
Parfois, il arrive qu’un grand média fasse son travail plus qu’honorablement. Ce fut le cas pour la RTS, avec son reportage sur le cannabis thérapeutique, lors du journal de 19h30 du 1er avril. Un reportage remarquable qui tombe à point nommé pour opposer un contraste flagrant avec la désinformation diffamatoire du Figaro (analysée récemment ici-même) et qui vient illustrer et appuyer les arguments que j’avais mentionnés. Quand un média fait bien son travail d’information, on aurait tort de bouder notre plaisir.
En comparaison aux articles du Figaro, ce reportage de la RTS semble pour le moins surréaliste. C’est à se demander s’ils parlent bien de la même plante. Et pourtant… Voici quelques extraits, en commençant par l’introduction du reportage, où la présentatrice du journal rappelle l’esprit de la loi.
« Depuis juillet 2011, l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques est autorisé en Suisse. La nouvelle législation devait permettre aux malades de sortir de l’illégalité. Mais un peu moins de deux ans plus tard, il n’en est rien. La plupart continue de s’approvisionner illégalement dans la rue. »
Le reportage commence par la présentation d’un patient consommant du cannabis pour contrôler ses symptômes.
« Des médicaments pour contrer la maladie et la douleur, cet homme ne les compte plus. Atteint du sida et d’un cancer du côlon, il avoue, sous couvert d’anonymat, qu’en accord avec son médecin, il consomme du cannabis pour soulager ses spasmes, mieux dormir et faire passer ses nausées. »
Le patient explique alors l’intérêt de consommer du cannabis (malgré les risques que cela comporte), intérêt que feignait de ne pas comprendre « l’expert » en pharmacologie du Figaro. Et surtout, son témoignage souligne la notion de choix du patient.
« Bon, il y a des pilules, c’est vrai, qui existent pour cela. Mais je dirais que déjà avec une tri-thérapie et des médicaments pour passer certains effets des autres médicaments et tout, au niveau médicaments, ça fait quand même une certaine surcharge. Et puis ça provoque d’autres effets supplémentaires. Donc à choisir, c’est vrai que je préfère avoir du confort et prendre du cannabis. »
On apprend ensuite que ce sont « des bienfaits reconnus par de nombreux médecins » (mais pas par le neuro-pharmacologue à deux balles du Figaro, bien entendu) et qu’en la matière, « la recherche ne fait que commencer« . Puis c’est au tour du Dr Barbara Broers, médecin-cheffe adjointe de l’unité dépendance de l’Hôpital Universitaire de Genève, de citer quelques applications possibles du cannabis:
« Il y a aussi des effets vraiment, disons, soignants, en termes d’oncologie, et même aussi par rapport à la sclérose en plaque. On sait que les cannabinoïdes ont des effets sur le système immunitaire et que donc, peut-être par rapport à certaines maladies auto-immunes, il peut y avoir un réel effet thérapeutique. »
Mais la situation actuelle présente une forme d’hypocrisie, sur laquelle le reportage de la RTS va mettre le doigt.
« Si en Suisse, l’usage du cannabis thérapeutique est autorisé depuis presque deux ans, un seul médicament à base de THC est disponible en pharmacie. Son prix : entre 500 et 1000 francs pour un traitement d’un mois qui n’est pas remboursable. Du coup, la plupart des malades se procurent du cannabis en toute illégalité, avec les risques que cela comporte. »
Il est intéressant de noter qu’à très juste titre, le reportage parle des risques liés au cannabis, non pas à propos des risques inhérents à la plante (il y en a), mais à propos des risques bien plus grands induits par la prohibition de celle-ci (risque pénal, social, sanitaire, etc.). On découvre donc la situation de quatre malades condamnés pour achat et consommation de cannabis comme de vulgaires criminels, suivi du commentaire lamentable d’Olivier Jornot, procureur général de Genève. L’esprit de la loi ne le préoccupe visiblement pas.
« La loi clairement reste applicable et interdit cette consommation-là. Elle interdit aussi le fait de produire dans ce but. Cela n’a encore une fois rien à voir avec la légalisation du cannabis thérapeutique qui, elle, doit passer par la consommation d’un médicament dans une pharmacie, et non pas par le fait de fumer un joint. »
Pour lui, par principe, la consommation de cannabinoïdes n’est donc justifiable que si elle rapporte de l’argent à l’industrie pharmaceutique. « La loi est aberrante, mais peu importe, c’est la loi », dit-il en substance (no pun intended). Bien évidemment, « cela n’a encore une fois rien à voir » avec le fait qu’on peut obtenir pratiquement le même résultat en faisant pousser (gratuitement) une plante dans son jardin… Le Pr Costentin du Figaro, lui aussi, tentait de convaincre le lecteur que le cannabis des groupes pharmaceutiques « n’a rien à voir » avec le cannabis « naturel ». Le procureur et le pharmacologue s’entendraient probablement comme larrons en foire.
On termine avec la conclusion du reportage:
« Difficile d’estimer le nombre de personnes qui consomment du cannabis à titre thérapeutique en Suisse. Selon nos informations, ils seraient plusieurs centaines de malades. »
Bref, voilà un reportage extrêmement pertinent, mettant le doigt sur un problème concret de la loi actuelle et dénonçant l’hypocrisie d’un système qui punit pénalement les malades qui se tournent vers une alternative aux traitements onéreux préconisés par l’industrie pharmaceutique. Un magnifique contre-exemple à la désinformation endémique dans les médias sur le cannabis, qui permettra peut-être de faire changer la situation et dont peuvent être très fiers ses deux auteurs, Aline Inhofer et Yves Bussard.
Tout est possible! :)