International Le 1 mai 2014

Choragraphies 1 – Gunung Kaba (Sumatra), un champ d’expérimentation pour les spéculations métaphysiques ?

0
0
Choragraphies 1 – Gunung Kaba (Sumatra), un champ d’expérimentation pour les spéculations métaphysiques ?

Cratère de Gunung Kaba. © JB Bing, 2006

Retrouvez « Choragraphies [Introduction] – Manifeste pour une géographie de trottoir », la présentation de la démarche de l’auteur et son appel à contribution en cliquant sur le lien.

 

Les premiers propagateurs du christianisme dans les îles britanniques – les Patrick, Colomban et autre Pélage – montrèrent de grandes capacités de synthèse et d’adaptation, en parvenant à intégrer pacifiquement nombre d’éléments du paganisme traditionnel (fêtes, rituels, légendes, et même divinités et héros associés à la communion des saints) au monothéisme importé – certes au prix d’un certain nombre d’hérésies aux yeux de Rome, mais peu leur en chalait.

La question des enfers les a toutefois peut-être un peu taraudés. Le statut et les composantes de l’Autre monde différaient en effet assez fortement entre la mythologie ancienne et celle de la Bible ; cela dit, le talent susmentionné leur a sans doute permis de passer outre ces contradictions théoriques. Ainsi, une question bien concrète se posait : les damnés, maudits et autres non-élus y subissaient-ils un séjour brûlant ou glacé ? Pour les anciens peuples celtiques, il semble en effet que l’Autre monde présentait (hors d’un paradis fort walhallesque destiné aux héros) des traits évoquant un hivernage au voisinage de l’Atlantique nord ou la nuit de Jean-Claude Dusse sur son télésiège ; or face à cela, les textes sémites décrivent plutôt un gril façon Courte-Paille (ou, pour ceux qui préfèrent, une rôtissoire de kebab).

Aimant à échafauder des hypothèses sur des sujets auxquels je ne connais, pour ainsi dire, rien, je souhaiterais proposer un raisonnement analogique résolvant ce délicat dilemme, suivi d’une vérification expérimentale. Analogiseons donc, en posant l’équation suivante : le froid entretenait avec les insulaires celtiques le même rapport que la chaleur avec les continentaux latinisés. Ce simple constat peut satisfaire l’esprit ; toutefois, il n’a que peu d’applications pratiques. Or, pour motiver, mieux vaut du concret : tout policier voulant réprimer du dissident, tout enseignant en période d’examen ou tout prêcheur voulant terroriser ses ouailles vous le diront. D’où la phase expérimentale de la chose, qui nécessite le matériel suivant : un cratère de volcan (actif), un lac (gelé) et une appétence pour la balade (poussiéreuse) – matériel réuni début novembre 2006, dans le cratère de Gunung Kaba, petit volcan culminant autour de 1940 mètres et sis près de la ville de Curup, dans la province de Bengkulu à Sumatra.

Face à un lieu de volcanisme actif, le spectateur évoquera souvent les portes de l’Enfer ; l’image est facile autant que bachelardienne: ça sent le soufre, ça fume, ça siffle et ça fuse. Pour ma part, et avant ces dantesques divagations, j’ai ressenti quelque chose de plus familier. J’ai d’abord pensé aux fumigènes de feu1 le Virage Auteuil et le Kop de Boulogne, avant de réaliser qu’il manquait quelque chose : l’impression de tanguer, d’avoir quitté la terre ferme, de ressentir physiquement l’instabilité de la croûte terrestre, bref de sentir sous mes pieds les mouvements géomorphologiques d’ordinaire insensibles. Cette sorte de vertige pas désagréable me renvoya certes à quelques cuites, mais aussi à des marches vosgiennes sur des lacs gelés, des ponts de neige branlants ou des tourbières spongieuses.

Celtisants et théologiens assermentés trouveront certainement à redire de ces propos ; je leur concède d’ailleurs bien volontiers qu’il n’y a là que théologie de gargote et celtomanie de crêperie. Mais ces élucubrations sont la broue qui fait pétiller le décryptage de logiques païennes, auxquelles l’observateur du fait social peut se trouver confronté, que ce soit en Sicile quand une écharpe de l’USC Palerme orne la grotte sanctuarisée de sainte Rosalie, ou en pays javanais quand on invoque les esprits du Merapi tout en vidant une Guinness – ce qui nous ramène à l’Irlande – avec un santri2 appréciant le vin de bourgogne et les versets 66 à 69 de la sourate XVI « Les abeilles ».

 

Épisode 2: « Choragraphies 2 – Ciel nocturne et belle lumière glauque, ou balade d’un insomniaque »

 


1. C’est le cas de le dire…

2. Élève d’école coranique.

Bibliographie

E. D. Inandiak, 2002, Les chants de l’île à dormir debout. Le livre de Centhini, Paris, éd. du Relié.

J. Marchand, 1990, « Navigation de saint Brendan à la recherche du Paradis », in F. Lacassin (éd.), Voyages aux pays de Nulle part, Paris, R. Laffont.

J. Markale, 1983, Le christianisme celtique et ses survivances populaires, Paris, Imago.

D. Shayegan, 1997, Hindouisme et soufisme, Paris, Albin Michel.

 

Laisser un commentaire

Soyez le premier à laisser un commentaire

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.