines à près de 4000 en date du 31 mars 2020 selon l’Union africaine. L’Afrique, qui a été moins affectée que les autres pays par la crise du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2002–2003, serait à l’heure actuelle le continent qui pourrait devenir le plus durement touché par le nouveau virus. En l’absence de mise en œuvre d’une batterie de mesures adéquates, la double menace qui pèse sur l’Afrique – catastrophe sanitaire et humaine d’une part, choc économique sans précédent d’autre part – tombera, faisant payer un très lourd tribut au continent.
Des perspectives optimistes, depuis révisées
Les perspectives économiques pour l’Afrique étaient pourtant optimistes. La croissance économique sur le continent s’était maintenue à 3,4 % en 2019, et il était prévu qu’elle s’accélère à 3,9 % en 2020 et 4,1 % en 2021. Toutefois, si l’on en croit la propagation exponentielle du virus et les projections des scientifiques, ainsi que les dégâts humains, sociaux et économiques dans les pays déjà durement touchés en Asie et en Europe, l’Afrique ne sera pas épargnée des affres de la pandémie. Et si cette prophétie venait à se réaliser, les retombées en seraient graves pour le continent sur les plans sanitaire, humain et économique, tant le continent est mal équipé pour y répondre.
Une configuration structurelle propice à une catastrophe sanitaire
Sur fond de leçons apprises en Asie et en Europe, mais également en Afrique notamment après l’épidémie d’Ebola, des mesures de quarantaine, de semi-confinement, de couvre-feux, de dépistages partiels ou encore de restrictions de voyages internationaux ont été adoptées par plusieurs pays africains à l’instar du Kenya, du Rwanda, du Ghana, de l’Afrique du sud et de dizaines d’autres pays.
S’il convient de saluer la rapidité des dirigeants de ces pays sur la question de gestion de la pandémie, il est tout aussi important de souligner à la fois le caractère inefficace de la plupart de ces mesures dans certains pays et l’état d’impréparation des pays africains à gérer une prévalence élevée du COVID-19 sur le continent. Les mesures de confinement imposées aux populations sans un cadre préalable de concertations ne sont pas réalistes au vu de la configuration sociétale, notamment en Afrique de l’Ouest où les modes d’habitation sont encore communautaires (cours communes par choix ou non), où plusieurs pays abritent de grands bidonvilles, et où les taux de fréquentation de lieux religieux – églises, mosquées, etc. – sont les plus élevés au monde. À cela, il faut surtout ajouter un taux de pauvreté élevé dans plusieurs pays avec une grande frange de la population vivant « au jour le jour » de petits boulots.
De plus, la grande majorité des pays du continent ne dispose pas de moyens (techniques et financiers) adéquats pour répondre à une pandémie de l’ampleur affichée actuellement en Europe ou en Asie. Plusieurs de ces pays sont soit déjà engagés dans une gestion complexe de crises sévères, soit en sortent à peine, à l’image des crises alimentaires, de l’épidémie d’Ebola, du VIH-Sida, du paludisme, de la tuberculose ou encore de la rougeole qui font déjà payer un lourd tribut à des systèmes de santé foncièrement fragiles, voire médiocres. En raison de la forte incidence de ces maladies infectieuses endémiques et du taux d’anémie et de malnutrition sur le continent, de larges pans de la population, quoique plus jeune que celle mondiale, présentent un système immunitaire affaibli et donc susceptible d’aggraver l’incidence et la sévérité du COVID-19. L’accès aux soins de santé étant problématique avec des structures hospitalières surexploitées, la capacité d’absorption de la pandémie du COVID-19 en Afrique se retrouverait extrêmement limitée.
En comparant les résultats mitigés obtenus en Europe ou en Asie, où les systèmes médicaux sont des plus performants, avec la configuration des mêmes systèmes en Afrique, il est facile d’évaluer l’impact potentiellement désastreux du COVID-19 sur le continent si celui-ci n’arrivait pas à y être contenu à temps. Surtout lorsqu’on sait que, sur les 15 pays considérés comme à très haut risque par l’organisme Care, 9 sont situés en Afrique.
Par ailleurs, il faut également s’attendre à une hausse des prix de produits pharmaceutiques et à une réduction de leur disponibilité pour les Africains, ces produits étant principalement importés d’Europe et d’autres pays touchés par la pandémie. Aussi, étant donné que près des deux tiers des pays africains sont des importateurs nets de produits alimentaires de base, on peut craindre que les pénuries affectent sérieusement la disponibilité et la sécurité alimentaires.
Une configuration conjoncturelle favorable à une récession
La croissance africaine précédemment annoncée en hausse pour la période 2020–2021 risque fortement de pâtir de la pandémie du COVID-19 et du spectre d’une récession globale. Et c’est sans compter les dommages collatéraux de la guerre commerciale sino-américaine sur les économies africaines.
Il importe de souligner, dans le cadre de l’appréciation d’un risque de récession pour et sur les économies africaines, que ces dernières sont très hétérogènes et que l’impact variera d’un pays à un autre. Cet impact est surtout évalué ici pour les pays dépendant du commerce, dont les économies sont sujettes à une forte sensibilité aux chocs exogènes, et dont les recettes budgétaires sont par conséquent très corrélées aux fluctuations des cours de matières premières.
Ainsi, avec l’interconnexion de l’Afrique aux économies de l’UE, de l’Asie et des USA, toutes affectées par le COVID-19, les perturbations des chaines d’approvisionnement mondiales entraîneront inéluctablement des répercussions directes ou indirectes sur la croissance des pays africains. En République démocratique du Congo, plus de 90% des exportations de matières premières brutes (cuivre et cobalt) sont exportées principalement vers la Chine. Au Soudan du Sud, en Angola et en Erythrée, les exportations vers la Chine avoisinent l’ordre de 95%, 61% et 58% respectivement en 2019. La chute de la demande en Chine, plus gros foyer épidémique mais également premier partenaire commercial du continent africain, devrait réduire significativement les revenus de ces pays.
L’impact sera encore plus important pour les pays exportateurs de pétrole, d’autant plus que la Chine en est ici encore le premier importateur d’une part, et que, d’autre part, les cours du pétrole sont déjà au plus bas et continuent de chuter. Il est estimé qu’une baisse de 5 % des prix du pétrole sur un an pourrait engendrer 4 milliards de dollars (3,89 milliards de francs suisses) de pertes en recettes d’exportations pour l’Afrique subsaharienne. Le Nigeria par exemple, la plus importante économie africaine, est ultradépendante de l’or noir, qui représente plus de 90 % de ses exportations et la moitié de ses recettes budgétaires. Son PIB devrait progresser de 2 % en 2020, au lieu des 2,5 % initialement prévus. L’estimation actuelle de l’UNECA est de 65 milliards de dollars de pertes de revenus pour ces pays, dont font aussi partie l’Angola et l’Algérie.
En matière de flux financiers, les mesures de lutte contre le virus, dont le confinement, ainsi que le ralentissement économique occasionné ou la récession déjà en cours dans les pays occidentaux, entraîneront une baisse du tourisme et des transferts monétaires vers l’Afrique. Les chiffres suivants permettront d’évaluer davantage l’impact de la baisse de ces flux sur les économies du continent : en 2019, les transferts monétaires entrants dépassaient 5% de contribution au PIB pour 13 pays africains et dépassent les 12% aux Comores, en Gambie et au Libéria, voire même 23% au Lesotho.
Quant au tourisme, deuxième moteur principal de l’économie africaine, il contribuait à hauteur de 8,5% (ou 194,2 milliards de dollars) du PIB en 2018 avec plus de 67 millions d’arrivées de touristes. Les trois pays ayant accueilli le plus de touristes sont ceux les plus touchés par la pandémie : l’Afrique du Sud, l’Egypte et le Maroc. Ce sont plus de 24 millions d’emplois dans le secteur qui sont menacés sur le continent.
C’est donc à juste titre que les projections actuelles, encore plus pessimistes que celles annoncées lors de la crise économique mondiale de 2008, suggèrent une baisse de moitié du PIB de l’Afrique, avec une croissance passant de 3,2% à 1,8%. La pression fiscale et la dette insoutenables qui en découleront seront subséquemment désastreuses pour le développement socio-économique à long terme dans nos pays.
Des solutions accessibles
Si le tableau dépeint dans cet article se présente pessimiste, plusieurs facteurs permettent toutefois d’être optimistes. La pandémie n’ayant pas encore atteint l’Afrique avec la même ampleur qu’en Europe ou en Asie, les dirigeants africains devraient s’engouffrer avec ardeur et sans complaisance dans les fenêtres d’opportunités existantes pour :
1. Contenir la propagation du virus à travers des mesures effectives adaptées aux réalités locales. Les politiques de confinement total doivent être notamment revues, et celles partielles devraient être accompagnées de politiques sociales et économiques pour les populations et les petites (voire moyennes) entreprises.
2. S’assurer que les structures de santé en place sont renforcées pour gérer la pandémie et les cas confirmés de COVID-19. Pour ce point ainsi que le premier, l’appel des Nations Unies à une coopération internationale en aide aux pays africains ne saurait être plus opportun. Il en va de du propre intérêt des pays riches de répondre à cet appel.
3. Amortir l’impact économique de la crise non plus sanitaire, mais économique, voire humaine.
À cet égard, tirer parti du potentiel du marché intra-africain et des dispositions de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA ou AFTCA en anglais) devrait aider à atténuer certains des effets négatifs du COVID-19 en limitant la dépendance à l’égard de partenaires extérieurs.
De manière générale, une coordination dans le cadre de la très pertinente Stratégie de l’Union africaine pour la gestion de la pandémie du COVID-19 sera nécessaire afin de définir les stratégies adéquates pour que l’Afrique se sorte de cette crise mieux que les autres régions. Après tout, son expérience devrait l’y avoir déjà préparée.
Source des graphiques: https://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/stories/eca_analysis_-_covid-19_macroeconomiceffects.pdf?fbclid=IwAR0miRG1VvcuA5W3BIAHico4ypnrN7kDeqzWPBYvXXPTa97QhWnOtm6EyqQ
Très bon article. Succinct avec la touche d'optimisme qu'il faut. Contrairement à tous les autres papiers qui annoncent la fin…