Société Le 5 avril 2016

Pourquoi priver les élèves en situation de handicap de suivre les cours de gym?

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Pourquoi priver les élèves en situation de handicap de suivre les cours de gym?

Photo de Carla da Silva – http://dasilvacarla.com/

Définir le handicap est difficile, car celui-ci peut se présenter sous diverses formes. On peut être touché de manière permanente – c’est l’aspect le plus connu –, mais aussi de manière passagère. À ce titre, l’INPES (Institut national [français] de prévention et d’éducation pour la santé) définit par exemple le handicap comme étant une « limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société qu’une personne peut subir dans son environnement».1 Face à ces différentes dimensions, nous nous intéresserons dans cet article d’une part au handicap social, lequel est souvent oublié car invisible, et de l’autre à « Sportin », un projet pas tout à fait comme les autres. Ce dernier permet en effet aux enfants avec et sans handicap de partager, ensemble, une journée sportive.

 

Un triste constat

À Genève, lorsqu’un enfant ou un adolescent « n’arrive pas – ou plus – à exploiter ses capacités intellectuelles, physiques ou sociales dans les conditions scolaires ordinaires, une nouvelle proposition peut être envisagée: l’intégration dans l’enseignement spécialisé. »2 Il peut donc être placé au sein d’écoles appelées Centres médico-pédagogiques (CMP). Il s’agit de structures de l’enseignement spécialisé qui ont pour objectif la réinsertion de l’élève dans l’enseignement ordinaire.

Deux précisions cruciales s’imposent à ce sujet : premièrement, les élèves placés dans ces établissements n’ont généralement qu’un handicap dit « social », à savoir une « limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans [leur] environnement ».3 En pratique, il s’agit souvent d’élèves qui ont besoin de plus de temps que les autres pour assimiler le programme et qui nécessitent une attention plus particulière de la part des enseignants. Deuxièmement, malgré que le but des CMP soit de permettre « la réintégration si possible de l’élève dans l’enseignement ordinaire »4, très peu – voire aucun – de ces enfants ne réintègrent l’école classique.

C’est de ce triste constat qu’est née la volonté de se pencher sur les cours d’éducation physique dans les CMP. Étrangement, ces centres sont très rarement dotés de salles et de professeurs de gymnastique. Alors que la plupart des élèves possèdent toutes leurs capacités physiques, qu’est-ce qui peut bien justifier l’absence de ces structures ?

 

L’exemple des clubs de boxe

La violence est une problématique récurrente à laquelle tous les éducateurs sont forcément confrontés un jour ou l’autre. En effet, l’enfant qui n’arrive plus à s’exprimer ne trouve souvent d’autre alternative que le contact agressif ou la force. Cette difficulté à s’exprimer et la frustration qui en résulte est évidemment davantage notable en enseignement spécialisé. Il est dès lors plausible qu’une salle de sport facilite l’expulsion de cette frustration et fasse de la place pour l’instauration d’un dialogue. D’ailleurs, la nécessité de faire du sport pour le bien-être – de n’importe quel être humain au demeurant – se passe de démonstration.

Basée sur une approche similaire, l’émergence des clubs de boxe dans certains quartiers populaires représente un exemple tout à fait pertinent. Ces clubs ont non seulement pour but de distraire ceux qui s’y rendent, mais également de véhiculer des valeurs éducatives et de contribuer à l’insertion sociale. À ce titre, l’ancien boxeur français Christophe Tiozzo, qui a fondé une académie portant son nom, explique: « L’idée est d’utiliser la boxe pour transmettre des valeurs de respect, de dépassement de soi, de maîtrise, d’endurance. Rien à voir avec la bagarre ou les bastons qui opposent souvent les jeunes des cités. En apprenant à canaliser son énergie, à maîtriser son geste, on retrouve peu à peu confiance en soi. En fréquentant un club, en écoutant les conseils d’un entraîneur, on s’habitue à respecter des règles »5À travers cet encourageant témoignage, on constate que le sport peut permettre une meilleure réinsertion des enfants souffrant de handicap social. Il ne reste plus qu’à voir si cette logique peut s’appliquer aux enfants des CMP genevois.

En tout état de cause, l’activité physique apporte indéniablement un bien-être à l’enfant, de même qu’une certaine confiance en lui et une maîtrise de ses émotions. Il s’agit aussi d’un moyen d’évacuer la pression sociale quotidienne. Et si l’existence des cours de gym est un acquis en ce qui concerne l’enseignement ordinaire, on ne voit pas en quoi les arguments qui le justifient ne seraient pas également valables pour des enfants présentant un handicap social.

 

Une incohérence à corriger

Cette bizarrerie ne trouve aucun fondement. Elle pourrait résulter d’un oubli de la part des personnes chargées de définir le programme de l’enseignement spécialisé, peut-être aussi d’une certaine négligence, ou encore – mais ce serait étonnant – d’une volonté de traiter ces enfants différemment des autres. Quoi qu’il en soit, le temps est venu de corriger cette incohérence et d’envisager un enseignement genevois spécialisé qui propose l’activité physique pour tous les enfants.

Une heure de gym tous les matins en CMP ne pourrait-elle pas, par exemple, permettre de canaliser les arrivées à l’école et d’instaurer un climat plus propice à l’apprentissage ? Ne pourrait-elle pas favoriser l’intégration des enfants dans la société ? Ou plus simplement de limiter les problèmes de comportement et de développement ? Notons que l’origine d’un handicap n’est pas forcément pathologique. Le handicap peut bien souvent résulter d’un contexte de vie délicat qui crée une certaine incapacité passagère chez l’enfant. Le sport – à travers le jeu et la compétition qui s’y lient souvent – peut dans cette optique constituer un soutien à des histoires de vie difficiles.

 

"Les différences deviennent invisibles quand tous les enfants sont vêtus de vert et elles laissent place à l'amusement. Photo de Carla da Silva - http://dasilvacarla.com/

Les différences deviennent invisibles quand tous les enfants sont vêtus de vert et elles laissent place à l’amusement. Photo de Carla da Silva – http://dasilvacarla.com/

 

Réduire le fossé à Genève

À Genève, des efforts sont déjà mis en œuvre au sein du Département de l’instruction publique (DIP) via le programme « école inclusive ». Celui-ci vise à « offrir à chaque enfant l’environnement scolaire le plus adapté lui permettant de maximiser son potentiel » et ce « quels que soient ses besoins, son handicap, son talent, son origine et ses conditions de vie économiques et sociales. »6 Le site internet du DIP indique par ailleurs que les enfants avec des besoins éducatifs particuliers « réussissent mieux lorsqu’ils sont inclus dans le système ordinaire » et même que « l’ensemble des élèves tend à développer des valeurs liées à la tolérance et à la capacité d’intégration ».

Cette volonté d’intégration du canton est encourageante et il convient de la saluer. Toutefois, on constate aussi que son application est compliquée, notamment parce que l’enseignement adapté à chacun est coûteux. En effet, une intégration réussie nécessite un suivi individuel des enfants concernés et, inévitablement, du temps, du personnel et donc de l’argent en plus.

À l’inverse, une leçon de sport est relativement peu coûteuse et peut être assez facilement intégrée dans ce programme « école inclusive ». Le sport, cette clé d’accès à la société pour l’enfant mis à l’écart, pourrait être un premier pas dans le raccourcissement du fossé existant entre les enfants des écoles dites ordinaires et celles dites spécialisées. C’est ainsi qu’est né le projet Sportin de la fondation Sportup.

 

Le projet Sportin

Sportin est une journée sportive « mixte » pour les enfants, avec et sans handicap, leur permettant de « jouer ensemble, réussir ensemble, partager ensemble et apprendre ensemble »7Et ce projet a fait ses tout premiers pas le mardi premier mars dernier. Durant une après-midi, les élèves de l’école primaire des Ouches et ceux du CMP des Oliviers ont joué, ensemble, au sein de petites équipes hétérogènes de quatre joueurs. Cette demi-journée Sportin fut un franc succès : aucun problème de comportement ni de difficulté dans l’exécution des exercices n’ont été observés.

Bien au contraire, on a pu assister à de belles scènes d’encouragements et d’entraide entre les élèves des deux écoles, que l’on n’arrivait bientôt plus à distinguer, étant donné qu’ils portaient tous le même T-shirt vert marqué d’un « Sportin » bleu. De fait, les différences avaient disparu. Il ne restait plus que l’envie de réussir les exercices et la solidarité avait remplacé le scepticisme. De beaux exemples de fair-play autour de certains postes touchant un handicap (voir photos ci-dessous) ont en outre été constatés. L’après-midi s’est conclue sur une remise des prix durant laquelle les élèves ont dû former un cercle, chacun allant chercher son prix à tour de rôle sous les applaudissements et les sourires partagés des grands et des petits.

Cette remise des prix marquait la fin de la manifestation, mais il semble que ce ne soit en réalité qu’un début. L’objectif de la journée était d’introduire la continuité des leçons de gym pour les élèves de CMP. Idéalement, les enfants du CMP devraient pouvoir bénéficier de leçons hebdomadaires avec la classe avec laquelle ils ont débuté le projet, dans le but de développer la camaraderie au sein de ce grand groupe (depuis la journée Sportin, les élèves se saluent lorsqu’ils se croisent !), et indirectement, la confiance en soi.

 

Concentration et engagement des élèves à chaque poste: estafette pieds/mains (au premier plan), poste sensibilisation au handicap avec estafette chaise roulante, yeux bandés et palmes (en arrière-plan). Photo de Carla da Silva - http://dasilvacarla.com/

Concentration et engagement des élèves à chaque poste: estafette pieds/mains (au premier plan), poste sensibilisation au handicap avec estafette chaise roulante, yeux bandés et palmes (en arrière-plan). Photo de Carla da Silva – http://dasilvacarla.com/

 

Après Sportin, quelles perspectives pour le futur?

Florian Guinchard, qui s’est associé au projet Sportin, est maître de gymnastique à l’école primaire des Ouches, aux Charmilles, et au CMP des Oliviers situé dans le quartier des Franchises. Il est pour sa part déjà parvenu à obtenir, depuis 2014, une heure de gym par semaine pour ses élèves de CMP dans la salle de l’école des Ouches. À terme, il serait souhaitable que son exception devienne une tendance, voire une règle, car des cours réguliers de gymnastique contribueraient incontestablement au bien-être des enfants en difficulté. N’oublions pas que le sport rapproche et unit, tout en donnant du plaisir, et ce sans nécessiter des compétences particulières. Il ne faut donc plus attendre.

La solution passe-t-elle par l’organisation de cours d’éducation physique entre élèves d’établissements spécialisés et ordinaires dans le cadre de l’école inclusive ? Si cette voie n’est pas retenue, qu’attend-on pour attribuer un maître et une salle de gym aux CMP ? La mise en œuvre de la suite du projet Sportin une fois par semaine est-elle réalisable ?

En tout cas, le processus est lancé et on ne peut être qu’optimistes à l’idée d’un développement généralisé de ce projet. Celui-ci n’a pas pour seul objectif d’offrir des cours d’éducation physique à des enfants qui y ont droit ; il vise aussi à fournir des leçons-type pour les maîtres de gymnastique se sentant démunis, ainsi qu’à rapprocher deux groupes d’enfants qui sont, en réalité, tous deux composés d’enfants ordinaires.

Les 33 participants de Sportin posent avec trois adultes présents lors de cette journée pour une photo d'équipe. Photo de Carla da Silva - http://dasilvacarla.com/

Les 33 participants de Sportin posent avec trois adultes présents lors de cette journée pour une photo d’équipe. Photo de Carla da Silva – http://dasilvacarla.com/

 


[1] http://www.inpes.sante.fr/sante-handicap/france/defintion.asp

[2] https://www.ge.ch/enseignement_public/enseignement_specialise.asp

[3] http://www.larousse.fr/encyclopedie/medical/handicap/13451#DS1sPTpVE586D8Jy.99

[4] https://www.ge.ch/enseignement_public/enseignement_specialise.asp

[5] http://www.reussirmavie.net/De-la-boxe-pour-les-jeunes-des-cites-avec-l-Academie-Christophe-Tiozzo_a2059.html

[6] http://www.ge.ch/dip/ecole-inclusive/

[7] http://www.sportin.ch/home/page.aspx?page_id=5090

Commentaires

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T. Mahmoud

Excellente initative. On espère que les professeurs des enseignements ordinaires et spécialisés seront nombreux à poursuivre le mouvement. C'est à…

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T. Mahmoud

Excellente initative. On espère que les professeurs des enseignements ordinaires et spécialisés seront nombreux à poursuivre le mouvement. C’est à eux qu’incombe cette responsabilité! Sans une poussée, les autorités ne bougeront pas!

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