Politique Le 13 janvier 2014

Antisystème ?

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Antisystème ?

© Patrick Kovarik / AFP

Cet article a été initialement publié le 9 janvier 2014 sur le site du Courrier.

Pour moi, l’année a plutôt mal commencé. J’écoutais la radio tranquillement quand j’ai découvert, au détour d’une discussion sur Dieudonné et ses « quenelles », que j’étais d’accord avec Elisabeth Lévy – cette journaliste française qui s’est fait une spécialité d’asséner des banalités de droite avec une distinction digne de la poissonnière d’Astérix. Une « quenelle », c’est ce geste inventé ou popularisé par Dieudonné: le bras tendu vers le bas et l’autre main collée à l’épaule – comme pour mimer un fistfucking tout en finesse. C’est très à la mode chez nos voisins français, et les interprètes sont en désaccord: s’agit-il d’un « salut nazi inversé » ou d’une pantomime « antisystème »? Dans le premier cas, c’est grave. Dans le second, la quenelle ne serait qu’une pochade pardonnable. Mais Elisabeth Lévy amende le diagnostic: « Même si c’est un geste antisystème, il faut dire que c’est très con. » Malheureusement, je crois qu’Elisabeth Lévy a raison.

Un système, comme nous le rappelle le Larousse en ligne, c’est un « ensemble d’éléments considérés dans leurs relations à l’intérieur d’un tout fonctionnant de manière unitaire ». On connaît ainsi des systèmes informatiques reliant différents terminaux qui forment un tout fonctionnant de manière unitaire. Des systèmes philosophiques reliant diverses thèses qui constituent une vision cohérente de l’univers. Des systèmes de distribution des eaux reliant des réservoirs et des tuyaux qui composent un réseau intégré opérant en harmonie pour satisfaire notre droit à des bains tempérés. Jusqu’ici, tout va bien: notre monde abrite une foule de systèmes nouant des liens divers entre des éléments de nature hétérogène. Si un système me dérange, je peux le critiquer de manière claire et précise – comme le « système de surveillance » mis sur pied par la NSA.

Mais tout se gâte quand on passe du pluriel au singulier pour dénoncer LE système. Quel système exactement? La réponse ne se fait généralement pas attendre: le système économique, social et politique responsable de la merde dans laquelle nous vivons – l’impérialisme, l’injustice, l’inégalité, l’exploitation, la guerre et le cortège d’avanies grandes et petites qui viennent nourrir chaque jour l’actualité. Tout ça, c’est la faute du système et de ses laquais. J’emmerde donc le système.

Voilà un réflexe tout naturel auquel chacun d’entre nous est tenté de succomber à l’occasion. Mais explicitons ce qu’il suppose: la société où le monde est un ensemble d’éléments logiquement connectés formant un tout fonctionnant de manière unitaire. On pourrait croire que des politiciens s’affrontent et se mettent des bâtons dans les roues. Que Coca Cola tente de ruiner Pepsi. Que les syndicats tirent dans un sens et le patronat dans un autre. Que la divergence d’intérêt, le désaccord idéologique et le conflit produisent partout des heurts aux résultats imprévus – comme deux trajectoires dont la rencontre produit un choc qui envoie valser les boules de billard là où personne ne les attendait. On pourrait croire en somme que la combinaison toujours changeante d’actions rivales à tous les niveaux de la vie sociale fait régner l’incertitude et le chaos. Mais non. Derrière le maelström des événements, les esprits subtils démasquent les effets cohérents d’un système intégré. Comment néanmoins réconcilier le chaos apparent des causes et des conséquences avec le fonctionnement unitaire d’une machine bien huilée? Il n’y a pas huit millions de façons d’accomplir un tel exploit: il faut s’imaginer que, dans des coulisses soigneusement dissimulées, quelqu’un tire les ficelles. C’est l’Hypothèse du Grand Marionnettiste.

Les psychologues connaissent bien le phénomène. Ils ont baptisé ça le biais intentionnaliste – cette propension à interpréter les événements, envers et contre tout, comme le fruit d’un plan intentionnel. Car l’être humain aurait de la peine à accepter le manque de sens: des événements se produisent, qui frappent l’imagination. Parfois, ils n’ont aucune logique: aucune raison ne les explique, aucun plan ne préside à leur déclenchement, aucune intention cachée ne peut les intégrer à la trame des récits familiers. Et le cours des choses ressemble, dans les mots de Shakespeare, à « un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, privé de signification ». Le sentiment d’absurde est d’une puissance si angoissante qu’il est rassérénant de rapatrier le chaos apparent dans le giron de l’explication intentionnelle. Tout fait sens à nouveau: la nécessité remplace la contingence, la logique d’une planification consciente remplace le pluralisme cacophonique des causes, la méchanceté des motivations remplace l’indifférence minérale des processus sociaux. Et la tristesse, la colère ou l’indignation peuvent trouver une cible.

Alors soyons tristes, fâchés ou indignés. Et pointons les coupables quand il y en a. Mais s’il n’y en a pas, ou s’il y en a trop, ou si nous n’y comprenons rien, une quenelle antisystème est une gesticulation d’idiot – et d’imbécile profond quand son auteur est un footballeur richement payé se pavanant aux sommets de la société du spectacle. Mieux vaut maudire le ciel vide au-dessus de nos têtes et laisser Dieudonné à ses macérations antisémites.

Commentaires

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Quentin

Il vous suffira de regarder quelques interview de Dieudonné dans des emissions de pays musulmans et vous découvrirez la définition…

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Bilbo

Quentin.. tu tombes dans le piège des médias simplistes.. arrêtez de prendre ce raccourcis quand vous ne connaissez pas la…

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HN

Concernant Dieudonné, j'ai été plus choqué par cette phrase sur Patrick Cohen que par d'éventuelles quenelles, que lui seul s'attribue.…

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HN

Concernant Dieudonné, j’ai été plus choqué par cette phrase sur Patrick Cohen que par d’éventuelles quenelles, que lui seul s’attribue.
C’est le niveau d’une cour de récré: « Je te l’ai mise, toujours plus que toi, … »

Je conçois qu’on ait envie de mettre des gifles à Patrick Cohen, qui avait tenté de sermonner Taddeï à propos de ses invités – Dieudonné entre autres (il s’était fait proprement démonter par l’intéressé d’ailleurs).
Mais pour moi, un mec qui dit « ce mec me plaît pas, je le regrette les chambres à gaz », c’est classé facho et on n’en parle plus. Pas la peine de chercher à savoir s’il est antisémite ou à connaître la couleur de sa chemise.

« quand son auteur est un footballeur richement payé se pavanant aux sommets de la société du spectacle »

Là où ça se comprend, c’est qu’Anelka, le maudit, honni de tous les médias français, le vilain petit canard, est dans la même situation que Dieudonné (avec un côté beaucoup moins provocateur).
Il a essuyé des revers avec certains journalistes et depuis voue une profonde méfiance envers eux. Il a en qq sorte résisté au système médiatique.
Et là, ça pardonne pas.
Il fut pourtant le SEUL joueur de l’Equipe de France à marquer un but valide (pas de la main) pour nous qualifier en Coupe du Monde.
Tout ça pour quoi ?
Se faire virer parce qu’il a osé ouvrir sa gueule (sans prendre de gants il est vrai) devant cette truffe de Domenech. Et ensuite, se faire désosser dans la presse.
Personnellement, je comprends tout à fait le geste de N. Anelka.
On a vu un peu pareil avec Nasri, qui aurait « eu un geste » envers un/des journaliste(s). Moi je le refais le geste s’ils veulent, un bon gros fuck dans leur face à ces connards de gratte-papier.
On dirait presque un organisme vivant qui se débarrasserait de ses éléments dérangeants. Une sorte de purge.

Par ailleurs, je ne vois pas quand Anelka s’est « pavané aux sommets de la société du spectacle ». Il est au contraire plutôt discret depuis ses déboires avec la presse.
Et le fait qu’il soit riche n’en fait pas un coupable pour tous les maux de la terre.
Ou alors, ayez cette réflexion pour tous les salopards qui se font des montagnes de thunes sur le dos de leurs ouvriers/salariés. Anelka lui au moins s’est entraîné toute sa carrière et lèse moins de monde qu’un Mittal ou un Bernard Arnault.
Je ne suis pas spécialement fan de foot ni d’Anelka, mais je respecte son point de vue.

Conclusion: Don’t mess with the mass medias.

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Sara Torres

Félicitations à l’auteur. Il signe là un article très bien ficelé, sous un angle d’attaque intéressant et relativement innovateur! Il est simplement dommage de tomber à nouveau dans la polémique au sujet de l’antisémitisme avec la dernière phrase, un sujet qui pour le coup est lui sur-(mal-)traité ailleurs. Merci pour cette contribution! Au plaisir de vous relire.

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Quentin

En quoi la dernière phrase puisse-t-elle être gênante ? Il n’y a aucune polémique à définir Dieudonné d’un terme qui n’a plus rien d’une suspicion, suffit de voir quelques interview et vidéos de Dieudo pour s’en rendre compte 😉

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Bilbo

Quentin.. tu tombes dans le piège des médias simplistes.. arrêtez de prendre ce raccourcis quand vous ne connaissez pas la réelle intention de l’auteur..
Petit rappel: l’antisémitisme n’est pas égal à l’antisionisme. 10 ans qu’il essaie de s’en défendre, mais les gens préfère croire ce qu’ils veulent entendre.. dommage

Forte heureusement la minute papillon vous explique tout ca en 6min!!

http://www.youtube.com/watch?v=f4T0pKpfvgU

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Quentin

Il vous suffira de regarder quelques interview de Dieudonné dans des emissions de pays musulmans et vous découvrirez la définition du « sioniste » version Dieudo. En ce sens, il n’y aura plus de doute sur la profondeur de ses idées. Vous n’êtes d’ailleurs pas sans savoir qu’il prétend que les « sionistes » dirigent le monde, alors je vous en prie, à moins d’être idiot vous aurez bel et bien compris de quoi il parle 😉

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Claire

Mouais… J’ai juste l’impression d’avoir déjà lu ça 100 fois… Du défonçage de porte ouverte.

Pour une véritable analyse de l’affaire Dieudonné, je vous recommande VIVEMENT l’exposé de l’excellent Jean BRICMONT:

http://www.youtube.com/watch?v=2lbpqdiTq3s

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DK

Dès que vous n’êtes pas d’accord, ça devient de la merde. Prenez du recul les gars et proposez votre vision par un article si vous n’êtes pas d’accord.

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Pourquoi attaquer Jet d’Encre?

Salut tout le monde!

Je suis également un lecteur habitué de cette tribune, et j’y ai moi-même écrit plusieurs fois. Bien que je ne sois pas en accord avec les arguments développés dans cet article, je pense que vos reproches à l’égard de Jet d’Encre ne sont pas justes.

Jet d’Encre est une tribune impartiale et non-orientée (qui n’est affiliée à et subventionnée par aucune entité). Elle permet à une pluralité d’auteurs, lesquels peuvent eux être engagés, d’exprimer leurs vues sur des sujets divers et variés. Cf. Le caractère pluriel des points de vue exprimés dans les articles publiés sur cette tribune. En cela, Jet d’Encre apporte un réel bien public!

Cette publication ne saurait aucunement incarner l’opinion de la tribune, qui n’en a par définition point, mais celle de l’auteur. Ça a toujours été la politique de Jet d’Encre; il n’y a donc pas de raison particulière de préciser ici – parce qu’il s’agit de ce sujet controversé – que les propos n’engagent que l’auteur. Ça a toujours été ainsi!

Le mieux, si vous désirez réellement enrichir le débat public, est que vous écriviez vous-mêmes un/des article/s de qualité sur le sujet. Cette tribune sera sans aucun doute ravie de le/s publier! Qu’en pensez-vous?

Bonne continuation à tous!

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Amir

C’est vrai vous avez raison. Mea culpa.
Longue vie à Jet d’Encre!

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Ali

Tribune indépendante pour une pensée plurielle.
Merci à Jet d’encre de revoir les textes avant la publication… Triste de voire une si faible capacité de critique de l’auteur.

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Quentin

Idée de censure ? Ça c’est du pluralisme en puissance 😉

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Anthony

Je recommande à Jet d’encre d’ajouter quand même un commentaire au début de ce texte pour dire que seul l’auteur (Nicolas Tavaglione) est responsable du texte et des interprétations.
Avec un groupe d’ami universitaire nous avions jusqu’à présent une bonne image de Jet d’encre, cependant ce texte d’une qualité indescriptiblement faible ne vient que de singer les autres médias tels que Figaro, Libé etc…

Nicolas Tavaglione, je pense que par cet article vous venez vous-même de faire un sketch comique. Il suffit de lire votre présentation : Philosophe, politologue. Un arrière goût de BHL ressort fortement de votre « guerre juste »… Je vous recommande donc de vous imprégner des écrits de Botule afin d’améliorer votre mimétisme des médias français !

Cordialement

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Quentin

Ahah, votre commentaire est tellement pathétique ! Y parait que jet d’encre est un lieu d’échange, pluraliste et que chaque article n’engage que son auteur ? Il semblerait que le concept ne soit pas partagé par tous 😉 ! (ni même compris)

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Amir

Jet d’Encre se veut être une Tribune indépendante pour une pensée plurielle. Et pas un dépotoir où on répète toute la litanie qu’on trouve déjà dans les journaux mainstream…

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Patrique

2’000 journaux en parlent asses sur internet de ce qu’est Dieudonné. Je pense que ce texte médiocre n’apporte pas grand chose. Merci Amir pour votre commentaire je suis de votre avis.

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Quentin

Pourtant l’article est d’une grande justesse et de loin pas un dépotoir, à l’inverse de votre commentaire qui confirme bel et bien que les gens ne comprennent pas toujours le français.

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Patrique

Commencer par faire une citation d’Eli­sa­beth Lévy (l’hystérique de la TV française) montre au lécteur à quelle point le texte va être médiocre

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Bilbo

Si tu veux connaître la réelle définition de l’anti-système il faut regarder au minimum ses spectacles. De nombreux « philosophes » ou « intellectuels » français définissent la quenelle selon leur gout et selon leur propre source.
Par exemple on a pu admirer il y’a 3 jours finkelkraut sur BFMtv définir la quenelle et les spectacles de Dieudonné comme antisémites avec comme seule source des extraits de son spectacle. C’est un raccourci dangereux que nombreux médias font également.
Pour ma part je trouve l’invention de la quenelle très subtile car cette dernière a permis l’ouverture du débat sur la liberté d’expression et de pointer le mal aise existant actuellement en France à ce sujet. En me basant sur les spectacles de Dieudonné, je peux affirmer que c’était très clairement le but voulu. Étant donné qu’il est interdit de télévision depuis plusieurs années, il l’a utilisé comme moyen médiatique afin de faire réagir les « élites » française.
Se cantonner à dire que la quenelle est un geste antisémite ou antisystème n’est pas le vrai débat actuel. Il faut recentrer la question sur la liberté d’expression et des valeurs républicaines que tente (par force et censure) de faire respecter le gouvernement français.

Pour mieux connaître Dieudonné et ses idées (en dehors de BFMtv, 20 minutes, tf1, etc.) je vous propose en lien un débat constructif entre l’humoriste et Elisabeth Levy.

http://www.youtube.com/watch?v=9c6vK5QG6vg

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Kevin

Je crois justement que la quenelle est une manière de « maudire le ciel » sans maudire le ciel. Il y a une manière de garder la tête sur terre en maudissant le « système » plutôt que le « ciel ». L’impression que j’en ai c’est que les gens qui font ce geste sont tout simplement « dépassés » par la complexité des problèmes et que c’est une manière de dire « je prends du recul », « allez-vous faire mettre ».

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