International Le 12 janvier 2014

Tel-Aviv ou l’impasse d’un confort

4
4
Tel-Aviv ou l’impasse d’un confort

Impressions d’Israël : elles sont chaque fois plus claires, mais chaque fois plus confuses à décrire. Si l’on écarte la question palestinienne de sa route, on ne verra rien. Si l’on respecte le triangle touristique Tel-Aviv – Jérusalem – Mer Morte, on ne verra juste assez rien. Si on s’aventure à Bethléem ou encore à Safed, on dira que c’est déjà bien. Cela doit sûrement être ainsi pour la majorité des touristes qui se rendent en Israël-Palestine et pour les habitants les moins curieux de ses grandes villes côtières. De retour un an après ma première visite avec un intérêt précis (la question de l’eau et de son partage), quel n’a pas été mon étonnement en constatant, par l’échange, que la majorité des Israéliens ignoraient l’existence de leur aqueduc national, pourtant responsable de leur approvisionnement quotidien en eau, de la Galilée jusqu’au désert du Néguev ! Depuis 1965 déjà, celui-ci prélève des eaux du lac de Tibériade, lui-même traversé par le Jourdain, ce fleuve si convoité… Lorsque l’on ignore les raisons de notre confort, quelles valeurs peuvent avoir les moyens employés ?

Les toits de Tel-Aviv sont le pendant des terrasses européennes. (Décembre 2013, JDSV)

Les toits de Tel-Aviv sont le pendant des terrasses européennes. (Décembre 2013, JDSV)

 

A Tel-Aviv, fais ce qu’il te plaît

Il ne faut pas trop s’attarder sur les grands hôtels qui soulignent le front de mer : ce sont eux les mirages, car Tel-Aviv n’est pas une ville coquette. Au-delà de ses grandes avenues clairsemées de boutiques, de cafés fort sympathiques ou d’édifices Bauhaus, la « rehov »  (rue) est souvent malpropre, et ses immeubles, abandonnés, ou passablement détériorés. Le charme de cette ville, ce sont les merveilles qui se révèlent entre deux allées ou derrière les portes de modestes arcades : la magie des lieux s’opère alors entre un sentiment de surprise, d’incohérence et d’authenticité. Au quotidien, le bord de mer réunit tous les profils, du touriste français -majoritaire- à l’éthiopien du quartier de Florentine, en passant par le couple d’Israéliens faisant son footing, ou encore la famille d’Arabes israéliens se baladant au complet. Ça et là, jeunes et touristes circulent paisiblement en vélibs ou deux-roues d’occasion sur la généreuse piste cyclable qui longe la promenade maritime. Ici, personne ne se retourne pour regarder le sans-abris, la trentenaire au look déjanté, le couple d’homosexuels, ni même le touriste : Tel-Aviv est sûrement l’une des villes les plus libertaires du pourtour méditerranéen ! Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « la bulle » ou encore « la capitale homosexuelle du Moyen-Orient ». À l’autre extrême de son appréhension, on pourrait dire qu’elle abrite une société particulièrement « individualiste », que la liberté de certains croise indifféremment la détresse des autres, que là où ce quartier est pour l’un le rêve, pour l’autre il est « dépanne », car ce n’est pas tant la façade qui compte à Tel-Aviv.

Cette diversité pêle-mêle de classes et de tempéraments -qui fait le charme de ses lieux de récréation- frôle parfois le drame lorsqu’une minorité se révèle au grand jour et dévoile avec elle, la pauvreté et la xénophobie latente. Aussi, l’année 2014 a débuté sur fond de manifestations menées par des dizaines de milliers de migrants africains exigeant le droit d’asile, après être entrés clandestinement dans le pays. Celles-ci ont fait suite à une loi adoptée en décembre 2013, autorisant la rétention jusqu’à un an et sans procès des migrants clandestins. Au-delà de la question palestinienne, on se rappellera alors que l’État d’Israël, comme tout autre État attrayant, est confronté au problème de l’immigration illégale. Or, face à celle-ci, à défaut d’instaurer une réelle politique d’asile composée entre autres de structures d’accueil, il a dressé une « clôture de sécurité » de 227 kilomètres, le long de sa frontière avec le Sinaï égyptien ; celle-ci a été achevée fin décembre 2012. En un an, les conditions de ces immigrants venus du Soudan ou encore d’Érythrée se sont ainsi dégradées, et Israël n’est pas le seul responsable de cette catastrophe humanitaire en cours…

C'est dans le quartier de Florentine, au sud de Tel-Aviv que la concentration d'immigrants africains est la plus forte. (Décembre 2013, JDSV)

C’est dans le quartier de Florentine, au sud de Tel-Aviv que la concentration d’immigrants africains est la plus forte. (Décembre 2013, JDSV)

Mais on n’est pas dupe à Tel-Aviv. Dans ce confort presque parfait, le spectre de la parano plane sur ses habitants, comme un signe de bonne santé, de reconnaissance de la nécessité de quelque instinct de survie. Car il ne faut pas oublier, en Israël on vit avec la crainte de ses voisins (Liban, Syrie, Égypte), de l’Iran, des « terroristes » de l’intérieur (Hamas, Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, Front populaire de libération de la Palestine, etc), ou encore du Hezbollah. Et c’est sans compter avec les agissements réguliers de la mafia locale (Israel Connection). L’épée de Damoclès est donc lourde. Aussi, il n’est pas rare que les gens paniquent lorsqu’ils voient un bagage à l’abandon dans la rue ou dans un bus.

Chaque année les sirènes du pays retentissent à 10 heures du matin le jour de la commémoration de la Shoah (Yom Hashoah), appelant la population à garder le silence deux minutes. En novembre 2012, il y eût plusieurs fois deux minutes d’angoisse. Durant l’opération « Pilier de défense », plusieurs roquettes lancées depuis la bande de Gaza atteignent le sud de Tel-Aviv, mais sont interceptées par le Dôme de fer (Iron Dome), système de protection anti-missiles israélien. Une habitante de Tel-Aviv me confiait que lors de la première alerte, elle avait été surprise de constater que ses voisins avaient une valise prête avec vivres et habits propres. Elle en a fait de même par la suite, sans négliger d’y glisser quelques croquettes pour son chat. De ce point de vue-là, Tel-Aviv et Beyrouth, sa ville voisine d’environ 215 km -seulement !, connaissent semblable incertitude au quotidien. Cependant, la capitale libanaise a connu plusieurs destructions consécutives, et ne cesse de se reconstruire entre blessure et résilience. Les Telaviviens, eux, semblent faire comme si de rien n’était plus à l’est… tant qu’ils peuvent. Oui, à Tel-Aviv, il fait bon vivre pour soi, pour qui sait s’émerveiller entre les coulisses de cette impasse du confort. Et si cette ville se fait pesante, il y a toujours Jaffa (Yaffo), le « village arabe », pour se dépayser un peu. Lorsque le minaret de la mosquée Hassan Bek apparaît, modeste mais noble au pied du luxurieux Hotel David Intercontinental et d’une plage pour tous : on y est presque. On laisse derrière soi une ville lourde de passé de par les seuls noms de ses rues et avenues, et on s’imagine des temps antiques où les plages n’étaient que les vestibules de la Méditerranée. Lorsque la saison est douce, le mariage des communautés y a lieu chaque jour au crépuscule, c’est là peut-être l’impression la plus certaine que je puisse vous décrire.

(Août 2013, JDSV)

(Août 2013, JDSV)

Commentaires

image-user

Da Silva Villacastin Jessica

Je vous remercie pour vos commentaires et vous invite à écrire vos impressions, de même. Meilleures salutations, Jess

Lire la suite
image-user

Ronny

"Lorsque l’on ignore les rai­sons de notre confort (en parlant de l'eau), quelles valeurs peuvent avoir les moyens employés ?".…

Lire la suite
image-user

Tel-Aviv ou l’impasse d’un confort | Jessica Da Silva Villacastin

[…] Article paru sur Jet d’encre. […]

Lire la suite

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.

image-user

Da Silva Villacastin Jessica

Je vous remercie pour vos commentaires et vous invite à écrire vos impressions, de même. Meilleures salutations, Jess

Répondre
image-user

Ronny

« Lorsque l’on ignore les rai­sons de notre confort (en parlant de l’eau), quelles valeurs peuvent avoir les moyens employés ? ». Qu’est-ce que tu veux dire avec ça? Que les israéliens s’en foutent de comment l’eau est obtenu, et que donc ils peuvent se permettre de tout faire? Et toi, tu te soucis de comment ton t-shirt a été produit? T’as déjà été dans une usine en Chine pour voir à quelle âge les gamins viennent travailler, pour combien d’heures, quels salaires et dans quels conditions? Les bijoux que t’as à la maison, tu sais qu’ils ont pu servir pour financer des guerres en Afrique? Et l’essence que tu mets dans ta voiture, tu sais combien de guerre elle a provoqué?? Ahhhhhh quand on ignore les raisons de notre confort…. C’est tellement facile de faire des conclusions pareil. Ridicule.

Répondre
image-user

Tel-Aviv ou l’impasse d’un confort | Jessica Da Silva Villacastin

[…] Article paru sur Jet d’encre. […]

Répondre
image-user

Quentin S

Chouette article, même si on sent le parti pris et donc les quelques incohérences de terme, mais c’est tout pardonné et on dira que c’est ton droit !
Je voulais juste revenir sur la question de l’immigration africaine et de la mise en place ratée d’une politique adéquate à ce sujet. Je ne sais pas si Israël à fait le bon choix, mais ton paragraphe devrait quand même préciser deux choses à propos des frontières passoires. Premièrement, la construction du mur est une prolongation de la défense contre les incursions terroristes, car il ne faut pas oublier que l’Afrique est en proie à une lourde montée du terrorisme, c’est bien pour ça que beaucoup fuient et veulent entrer dans l’eldorado Israélien, et que depuis l’intervention en Libye il y a des armes passablement dangereuses qui se baladent entre les pays de ce continent. Il est normal que les autorités de l’Etat d’Israël prenne des mesures pour limiter les risques, on fait pareil chez nous concernant le rhône avec des mesures d’assainissement de son trajet. Normal. Et jusqu’à présent l’efficacité des murs a fait ses preuves et soulage grandement les coûts de surveillances aux frontières, et c’est un gain de paix et de paisibilité pour tout les habitants car ca évite des survols permanent par des drones et autres hélicoptères militaire. Ensuite, tu oublie de préciser que les migrants illégaux se sont vu proposer ces deux dernières années de nombreuses solutions de retour, et ceci complétement pris en charge par l’état et avec un crédit de retour dans leur pays ! C’est exactement ce qu’on fait en Suisse mais les circonstances sont différentes. En négligeant cette info tu fais croire à tes lecteurs qu’Israël enferme sans raison ses migrants. Pourtant ce serait complètement illogique, au vu des coûts induit par l’entretient de ces gens dans des prisons ! Donc la prise de position actuelle, que je soutiens pas, est tout de même explicable en plus correctes façons et c’est compréhensible. Il s’agit bel et bien de punir des gens qui ont refusé une solution avantageuse pour tous et non pas d’enfermer des gens par excès de zèle.
Et comme dans tout problème d’immigration, tu le dis toi même qu’on est beaucoup dans la même situation, il est nécessaire d’accepter le fait que des pays arrivent à saturation de ce qu’ils peuvent faire, Israël, tout comme la Suisse, sommes dans cette impasse. Donc sans être forcément d’accord, je comprend pleinement la politique actuelle du gouvernement et la position de la knesset au sujet des migrants, encore faut-il vouloir l’expliquer aux gens afin qu’ils puissent se faire un vrai avis sur la question.

Bien cordialement

Quentin

Répondre