Société Le 25 janvier 2014

De l’érotisme sécuritaire

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De l’érotisme sécuritaire

Et s’il entrait dans le désir de plus de caméras et de policiers de la gourmandise plus qu’un argument basé sur la peur et la crainte? Et si le moteur n’était pas le tremblement mais la tension du désir, peut-être un peu inavouable, caché, fantasmatique et goulu, de sentir l’exercice de la force, sa puissance. Tentation de la grosse voiture au bonhomme musclé bien matelassé, de son bâton – big stick – revolver qui en impose, ou son « inverse » qui ne fait que le renforcer encore plus : une jolie dame policière, féminine, blonde si possible, sur-féminisée même, car taillée dans l’uniforme de la force, renversant puissamment les représentations tout en les magnifiant.


Cela vous rassure ou cela vous excite? 

Bon, allons un peu plus loin. Vous avez vu, Genève a sa « police de l’extrême » habillée tout de noir avec la cagoule et se postant à l’entrée de véhicules comme devant des dark-room. You want to come in? Leur regard invite à s’approcher. Venez voir ce qui vous est caché. Venez voir qui peut intervenir à tout moment, entrer partout, jaillir de nulle part. Attention, pour voir, faudra payer. Combien au juste le petit plaisir? On ne sait pas, c’est secret… vous reprendrez bien une coupe de champagne; comptez voir un petit million pour voir… Genève a sa police de l’extrême, mais le Jura aussi (le GITE), Vaud (le DARD, ah bon), Fribourg (le GRIF), Neuchâtel (COUGAR, tiens tiens). Comme si cela ne suffisait pas, l’armée ET l’autorité de la police judiciaire fédérale ont aussi leurs crazy horses. Mazette. Cafouillages garantis lors de chaque opération (une fois tous les 5 ans). C’était le cas, par exemple, lors du ratage face au forcené de Bienne en 2010 qui avait pu partir tranquille de chez lui au nez et à la barbe des barbouzes avant d’être arrêté par une… habitante. Chaque canton désire ses Rambos, peu importe le prix à payer. L’addiction est irrépressible, peu importe l’addition. Ils sont si jolis dans leurs costumes tout noirs, avec une cagoule si seyante. De quand date leur dernière intervention? Euhhhh….. à Genève en 2008 pour sécuriser les matchs de l’Eurofoot selon les mauvaises langues, mais bon on ne minaude pas son petit plaisir secret et coquin. Il faut savoir se faire désirer et être prêt à intervenir au cas où, même si on empile les forces spéciales au kilomètre carré, les redouble avec celles des services étrangers lors des visites des dignitaires, c’est si sexy et vertigineux de jouer avec le danger. Heureusement qu’il reste l’aéroport pour s’envoyer en l’air, ça permet de justifier un corps de police en plus. Et hop. Mais on n’est plus dans l’érotisme là, plutôt dans la pornographie dure. Encore un petit million pour faire passer le tout?


Qui, combien, pour faire quoi?

2Alors, pourquoi, au-delà du raisonnable, et du nécessaire, cette appétence pour les moyens de sécurité qui se redoublent ? D’où vient cette obsession sécuritaire, quel en est le puissant levier? Ce n’est visiblement pas pour que l’on ait moins peur, ça non, on a toujours autant les jetons; pourtant les détournements d’avions et les prises d’otage ne sont pas si légion dans nos régions. Alors? Serait-ce que le jouet est si beau à manier, donne du plaisir à certains pendant qu’il en fait fantasmer d’autres? Cela fera toujours de jolies photos à prendre. Et puis c’est quand même plus sexy à montrer que cent vieilles dames à qui l’on aura pu mettre une prothèse de hanche, n’est-ce pas?


Érotisme sécuritaire

Pourquoi cette appétence pour la mise en scène des moyens de surveillance? Cette fascination pour la figure du policier, de la douane, de la cage, de l’enfermement, des menottes et sirènes? Tout l’art réside dans le voilé, le dévoilé, bref: un érotisme, contenu dans le plaisir de l’exhibitionnisme (se rendre visible) allié à celui de tout voir, de surveiller tout le temps (voyeurisme). Pouvoir tout voir et contrôler, être soumis à tous en même temps. Tu les entends, ils se moquent bien que la NSA les écoute et que les caméras les filment, car celui qui n’a rien à cacher n’a rien à craindre, en effet : puisque son fantasme est de tout montrer. Et ils s’adonnent avec une passion sucrée à se dévoiler sur tous les médias sociaux, danse lascive. Les polices n’ont pas à les cueillir: ils s’offrent. Érotisme de la surveillance : être sur-veillé.


Fantasme sécuritaire

3L’insécurité n’est pas un fantasme, elle est bien réelle; augmentera si ce qui fait le lien entre les humains est détissé. Mais la sécurité est un fantasme quand elle prend la forme d’un érotisme sécuritaire. On met bien un contrôle parental sur les sites de fesses pour les mineurs; des évangélistes américains donnent leur code d’accès à des personnes de confiance pour ne pas chuter. Peut-être faudrait-il de même instaurer un contrôle citoyen pour les députés qui s’échauffent à toujours plus de police au détriment de la santé, de l’éducation, de la culture et du logement, tâches qui les excitent semble-t-il moins. Alors, à quel moment décidera-t-on de les sevrer du peep-show qui les conduit à faire payer toujours plus cher toujours plus de fantasme sécuritaire pour moins de sécurité?

Toutes les polices se nourrissent d’un érotisme sécuritaire.
Aucune ne nous protège de son fantasme.

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