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Alors que 2013 a été proclamée « Année Internationale de la Coopération dans le domaine de l’eau » d’après la Résolution A/RES/65/154 de l’Assemblée générale des Nations Unies, Nestlé se taille la part du lion en vendant cinq milliards de litres d’eau par an. Commercialiser une denrée indispensable à toute survie, considérée comme un droit de l’homme depuis 20101 ne relève-t-il pas du machiavélisme? Le CEO de Nestlé, Peter Brabeck, n’est pas de cet avis. Il a d’ailleurs une logique bien personnelle pour essayer de convaincre les plus réfractaires. Démonstration.
C’est en 1843 que la saga de l’eau Nestlé débute, lorsqu’Henri Nestlé établit sa première entreprise d’eau en bouteille et limonade2. Dès 1969, les acquisitions de marques se multiplient : Vittel, Perrier, San Pellegrino et bien d’autres passent sous la houlette du géant suisse. En 1998, les différents labels sont regroupés sous l’appellation « Pure Life ». Actuellement leader mondial de la vente d’eau en bouteille, le patriarche Henri Nestlé a eu le nez fin puisque la filiale Nestlé Waters représente aujourd’hui dix pour cent du chiffre d’affaire du groupe : 72 marques et cinq milliards de litres vendus dans 130 pays3. Une success story de plus pour la marque helvétique ?
C’est sans tenir compte des victimes collatérales. Le Pakistan par exemple. Premier marché test pour « Pure Life » en 1998, la marque sut s’imposer sur un marché où de nombreuses personnes n’avaient pas accès à l’eau potable4. Substitut hygiénique aux problèmes de contamination par l’eau du robinet, Nestlé passe sous silence l’assèchement des nappes phréatiques situées aux alentours de son usine construite à proximité de Lahore5.
Autre cas dans le Maine (USA), où Nestlé pompe allègrement 2’650 milliards de litres d’eau par année6. Un moindre mal d’après la compagnie, puisque cet État dispose de sept à quatorze milliards de litres annuels dans ses nappes phréatiques. Tout est relatif. Mais la population n’est pas dupe. Un vétéran du coin relève avec malice lors d’une interview tirée du film « Bottled Life »7 que le liquide translucide vendu par Nestlé est le même que les habitants de la région utilisent pour laver leurs mains et…tirer la chasse d’eau.
Cependant, la plus belle justification du commerce de l’eau par Nestlé vient directement de son CEO, Peter Brabeck. Enclin à reconnaître le droit à chaque être humain de bénéficier de 25 litres d’eau par jour, il semble cependant préoccupé par le gaspillage de cette denrée: « Where I have an issue is that the 98.5% of the water we are using, which is for everything else, is not a human right and because we treat it as one, we are using it in an irresponsible manner, although it is the most precious resource we have. Why? Because we don’t want to give any value to this water. And we know very well that if something doesn’t have a value, it’s human behaviour that we use it in an irresponsible manner »8 . Pour rendre l’humanité responsable, une solution (hyper rentable): donner un prix à cette eau et la vendre, en bouteille. Quelle alternative ! Surtout pour les 780 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable9 et dont le maigre budget journalier ne souffrirait pas une dépense supplémentaire, même pour l’or bleu.
Alors certes Nestlé n’est pas responsable de la défaillance de certains gouvernements à assurer une offre d’eau potable à ses citoyens. Certes la multinationale créé des places de travail, participe à la construction d’infrastructures locales. Mais de là à présenter cette spoliation d’une ressource naturelle indispensable à la survie humaine comme une « création de valeur partagée »10, c’est tout de même pousser mémé dans les orties. Les puits devenus secs des Pakistanais résidant aux alentours de l’usine de mise en bouteille de Nestlé ne représentent pas vraiment une création de valeur, et encore moins partagée.
Jadis en Afrique, Nestlé avait réussi à faire croire qu’il aidait les populations indigènes avec son lait en poudre miraculeux11. Aujourd’hui, ce mastodonte helvétique veut faire avaler à la population mondiale qu’il est le pourvoyeur messianique d’une ressource qui n’a pourtant pas attendu Henri Nestlé pour permettre à la vie d’envahir la planète Terre.
1 Selon la Résolution A/RES/64/292 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/64/292
2 Nestlé Waters, http://www.nestle-waters.com/aboutus/key-dates-in-history
3 Romandie.com, http://www.romandie.com/news/archives/Nestle_Waters_marche_en_legere_decroissance_pour_les_mineraliers_suisses43051120121600.asp
4 Le Monde, http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/11/nestle-et-le-business-de-l-eau-en-bouteille_1757464_3246.html, 11.09.2012
5 Bottled Life, Film d’Urs Schnell, http://www.bottledlifefilm.com/index.php/le-sujet.html
6 Sun journal, « Poland Spring Paradox », 23.09.2008, http://www.sunjournal.com/node/332520
7 Film d’Urs Schnell, http://www.bottledlifefilm.com/index.php/home-fr.html
8 Blog Crooks and Liars, http://crooksandliars.com/nicole-belle/nestl-ceo-doesnt-think-water-basic-ri
Traduction (Victoria Barras) : « Ce qui me pose un problème, ce sont les 98.5% de l’eau que nous n’utilisons pas [pour boire et se laver] et que nous considérons comme un droit humain, en l’utilisant de manière irresponsable, bien que ce soit la ressource la plus précieuse que nous ayons. Pourquoi ? Car nous ne voulons donner aucune valeur à l’eau. Et nous savons que tout ce qui n’a pas de valeur aux yeux de l’être humain est utilisé de manière irresponsable ».
9 Nations Unies, http://www.un.org/fr/events/worldwateryear/factsfigures.shtml
10 Voir http://www.nestle.com/csv/what-is-csv
11 Lire notamment : http://www.liberation.fr/monde/1998/05/25/le-lait-pour-bebe-plaie-des-pays-pauvres-15-million-de-nourrissons-meurent-chaque-annee-faute-d-etre_236961
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