Une personne, de passage en Israël, avec une jolie volonté de « bien faire » touchante et un humanisme sincère, m’a écrit pour critiquer mon dernier billet « Israël : le visage de l’Apartheid », me demandant pourquoi je l’avais publié et me racontant ses deux semaines en Israël avec un passage à Naplouse, l’achat touchant de 50 grammes de safran, l’odeur de la chicha et de thé, la contemplation des récits de martyrs sur les murs. Mon billet, à ses yeux, ne contribuait qu’au flou des faits, des acteurs, par la démonisation d’Israël. J’allais trop loin. Elle me proposait de venir voir sur place et faire un article moins fade. Comme je suis déjà allé sur place, que j’aime les plats épicés, j’ai essayé de m’exprimer plus clairement que dans mon premier billet.
Le mur n’est pas une frontière poreuse
Dans son récit de voyage en Israël, elle veut « rendre la frontière poreuse ». Louable vertu des échanges : elle a pu rencontrer un maire d’une ville palestinienne puis manger avec un ambassadeur américain. Mais cette façon de traverser les conflits en croyant que ses privilèges sont une norme, est fallacieuse. Si elle passe si bien, c’est avant tout parce qu’européenne, avec un bon profil. Elle ne dérange rien. Les Palestiniens, eux, s’agglutinent aux grilles. Allez leur parler de porosité. Allez voir au checkpoint de Kalandia, aux villages de Kalkilya, à Bil’in à Nil’in, coupés par le mur, aux checkpoints de Bethléem à 6h du matin, ce qu’il en est. Allez déguster le « petit déjeuner israélien » aux gaz lacrymogènes, voir les vieux, malades, sécher sur pieds et les femmes enceintes descendre des ambulances parce qu’elles n’ont pas les documents nécessaires pour passer le contrôle. Le mur n’est pas une frontière qui se traverse dans les deux sens. Il ne garantit pourtant même pas la sécurité d’Israël (cf. René Backmann : un mur en Palestine, Seuil). De nombreux points laissent passer les travailleurs illégaux nécessaires à l’économie israélienne. Le mur est avant tout un outil de domination sociale et de contrainte; un barrage à la paix et un outil nécessaire à la guerre pour Israël, pour s’approprier des terres.
Nous n’en sommes pas encore à la loi du talion
Il n’y a pas d’égalité dans ce conflit, mais un rapport totalement dissymétrique. Nous n’en sommes pas encore à la loi du talion: l’œil pour œil dent pour dent est un objectif lointain. Aujourd’hui, comme hier, c’est : pour une dent de lait : dix de tes yeux et ceux de tes enfants. Atteindre la loi du talion serait déjà un progrès. Nous en sommes loin. Tant que, dans les discours, cette exigence d’égalité ne sera pas atteinte, posée comme préalable ; tant que l’on ne partira pas de là, il semble difficile que la situation ne change.
Les prémisses égalitaires légitiment la domination d’Israël. Les discours déresponsabilisant Israël comme entité politique, reviennent à lui signer un blanc-seing et l’autorisent de facto à faire comme si la violence tombait du ciel, ou plus facilement : arrivait d’en face. Les logiques victimaire ou de légitimisation de la position de martyre d’Israël survivant « seul contre tous » lui permettent de poursuivre sa stratégie d’expansion. Les « frères ennemis » ne sont pas dos à dos, c’est faux. Il y en a un qui est assis sur l’autre et l’écrase. Et quand celui qui est frappé essaie de se défendre, il est très durement puni, et collectivement, pour l’exemple. Et quand celui qui est frappé ne frappe pas, il est puni préventivement. Et pour celui qui dénonce cet état de fait, il est accusé au mieux de manichéisme, au pire d’antisémitisme. Pas touche à l’État d’Israël! Garantie de la poursuite du mécanisme de domination. Il y a certes de nombreuses ONG et des militant-e-s qui oeuvrent pour la justice en Israël (Breaking the Silence, B’Tselem, La paix maintenant, etc.), je les soutiens. Ils font un extraordinaire travail et certaines d’entre elles soutiennent la position du boycott d’Israël.
Le deux poids deux mesures et les fallacieuses demandes d’équivalence
Pourquoi, alors que le Hamas a été élu démocratiquement (2006), le blocus de Gaza a-t-il été déclenché, le Hamas diabolisé, et la bande de Gaza régulièrement dronée et bombardée (2008-2009 : Opération plomb durci : 1315 Palestiniens tués dans l’offensive israélienne, dont 410 enfants et plus de 100 femmes, 5285 autres blessés), dans un déni de démocratie?
Depuis le début de la deuxième intifada le 29 septembre 2000 jusqu’au 30 novembre 2008, B’Tselem a dénombré, pour la Bande de Gaza, 2994 Palestiniens tués par les Israéliens, 459 Palestiniens tués par d’autres Palestiniens, et 136 Israéliens tués par les Palestiniens. Alors qu’une troisième intifada et peut-être une intervention israélienne à Gaza sont possibles, combien de milliers de morts palestiniens tomberont encore avant que le monde ne se décide à agir? Et pourquoi donc, selon les belles logiques d’équivalences, si le Hamas est sur la liste des organisations terroristes de certains pays occidentaux, Israël ne l’est-il pas? Parce que cet État n’est pas une entité terroriste? Ah bon. Comment expliquer alors les milliers de morts palestiniens? Un mouvement défensif?
Nier la domination c’est l’alimenter
On assiste à la claire domination d’un État sur un peuple. De majorités politiques de droite dure et d’extrême droite sont élues en Israël sur une conception d’un État religieux ultra militarisé et ethnicisé. Fragmenter les groupes, diluer les responsabilités, individualiser ou psychologiser le conflit: et vas-y que c’est « très compliqué » afin de rendre la situation effectivement illisible, finit par la rendre inextricable. Choisis ton camp camarade. La domination est un fait. La nier, c’est la cautionner et la nourrir. Quant à la dénoncer, ce n’est pas démoniser Israël, mais encore soutenir les forces démocratiques dans ce pays.
Les modérés n’ont rien obtenu
La rhétorique de soutien aux modérés est dysfonctionnelle. Qu’est-ce que les modérés ont obtenu? Plus modéré que Mahmoud Abbas, c’est introuvable, et qu’est-ce que Mahmoud Abbas a obtenu? Des promesses, et Ramallah Dream (Benjamin Barthe, Ramallah Dream, Editions La Découverte). Est-ce que le mur a disparu, est-ce que la colonisation a cessé depuis que le Fatah a déposé les armes et que Abbas a pleinement collaboré avec Israël? Non. Pourquoi? Parce qu’Israël a toujours soutenu à bloc l’extension et le développement des colonies, faisant le choix de la politique de l’étouffement et de la parcellisation de la Palestine. Les modérés existent, mais Israël n’a pas accédé à une seule de leurs demandes. Pas une. Et la colonisation se poursuit à grande échelle.
Agir
Pour conclure, l’Europe doit au plus vite se débarrasser d’un vieux complexe « neutrophile » et engager pleinement ses diplomaties pour contrer Israël. Si elle ne le fait pas, ce sont aux peuples solidaires d’opérer le boycott. Si les peuples ne le font pas, à chacun-e de commencer, maintenant. Le boycott, qui est une arme efficace, a obtenu de nombreux résultats tangibles (Cf. Sodastream). A tel point qu’Israël le définit comme « une menace stratégique ».
Suivi largement, le boycott permet d’espérer changer les équilibres internes en Israël ; à tout du moins de retenir les gouvernants de ce pays d’agir comme bon leur semble en toute impunité et violations des droits de l’Homme. Le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël jusqu’à la fin de l’apartheid et de l’occupation de la Palestine) est une des options crédibles pour la paix. C’est à ce jour la seule dont nous disposons dans nos supermarchés comme au moment d’acheter nos billets d’avions pour les vacances.
Boycotter l’achat de drones israéliens
Il nous faut maintenant faire pression sur le Conseil Fédéral pour qu’il renonce à l’achat de drones israéliens, mais aussi à l’achat de tout matériel militaire provenant de pays violant le droit international et le droit international humanitaire; demander que le Conseil Fédéral suspende toute collaboration et/ou achat militaire avec tous les pays du Moyen-Orient tant que la situation actuelle en matière de droits humains prévaut. Produits israéliens? Non merci! Ni drones ni tomates ou basilic, jusqu’à ce que Israël respecte le droit international et reconnaisse le droit légitime des Palestiniens à exister librement. Ni drones ni tomates, mais la justice maintenant.
Crédit photo : Haim Schwarczenberg. Merci Haim pour ton engagement.
Afin de faire vivre le débat d’idées et promouvoir le pluralisme qui est au cœur de sa démarche, Jet d’Encre a accueilli une réponse en deux parties à cet article, signée par Sara de Maio :
Partie 1: « “Boycotter Israël ou pas?” Not the good question »
Partie 2: « Pour une neutralité militante dans le conflit israélo-palestinien »
Excellent commentaire Quentin!