Politique Le 1 mai 2013

Le marxisme, un opium du peuple ?

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Le marxisme, un opium du peuple ?

Ah, ce bon vieux premier mai qui nous gratifie de ces parfums de muguets et de ces relents de communisme diront les plus cyniques d’entre nous. Un premier mai 2013 assez particulier durant lequel notre génération peut se targuer de fêter la cinquième année de la crise financière et économique des subprimes. Un privilège, s’il en est, que de pouvoir témoigner d’une folle époque où tout un chacun voit ainsi défiler sur son écran les répercussions d’une crise globale. Au nom de cette dernière, on se voit poliment invités à se serrer davantage la ceinture afin que les équilibres budgétaires ne s’effondrent pas et surtout au risque de modifier d’un iota le train de vie de nos bienveillants investisseurs. De l’autre côté de la Méditerranée, des peuples se sont levés et certains luttent encore afin de pouvoir vivre dans la dignité. Pour autant, nombreux sont les analystes occidentaux jugeant, à tort ou à raison, que ces fameux printemps arabes, malgré leurs montagnes de slogans enthousiastes, ont accouché d’une souris islamiste.

Mon but ici ne consiste pas à retracer la réussite des mouvements et autres partis islamistes, selon des critères socio-économiques, et encore moins de retomber dans un essentialisme culturel qui « condamnerait » les pays arabes à rester sous le joug d’une charia1 obscurantiste. Que nenni, ces débats me semblent avoir été déjà traités en long et en large.

En réalité, il s’agit ici d’interroger les paradoxes des phénomènes révolutionnaires à la lumière de leurs réussites et de leurs échecs. A ce titre, il me semble que la religion en tant que facteur psycho-cognitif constitue un élément indéniablement central et universel à toutes praxis révolutionnaires.

Allons ensemble faire un détour sibérien afin de déceler les prémisses religieuses de la plus athée des révolutions historiques, j’ai nommé la révolution bolchévique de 1917. Mais, avant d’embarquer à bord de notre Tupolev à remonter le temps, dépoussiérons quelques vieux bouquins d’idéologie marxiste-léniniste.

© stalinsmoustache.wordpress.com

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Marx et le Capital caché de la soutane

Peut-on éviter à Marx le désagrément de se retourner dans sa tombe chaque 1er mai ? Honnêtement, j’ai personnellement du mal à me l’imaginer. Quoi de plus original que de commencer en mentionnant la sacro-sainte citation : « la religion est l’opium du peuple ». Amen… Avouez-le vous ne l’aviez pas vu venir celle-là ! Bon d’accord, un petit effort de ma part encore, « la religion est le soupir de la créature opprimée ». Après ces deux coups de massue, ai-je vraiment besoin de développer ? Même sans être un journaliste exploité, payé au mot, je me permettrai bien une petite digression.

Le fondement de la pensée marxiste réside dans sa méthode analytique matérialiste. Selon Marx, la réalité économique (infrastructure) prime sur les idéologies qui ne sont qu’un reflet des rapports de forces (conditions matérielles de production dans le jargon) préexistants entre les différentes classes. En découle donc une analyse schématiquement divisée entre infrastructure (classes sociales, division du travail, forces matérielles de production) et superstructure (Etat, normes juridiques, religion). Cette dichotomie n’étant pas étanche, l’idéologie, que l’on peut ranger dans la case superstructure, relève en réalité de la division du travail manuel et intellectuel. Concrètement, il s’agit de l’apparition des prêtres qui absolvent les péchés des travailleurs, dès lors vulnérables, (ou de psys grassement payés pour écouter vos malheurs) car aliénés de leur conscience. C’est en somme ce que Marx entend par l’effet de reflet inversé (camera obscura)2 de l’idéologie dans sa critique de l’idéologie allemande (1845). De ce fait, la conscience religieuse est victime de l’idéologie. Celle-ci donnant l’illusion à l’homme qu’il peut s’émanciper par la pensée ou la spiritualité. Marx, quant à lui, ne saurait encourager une libération de l’Homme si ce n’est par la transformation de l’organisation du travail.

Mais voilà Marx pris à son propre jeu, l’idéologie étant toujours celle de l’autre, on peut tout aussi renverser cette axe. En critiquant Hegel, Marx tente de rompre avec l’idée bourgeoise prétendant que l’Histoire change grâce aux idées. Le seule véritable dynamo du cours de l’Histoire est à chercher du côté de la lutte des classes, celle-là même qui a permis à l’Humanité de passer du stade antique au féodal puis au stade capitaliste. Cependant, en attendant les lendemains qui chantent, on a cette vague impression qu’on nous a échangé la promesse d’une société sans classe et sans conflit par un personnage de théâtre… Vous avez dit Godot ? Plus sérieusement, dans sa conception linéaire et naïvement progressiste du cours de l’Histoire, le marxisme révèle sous couverts d’un athéisme proclamé, une doctrine millénariste chrétienne. L’écrivain égyptien Tawfiq Al Hakim écrivait en 1923 : « Jailli du cœur de l’Orient, le Christianisme n’est qu’amour et idéal comme l’Islam n’est que foi et discipline. La version moderne du christianisme aujourd’hui en Occident, c’est le marxisme. »3 C’est au nom de ce paradis sur terre que des millions d’individus sont morts dans le froid sibérien des goulags. Mais bon, les martyrs bénéficient, paraît-il, de la bonne grâce du Seigneur…

Troisième Rome et Bolchévisme

Si Marx s’est retrouvé bloqué dans ce que certains penseurs comme Michel Onfray qualifient d’un athéisme chrétien, force est de constater que sa filiation russe n’a pas fait mieux.

La révolution d’Octobre rouge soulève encore de nombreux débats houleux et polarise les politologues en deux camps. D’un côté, les penseurs libéraux qui règlent la question de manière radicale, en insistant sur le fait que la révolution reposait sur un coup d’Etat impopulaire. De l’autre, les marxistes orthodoxes, pour qui l’échec relève d’une précipitation, la Russie tsariste et féodale de l’époque n’étant pas un terreau mûr pour accueillir la révolution. Mais tout d’abord, par souci de rigueur historique, référons-nous à la correspondance ambivalente que Marx entretenait avec une populiste narodnika russe exilée à Genève, Vera Zassoulitch, dans laquelle il envisageait une ellipse historico-dialectique dans le cas de la Russie. Marx soutenait que la commune rurale traditionnelle pouvait être une voie favorisant le déclenchement d’un socialisme révolutionnaire. Cependant, l’empressement des narodniki soulève bien des interrogations…

Ce qui relève a priori d’une contradiction apparente réside dans la prégnance de la religion orthodoxe dans l’inconscient collectif des communistes russes. En effet, depuis la chute de Constantinople en 1453, le moine russe Philothée de Pskov (étymologiquement celui qui aime Dieu) proclama le Grand Duché de Moscovie comme étant la Troisième Rome, le tsar (translittération russe de césar) devenant successeur légitime des empereurs romains et byzantins. Au delà, de l’instrumentalisation géopolitique d’une telle idéologie à des fins impérialistes, la Russie se trouva donc dotée d’une mission divine. Ce messianisme russe latent préparant l’avènement de la cité de Dieu sur Terre explique la précipitation des marxistes russes. Il m’est impossible de rendre mieux compte de cette convergence, si ce n’est en empruntant les mots du philosophe russe Berdaiev : « La vieille idéologie messianique russe se nourrit dans les profondeurs des couches spirituelles du peuple russe. Néanmoins, sa formulation consciente se modifie ; soit la chose « au nom de laquelle » elle agit ; l’idée messianique se hisse en dehors de l’inconscient collectif des gens et prend un autre nom. C’est ainsi, qu’au lieu de la Troisième Rome promise par le moine Philotée, on se retrouva face à la Troisième Internationale de Lénine. »4

© saatchionline.com

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Conclusion

Au final, les religions demeurent de manière universelle un moteur conscient ou inconscient accompagnant tout épisode révolutionnaire. Dans son sens premier, la révolution renvoie à la rotation d’un corps, l’achèvement d’un cycle. C’est cette illusion d’un nouveau départ permettant de rebondir à la recherche d’un Salut global qui anime et rassemble les révolutionnaires toutes idéologies confondues. Personne n’étant ennemi de la vertu, le reste appartient à l’Histoire…

Et comme ça ne mange pas de pain, une version New Age en musique de la Troisième Rome soviétique  :


[1] J’aimerais un jour que ce mot galvaudé soit véritablement expliqué et non pas utilisé dans les plateaux télés comme un épouvantail ou ultime moyen de censure.

[2] Karl Marx et Friedrich Engels. 1845. L’idéologie allemande.

[3] Al Hakim, Tawfiq. 1938. Ùsfour Min Assharq (L’oiseau d’Orient). Dar Misr Littabaâa: Le Caire. 88-9.

[4] Nikolai A. Berdiaev, The Russian Revolution [1931] (Ann Arbor: University of Michigan Press, 1971), 41 (quote) and The Origin of Russian Communism [1937] (Ann Arbor: University of Michigan Press, 1960), 144.

Commentaires

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Reda zizi

Bravo , belle inspiration ..

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mohamed

Très enrichissant merci

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Ali

Très pertinent! Bravo

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Reda zizi

Bravo , belle inspiration ..

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Simo zizi

Bravo! Très bien écrit !!

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