Ma deuxième affectation au service civil a débuté le 4 mars 2013 dans la région de Matagalpa au Nicaragua. Elle s’achèvera le 7 août de la même année. Ainsi, je vous propose une série de lettres circulaires au sujet. Ces lettres circulaires auront pour objectif de sensibiliser les lecteurs au service civil, aux enjeux de la coopération internationale et à la situation locale.
Elles me permettront également de faire le point sur mes activités et de dresser un état des lieux, le cas échéant. Ce sera donc l’occasion de suivre l’évolution de mon projet en « temps réel » et, par là même, de découvrir le cadre dans lequel il se déroulera.
L’article qui suit fait office d’introduction aux publications à venir.
Pour commencer, un tour d’horizon du service civil s’impose. Intéressons-nous aux personnes auxquelles il s’adresse, à son fonctionnement et surtout à son histoire.
Pour que celui-ci existe sous sa forme actuelle, nombreux ont été les citoyens qui se sont battus.
Il est de mon devoir de leur rendre hommage, je traiterai donc ce sujet sous une approche historique.
Histoire du service civil
L’objection de conscience (refus d’accomplir ses obligations militaires en s’appuyant sur des opinions philosophiques, politiques, morales ou religieuses qui prônent le respect de la vie humaine), sujet quasiment tabou durant environ un siècle, est aujourd’hui considérée à juste titre (la première pétition demandant un statut pour celle-ci daterait de la fin du 19ème).
Une première initiative lancée en 1970 est refusée par le peuple. Celle-ci voulait accorder un service civil aux objecteurs de conscience1.
L’initiative de 1984 subit le même sort que la précédente. Celle-ci devait permettre aux objecteurs, ayant prouvé leur bonne foi par l’acte, d’effectuer un service civil d’une durée équivalente à une fois et demie celle du service militaire2.
En 1989, l’initiative « Pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix »3 du GSsA (Groupe pour une Suisse sans armée) marque un tournant significatif. Certes, elle est refusée par la majorité des citoyen-ne-s suisses. Cependant, elle obtient 35,6%4 de oui (elle est acceptée dans deux cantons : Genève et Jura5 ; ce qui n’est pas négligeable. Une défaite qui met donc en évidence, par ses résultats, la nécessité d’une alternative au service militaire.
C’est chose faite, trois ans plus tard (fin 1991) lorsque le principe du service civil est accepté par le peuple et les cantons avec 82.5% de oui6. Il a ensuite fallu quatre ans au Parlement pour rédiger la loi d’application du service qui est entrée en vigueur le 1er octobre 19967.
Un certain nombre de garde-fous rendent néanmoins l’accès au service civil peu attrayant et compliqué. Seuls les plus motivés viennent à bout des démarches. Une bonne préparation est également essentielle. Au menu pour le candidat, la rédaction d’une lettre expliquant les motifs qui rendent l’armée incompatible avec son idéologie, ainsi qu’un passage devant une commission. Celle-ci considère la crédibilité du candidat et la validité de ses arguments.
En 2008, Le Parlement renonce à ces commissions d’admission au service civil. La personne désirant faire du service civil prouve désormais son objection de conscience par l’acte. (La personne faisant une demande de service civil est considérée de facto comme objecteur de conscience)8.
Il est important de souligner que le service civil sous cette forme est similaire à celui de l’initiative de 1984.
En réalité, l’existence du conflit de conscience en tant que tel n’est plus réellement vérifiable.
Le choix du civiliste d’effectuer un service plus long que celui du soldat prouverait donc son conflit de conscience.
La Confédération aurait donc décidé de mettre en place les outils permettant d’éviter aisément la voie militaire en introduisant la preuve par l’acte en 2008?
Permettez-moi d’en douter.
Comme on l’a vu, un certains nombres de garde-fous sont en place pour éviter sa trop grande attractivité.
De plus, sa forme actuelle est contraire aux recommandations internationales qui prônent des systèmes égalitaires en durée et en charge9.
Il est d’ailleurs facile de démontrer que le régime du service civil est encore de nos jours discriminatoire En voici quelques exemples :
– Le nombre de jours à effectuer est, au mieux, équivalent à une fois et demie le nombre de jours à effectuer par un simple soldat. Je dis «au mieux» car une fois atteint l’âge limite sans avoir fait tous ses jours, le soldat est dispensé du reste alors que le civiliste y est strictement tenu10.
– Ayant vu le nombre de demandes de service civil exploser depuis 2009, le Conseil fédéral a ajouté en février 2011, par la voie d’une ordonnance non soumise au référendum, une série de mesures compliquant les démarches. Entre autres, le délai d’admission a été nettement allongé11.
Le nombre d’admissions n’a baissé « que d’un tiers » suite à la mise en place de ces mesures12. Cependant, il est évident que l’on peut interpréter celles-ci comme un outil pour limiter l’accès au service civil.
Enfin, il faut noter l’évolution des mœurs concernant l’obligation d’effectuer son service dans le militaire.
Nombreuses sont les personnes qui ont été emprisonnés durant des mois et/ou qui ont payé de lourdes amendes pour avoir refusé de servir l’armée suisse avant la mise en place d’un service civil en 1996. Le courage dont ils ont fait preuve pour faire valoir leurs convictions n’est pas étranger à cette évolution.
Pour donner un chiffre, l’année 1984 a vu le chiffre record de 788 condamnations13.
Conclusion
A l’heure où l’obligation de servir est fortement remise en question, notamment par les jeunes devant effectuer leur service, des interrogations quant à l’avenir du service civil peuvent se poser ; sur son évolution en tant qu’alternative pour « les objecteurs de conscience » mais également sur son sort si la Suisse passe à une armée de volontaires (à l’image de la plupart des pays de l’UE).
Une chose est sûre, nos politiciens sont nombreux à soutenir l’obligation de servir sous sa forme actuelle. Le Conseil national vient récemment de rejeter l’initiative « Oui à l’abrogation du service militaire obligatoire» du GSsA par 121 voix contre 56 et 6 abstentions14.
Cette initiative prévoit un passage à une armée de volontaires ainsi qu’un service civil ouvert à toute la population. Malgré le rejet du Conseil national, c’est le peuple qui tranchera sur ce sujet, les débats promettent d’être passionnants. Les votations auront lieu le 22 septembre ou le 24 novembre prochain15.
Mon service civil
Dans mon cas, le service civil me permet de travailler dans des domaines qui me passionnent mais dans lesquels je n’aurais probablement pas eu l’occasion ou le temps de m’investir.
Ces expériences influenceront la suite de ma carrière, je n’en ai aucun doute.
Après avoir effectué six mois et demi de service dans La Coopérative d’habitation pour personnes en formation : La Ciguë16, c’est au Nicaragua que j’effectue ma deuxième affectation.
L’organisation nicaraguayenne ODESAR17 souhaitant renforcer son équipe technique de développement d’infrastructures. Dans le cadre de son partenariat avec cette organisation, Eirene Suisse18 (établissement suisse responsable de mon affectation) a répondu à cette demande de renforcement des compétences locales en m’envoyant en tant qu’ingénieur civil.
Ma mission consiste à intégrer l’équipe technique d’infrastructure sociale de l’organisation, à les soutenir dans l’avancement de leurs projets, à partager nos compétences et à échanger nos expériences en matière d’ingénierie civile. Cette équipe est actuellement composée de
– 2 ingénieurs civils
– 2 éducateurs sociaux
– 2 techniciens en hydraulique
Conformément au planning mensuel établi par l’équipe, nous réaliserons, avec la collaboration des communautés rurales pauvres de différentes municipalités du Département, des constructions communautaires telles que des habitations, des adductions d’eau, des magasins, des jardins d’enfants, …
J’espère que ma série de lettres circulaires saura retenir votre intérêt. C’est pour moi tout un plaisir de partager cette aventure unique avec vous.
Lettre circulaire 1 – Contexte général
Vous pouvez également suivre mon service civil au quotidien sur facebook : https://www.facebook.com/groups/284752284973481/
Site de Eirene Suisse – lien sur ma page : http://www.eirenesuisse.ch/volontaire/11349
1) http://www.zivi.admin.ch/dokumentation/00439/00470/index.html?lang=fr
2) http://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis135t.html
3) http://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis179t.html
4) http://www.admin.ch/ch/f/pore/va/19891126/index.html
5) http://www.admin.ch/ch/f/pore/va/19891126/can357.html
6) http://www.admin.ch/ch/f/pore/va/19920517/can379.html
7) http://www.vtg.admin.ch/internet/vtg/fr/home/militaerdienst/rekrut/zivildienst.html
8) http://www.parlament.ch/f/mm/2008/pages/mm-sik-n-2008-04-08-a.aspx
9) http://www.gssa.ch/spip/spip.php?article8
10) http://www.gssa.ch/spip/spip.php?article8
11) http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/824.01.fr.pdf
12) http://www.news.admin.ch/message/index.html?lang=fr&msg-id=43116
13) http://www.gssa.ch/spip/spip.php?article8
14) http://www.gssa.ch/spip/spip.php?article273
15) http://www.gssa.ch/spip/spip.php?rubrique23
16) http://www.cigue.ch/
17) http://www.odesar.org/
18) http://www.eirenesuisse.ch/
Pour plus d’informations générales:
GSSA – Groupe pour une Suisse sans armée : http://www.gssa.ch/spip/
ZIVI – Site de l’organe d’exécution du service civil: http://www.zivi.admin.ch/index.html?lang=fr
CIVIVIA – Fédération Service civil : http://www.civiva.ch/index.php?id=81&L=2
Excellent, vraiment, un plaisir de te lire! Vivement la suite. Et bonne chance pour ton stage! Yann