Économie Le 28 novembre 2014

« Les forfaits fiscaux sont injustes, mais nécessaires »

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« Les forfaits fiscaux sont injustes, mais nécessaires »

Alors que les Suissesses et les Suisses se rendront aux urnes ce dimanche, Jet d’Encre propose de participer à nouveau au débat démocratique en laissant la parole à deux opposants et à deux partisans de l’initiative sur les forfaits fiscaux, de loin l’objet le plus serré (42% d’intentions de vote favorables contre 46% de défavorables, selon le dernier sondage SSR). Aujourd’hui, l’avis de Caterina Martini (ci-dessous) est opposé à celui de Stéphanie Riehle. Les deux auteurs s’expriment sur les visions contradictoires de l’égalité que met en exergue cette initiative.
Hier, les argumentaires de Nathalie Schneuwly, ancienne députée radicale au Grand Conseil du Canton de Genève, et de Sylvain Thévoz, conseiller municipal socialiste à la Ville de Genève, s’étaient affrontés dans nos colonnes.

Jet d’Encre précise que l’ordre des publications suit celui de la réception des textes et qu’aucun des auteurs n’a eu accès à l’article de son opposant avant publication.


 

Le débat pour savoir si l’abolition de « l’impôt selon la dépense » va plonger la Suisse dans la crise financière ou lui rapporter de l’argent fait rage. En réalité, ces propos couvrent un autre débat, autrement plus important, celui de la question de la lutte contre l’évasion fiscale et de l’égalité devant la justice.

La Justice détournant le regard devant l'iniquité fiscale

La Justice détournant le regard devant l’iniquité fiscale.

Le débat sur les forfaits fiscaux – soumis en votation le 30 novembre – soulève de nombreuses craintes, légitimes au regard des scénarios alarmistes qu’on nous propose en cas d’acceptation de l’initiative. Perte de budget pour les personnes âgées, suppression d’emplois, manque de ressources pour les transports en commun et autres catastrophes nous sont annoncées, à l’appui de chiffres exagérés et d’arguments souvent puisés dans la mauvaise foi. Du côté des initiants, on s’attache à expliquer rationnellement que l’abolition des forfaits fiscaux ne sera pas une perte financière, mais un gain. En réalité, il faut se rendre à l’évidence : l’entier de ces débats ne se base que sur des suppositions et des pronostics plus ou moins vérifiables. En cas d’acceptation de l’initiative, il semble plutôt que l’effet sera faible et que ces querelles d’épiciers évitent le problème véritable, qui est lui d’ordre éthique.

Ces forfaits fiscaux constituent en réalité une fraude fiscale à peine voilée. La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf elle-même ne cache pas que cette mesure permet de régler le cas en Suisse de personnes souvent parallèlement taxées à l’étranger sur la fortune et le revenu. Ce qui reflète qu’au fond, ceci n’est pas une généralité et que nous n’avons aucun moyen de contrôle. Ce 9 février, nous avons démontré que le peuple suisse craint les immigrés de la classe pauvre ou moyenne. En revanche, il plie aisément la loi en faveur des étrangers suffisamment riches en les aidant à frauder le fisc. C’est par ailleurs cette lutte contre l’évasion fiscale à plus large échelle qui inquiète le plus les opposants. Comme le souligne Sébastien Guex, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lausanne, cette initiative « constituerait un pas vers et un appui au combat contre ce fléau que représente la fraude fiscale »1. Dans un pays où une injustice aussi criante est mise en place, il n’est en effet pas étonnant que les petites et moyennes fortunes tentent de frauder le fisc à leur tour…

© Mix & Remix

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Le problème principal est l’évidence qu’au XXIème siècle, nous sommes encore en train de tordre la justice face au pouvoir de l’argent. Car il s’agit bien ici de justice fiscale. Un terme qui n’est par ailleurs pas étranger aux opposants de cette initiative. Ceux-ci, loin de nier que cette initiative est « injuste », la légitiment par le fait qu’elle est « nécessaire ». Une assertion particulièrement malsaine qui permettrait de justifier n’importe quoi. L’esclavage n’était-il pas, pour les états du sud des États-Unis, nécessaire à leur économie ? La censure n’est-elle pas un outil nécessaire aux dictatures pour survivre ? La mise sous contrôle de chaque citoyen n’est-elle pas nécessaire à la sécurité de tous ? La torture n’est-elle pas un moyen nécessaire pour garantir des aveux ? La liste est interminable. L’enjeu ici est de savoir si ces quelques millions de francs, indéniablement utiles à la Confédération, peuvent être obtenus au détriment de la justice. Il est temps de se rendre à l’évidence que si quelques millions nous semblent « nécessaires », une justice impartiale est, quant à elle, une condition indispensable à la démocratie. Tant que la Suisse se laisse corrompre par l’argent des plus riches, peut-elle réellement continuer à prétendre à la neutralité, à la défense des droits de l’homme et à l’arbitrage de conflits internationaux ?

© Mix & Remix

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1. http://www.solidarites.ch/vaud/?p=1227 et http://www.solidarites.ch/vaud/?p=1251

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