Société Le 28 mai 2018

Primes maladie élevées: l’occasion de penser la santé différemment

1
1
Primes maladie élevées: l’occasion de penser la santé différemment

© Aisha Faquir/World Bank/Flickr

À l’heure où la grogne monte parmi les citoyen·ne·s et que les manifestations se multiplient pour alerter le pouvoir politique, Brice Touilloux nous livre sa vision du système de santé helvétique. Le jeune médecin hospitalier rappelle que la pratique médicale évolue suivant une logique capitaliste où la recherche de profits règne et nous invite à penser la santé en Suisse de manière globale.


 

Chaque fin d’année représente son lot d’habitudes plus ou moins généralisées. Il faut organiser le repas de Noël familial, trouver un plan pour la soirée du nouvel an et… trouver comment supporter l’augmentation des primes maladies annoncées pour l’année à venir. La prime maladie mensuelle moyenne est passée de 173 CHF en 1996 (année d’introduction de la LaMal) à 447 CHF en 20171.

Cette charge économique lourde pour les personnes précaires, travailleuses et issues des classes intermédiaires transforme la réflexion sur le système de santé en objet exclusif sur les primes maladie et les « coûts » de la santé. Les dirigeant-e-s politiques veulent offrir une réponse pour montrer leur capacité à diriger le navire, même si celle-ci s’avère souvent simpliste et défavorable à la majorité de la population. Au-dessus de l’agitation politique et médiatique, se trouvent les assureurs maladies qui tentent d’imposer leur analyse de l’augmentation des coûts, et par conséquent leur solution. Cependant, qu’en est-il du médecin et des autres professionnel-le-s de santé ?

 

Le système médical

Lorsque nous parlons du système médical, nous faisons souvent référence au système institutionnel tel que la formation, les hôpitaux, les assureurs maladies, le TarMed (système de remboursement des soins ambulatoires), les cabinets médicaux, etc. Or, un système médical comprend également la culture et la pratique médicales comme elles sont représentées dans l’imaginaire de la société et des représentant-e-s des soins. Nous pouvons noter que les prestataires de soins ainsi que les meneur-euses d’opinions ont totalement déserté cet aspect de la critique du système de santé, pour se focaliser sur des points précis. Une critique isolée du système institutionnel, notamment des problèmes induits par les assurances maladies, sera forcément limitée et ne pourra comprendre le problème dans sa globalité. De plus, une absence de critique du système dans sa globalité laisse un vide qui est comblé par des théories complotistes anti-médicales.

Aujourd’hui, la médecine est dominée par le paradigme de la thérapie interventionnelle. Le chemin principal entre la consultation, à partir d’un souci vécu par le patient-e, et la résolution de cette problématique passe principalement par le médicament (miracle si possible) ou l’intervention chirurgicale voire endoscopique (exemple : pose d’un « stent » cardiaque). Ce paradigme repose sur l’attente du patient-e, qui a été influencé-e par des publicités pour de nouvelles molécules aux effets incroyables, entre deux épisodes de séries médicales, où la Dre M.Grey a sauvé un enfant d’un cancer cérébral incurable grâce à sa technique prodigieuse, ou bien lorsque Dr House a permis à un handicapé moteur de remarcher suite à son diagnostic d’insuffisance cortico-surrénalienne. De l’autre côté de la consultation, se trouve un-e médecin influencé-e par les mêmes structures, ainsi que la recherche médicale qui définit l’expérience médicale reproductible fondée sur la preuve empirique. Aujourd’hui, une grande majorité de la recherche médicale est financée par les boîtes pharmaceutiques. Cette recherche est donc le plus souvent faite à partir d’une comparaison d’une nouvelle molécule ou type d’intervention contre l’ancienne thérapie ou l’absence de thérapie. Or, en recherche, on trouve le plus souvent ce que l’on cherche. Ainsi, la connaissance scientifique progresse uniquement vers la voie médicamenteuse et interventionnelle. Il est rare de trouver des études de qualité ayant recherché l’efficacité de médecine préventive sur le long terme ou de voie non médicamenteuse (exemple : un coach après un infarctus). Un pan entier du savoir médical manque, ce qui affaiblit la pratique médicale même lorsque le médecin connaît les limites du système. Les théories du complot qui imaginent des médecins totalement complices du système n’analysent pas assez cet angle.

De plus, le paradigme médical prend en compte le plus souvent l’allongement de l’espérance de vie comme référentiel de réussite. Les autres facteurs faisant référence sont la diminution d’évènements médicaux (comme les infarctus, les AVC, etc.) mortels ou non. Il est très rare de voir une réflexion autour du ressenti subjectif de la qualité de vie indépendamment de sa durée. Les souffrances et difficultés vécues par le patient-e après une médication ou une intervention sont peu, voire pas du tout, prises en compte. Par exemple, on peut imaginer une étude comparant des chimiothérapies à la présence journalière d’accompagnateur-trice chez des personnes âgées, vivant seules, atteintes du cancer. L’accompagnateur-trice pourrait les aider à sortir chaque jour, discuter avec elles des actualités ou jouer aux cartes. En terme économique, les coûts des chimiothérapies avoisinent souvent 4000 CHF par mois ; la solution d’accompagnement serait donc moins chère (sans compter la création d’emplois). Les dépenses iraient vers de nouveaux salaires et non vers les profits des entreprises pharmaceutiques. Le patient-e, lui, pourrait voir son espérance de vie diminuée de 2-3 mois. Cependant il-elle aurait une amélioration significative de sa qualité de vie et de son bonheur individuel.

La pratique médicale évolue dans des rapports sociaux de productions capitalistes où les profits sont l’objectif, où la croissance est obligatoire et la stagnation un échec. Les entreprises pharmaceutiques, ainsi que les assurances maladies, font partie de manière intégrante de ce système capitaliste. Par conséquent, l’ensemble de la pratique médicale (de la consultation pour un rhume, à la fixation des primes maladies, en passant par les décisions des politiques) se trouvent sous ces rapports sociaux de production. Au Moyen-Âge, la religion définissait en grande partie la pratique médicale car elle était l’un des piliers de ce système. Aujourd’hui, il s’agit du système capitaliste.

 

Primes maladie, avez-vous dit ?

En médecine suisse, lorsque la question des coûts est présente, il est demandé aux médecins et travailleur-euse-s de la santé de se retirer du débat et de suivre les recommandations budgétaires faites par les élus politiques et les assureurs maladies (non-élus même s’ils sont fortement représentés sous la coupole fédérale). S’ils-elles contestent une baisse des tarifs, des prestations ou le système de remboursement, ils-elles seront vite accusé-e-s de refuser de participer à l’effort commun et d’être privilégié-e-s. Il leur est demandé de se focaliser sur la qualité des soins et de laisser la discussion des coûts aux assurances maladies et élu-e-s fédéraux. On observe ainsi, rapidement, la domination des assurances maladies et du relais politique dans la définition des grandes lignes des coûts de la santé en Suisse, accompagnée de l’exclusion des prestataires de soins.

La Suisse a choisi un paradoxe dans son organisation médicale de remboursement. Les assurances maladies de base doivent toutes rembourser la même liste de thérapies, définie par l’Office Fédéral de la Santé Publique. Ainsi, l’Etat définit les services que les assurances maladie proposent. De plus, elles ne peuvent pas réaliser de bénéfices sur l’assurance de base (seule une majoration peut être faite pour constituer des caisses de réserve). Cependant, les assurances maladie sont privées et appartiennent à des actionnaires. Comme nous l’avons vu, ces entreprises ont besoin de profits économiques. La situation est donc, par essence, contradictoire : des entreprises privées tentent de se faire concurrence, sans pouvoir proposer d’autres services et des actionnaires veulent des bénéfices sans pouvoir en faire légalement. Le succès et la réflexion à court terme domine (pour rentrer dans ses frais), il devient donc inimaginable de réaliser une politique de prévention de qualité qui serait bénéficiaire après trente ans d’investissement.

La principale concurrence qui existe se fait donc via l’éviction de client-e-s onéreux tels les malades chroniques et l’attraction de client-e-s « bons risques » : les jeunes en bonne santé. Ainsi, nos assureurs maladies emploient de nombreuses personnes, pour remettre en question de nombreuses thérapies, dont bénéficient les patient-e-s chroniques. Dans les faits, cela se traduit par des appels auprès du médecin par les assurances maladies, pour demander de nombreuses informations à compléter dans des rapports de plus en plus longs. La charge administrative du médecin augmente pour justifier le remboursement des thérapies qu’il-elle prescrit. Le but est d’induire des retards de remboursement pour ces patient-e-s chroniques, qui finissent par changer d’assureur. Dernièrement, j’ai dû personnellement faire face à trois appels d’un assureur maladie pour justifier le remboursement d’une antibiothérapie à 90 CHF. La mobilisation du temps de travail de l’employé-e de l’assureur maladie et du médecin prescripteur-trice (dans ce cas, moi-même) est probablement plus élevée que le remboursement du médicament. Un tel système est une pression pour le médecin et le patient-e-s.

 

Conclusion

Le système médical doit être critiqué dans sa globalité et une réflexion seule au niveau des assurances maladies risque de noyer les origines des problèmes actuels. Il faut remettre en question, sans le rejeter pour autant, le paradigme de la médication et de l’intervention. Nous devons réaliser de nouvelles recherches, sous un nouvel angle, qui ne se focalisent pas perpétuellement sur le profit. Cependant, les fonds seront rapidement absents. Dans ce contexte économique, les assurances maladies pressurisent patient-e-s et médecins en induisant des accusations mutuelles de l’autre groupe. Il faut décider dans quel sens aller, entre un système avec des assurances publiques pratiquant la prévention primaire, la justice redistributive médicale, et un système privatif vraiment concurrentiel voyant les patient-e-s comme des client-e-s. Entre ces deux possibilités, le système public semble avoir fait ses preuves, mais ceci est un autre débat.

 

 


1. https://www.rts.ch/info/suisse/8045185-les-primes-maladie-ont-augmente-de-159-depuis-20-ans.html

Commentaires

image-user

Patricia

Excellent article qui résume bien la situation. Il y a urgence à repenser le système de santé dans sa globalité…

Lire la suite

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.

image-user

Patricia

Excellent article qui résume bien la situation. Il y a urgence à repenser le système de santé dans sa globalité et cela passe certes par les valeurs de l’être humain dans notre société. La vie ne peut pas avoir pour seuls objectifs le profit et le rendement.

Répondre