Culture Le 12 novembre 2015

Entretien avec la prometteuse artiste Danitsa

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Entretien avec la prometteuse artiste Danitsa

© Clotmm

Plainpalais. C’est en plein cœur de Genève que nous avons rendez-vous avec Danitsa. Très souriante, la jeune chanteuse s’assied sur la terrasse d’un troquet bien connu du quartier et commande un café. Elle répond avec enthousiasme à nos questions sur sa musique, avec un poil plus de pudeur à celles sur sa vie privée.

Savant mélange d’influences, de styles et de couleurs, sa toute première galette intitulée “Breakfast” est sortie au printemps. Entre Danitsa et Shanna, entre Genève et Paris, entre reggae et hip hop, tentons de faire plus ample connaissance avec une brillante artiste dont la carrière ne fait que décoller.

 

Frédéric Wasmer et Stefan Renna: Hello Danitsa! Ton premier EP1, “Breakfast”, est composé de sept morceaux aux sonorités très hétéroclites. Peux-tu nous raconter comment est né ce projet?

Danitsa: “Breakfast” est produit par Jihelcee Records, un label parisien créé par Darryl Zeuja du groupe de rap 1995. On a décidé il y a déjà plus d’un an de collaborer sur ce projet, qui est sorti en avril dernier. Dans ces sept titres, tu trouveras un mélange de soul, de hip hop et évidemment de reggae de par ma voix. Ce mélange de styles est en partie dû au fait que trois beatmakers différents ont travaillé avec moi sur “Breakfast”: Juxebox, Juliano et justement Darryl Zeuja.

 

Là tu nous parles d’un garçon qui n’est pas n’importe qui dans le milieu rap en France! Comment t’a-t-il repérée et comment est née votre collaboration?

En réalité, Darryl Zeuja avait vu au préalable quelques vidéos Youtube dans lesquelles je chantais, notamment mes featurings avec les rappeurs genevois Di-Meh et Unconito. Il se trouve que lui bossait sur un projet avec le groupe XLR, et il avait besoin d’une voix féminine sur le morceau “En douceur”. Il m’a contactée sur les réseaux sociaux pour me proposer de collaborer sur ce titre, et j’ai accepté. Suite à ça, on s’est rencontré et on s’est tout de suite bien entendu, humainement et musicalement, c’est pourquoi on a décidé de collaborer sur l’EP “Breakfast”.

 

Danitsa, tu es née à Paris, tu habites maintenant à Genève, deux villes francophones; pourquoi chanter en anglais ?

Premièrement, c’est simplement une langue que je trouve très musicale! Ensuite, je dois avouer que, pour l’instant en tout cas, je ne me sens pas vraiment à l’aise avec la langue française dans mes chansons. Je n’exclus pas du tout de sortir un jour un projet en français, mais à l’heure actuelle je ne suis pas apte à écrire mes morceaux dans ma langue maternelle. J’ai plus de facilité à écrire en anglais, bizarrement! Pour moi, c’est plus facile pour placer des mots, des rimes et musicalement c’est plus joli! En plus, j’ai fait plusieurs voyages en Jamaïque qui m’ont encore plus donné envie de chanter en anglais.

 

C’est donc de là que vient ton accent jamaïcain dans tes chansons?

Oui, même si c’est vrai que j’ai un petit accent français par-dessus, mais tout est à travailler; peut-être qu’un jour je n’aurai plus cet accent “bizarre” [rires]. Plus sérieusement, je pense qu’en effet cette façon de chanter est due à mes voyages là-bas. J’avais deux ans quand j’y suis allée pour la première fois et, depuis, j’y suis retournée une bonne vingtaine de fois. Mon père a toujours écouté du reggae en plus de ça, donc je dirais que ce sont vraiment la musique ET les voyages qui ont façonné ma façon actuelle de chanter.

 

En parlant de ton père (« dont le nom d’artiste est Skankytone »), il a produit lui-même pas mal de sons assez “roots”, ça t’a influencé?

Oui, énormément. J’ai d’ailleurs enregistré mon premier son avec lui. Il est fan de la Jamaïque, amoureux du reggae. D’ailleurs, il a bossé avec Rod Taylor et Cornell Campbell, notamment. C’est grâce à mon papa que j’ai pu rentrer dans le monde de la musique.

 

Est-ce que cette influence explique aussi une certaine nostalgie dans ta musique, avec le morceau “Back in the Days” par exemple?

Cette chanson, je l’ai écrite parce que j’ai vingt ans et que ça m’inquiétait de rentrer dans ce monde d’adultes. J’avais peur de perdre mon innocence. Je demande donc au Seigneur si je ne peux pas retourner dans le passé, pour retrouver mes jouets et mes super-pouvoirs, faire l’espionne, courir, jouer à chat. C’est quelque chose qui me manquait. C’est un appel à retourner dans le passé, mais il n’y a aucun lien avec une nostalgie musicale, non.

> clip de “Back in the days” :

 

À ce propos, est-ce que c’est toi qui écris tous les textes de tes chansons ou les membres de ton équipe ont aussi leur mot à dire?

J’écris mes sons oui, et ma tante vérifie si je ne fais pas quelques fautes d’anglais, vu qu’elle est anglophone. Elle a notamment collaboré avec moi sur “Breakfast” et a écrit le morceau “Yaya Shanna”, mais c’est la seule personne qui m’aide pour l’écriture. Après, comme on travaille effectivement en équipe, tout le monde doit être d’accord sur la version finale d’un morceau, “lyricalement” et musicalement. Sur “Let’s Celebrate” par exemple, Darryl Zeuja m’a dit qu’il y avait quelques modifications à faire. On a travaillé ça ensemble et on a amélioré le morceau pour qu’il plaise à tout le monde.

 

De par ta voix, certains morceaux sont plus reggae, d’autres plutôt hip hop: considères-tu que ton style se limite à ces deux genres musicaux?

Ah non, pas du tout! J’ai toujours écouté de la funk et de la soul avec ma mère par exemple, en plus du reggae. Tu sais, j’aime beaucoup les Curtis Mayfield, Barry White ou Billie Holiday et ça n’a rien à voir avec ce que je fais. Je dirais que je suis plutôt éclectique et que je ne me définis dans aucun style particulier. Là par exemple, je vais commencer un nouveau projet et j’aimerais plus toucher à l’afro-beat, au funk, à la trap, ou même au trip-hop. Je n’aime pas m’enfermer dans une case, je préfère m’ouvrir à tous les styles pour pouvoir être libre musicalement, tout simplement! Si demain un morceau de métal me plaît, pourquoi pas, si je sens une bonne vibe! C’est vraiment au feeling.

 

Tu nous annonces un nouveau projet donc?

Oui, j’ai commencé ce projet à la rentrée, toujours avec le label Jihelcee Records, mais là je vais faire appel à d’autres beatmakers. D’ailleurs si certains d’entre eux me lisent, qu’ils se manifestent [rires]! J’aimerais faire appel à de vrais musiciens et, dans le même temps, garder cette touche digitale, faite entre autres de trap, d’afro-beat. L’EP sera gratuit, tout comme “Breakfast”. C’est une façon de me faire davantage connaître en rendant ma musique plus accessible. Après tout, je ne suis qu’au début de ma carrière!

 

Est-ce tu peux nous parler un peu plus de cette “équipe Danitsa” et des gens qui gravitent autour de toi?

Je travaille notamment avec Mad’Moizelles, trois filles que j’ai rencontrées au Rototom Festival et qui m’ont proposé de me manager. Elles gèrent ma page Facebook, me bookent pour des concerts, et collaborent avec mon label et mon producteur Darryl Zeuja. C’est ce dernier qui m’a proposé Théo Sauvage, le très talentueux réalisateur de mes clips2. On est d’ailleurs partis les trois quelques jours à Londres cet été pour tourner “Realize”. Ce clip représente une ballade en amoureux dans la City, une sorte d’escapade amoureuse.

 

Du coup, est-ce qu’on doit interpréter que Danitsa a trouvé l’amour?

Euh… non! [rires]

> clip “Realize” :

 

Plus sérieusement, parlons un peu de la scène musicale en Suisse romande. Toi qui connais Paris et Genève, penses-tu que c’est plus difficile de se faire connaître ici?

C’est très difficile, en effet. Notamment en raison du manque de studios en Suisse, et plus particulièrement à Genève. C’est pour cette raison que j’ai décidé de me diriger vers la scène parisienne. Là-bas, il y avait justement un label qui me proposait de m’enregistrer gratuitement et de me produire, chose impensable ici. Plus généralement, j’ai l’impression que tu es plus soutenue en tant qu’artiste suisse à partir du moment où tu commences à te faire un nom hors de ton pays, notamment en France ou en Belgique. Le succès à l’étranger t’apporte plus de reconnaissance et de légitimité chez toi, c’est un peu attristant.

 

Est-ce que ce faible soutien du public genevois se ressent aussi en concert?

J’ai pu le constater avec Di-Meh quand on fait des concerts en France, ça n’a rien à voir! On sent un réel soutien de la part du public, alors qu’à Genève c’est plus compliqué. Bien sûr, les contextes sont différents, puisqu’ici tu vois plein de têtes que tu connais à tes concerts.

 

Ces concerts te permettent néanmoins de rencontrer d’autres artistes, comme au Weetamix, par exemple, quand tu as fait la première partie des Neg’Marrons?

Oui, même si dans ce cas précis, Ben-J est mon oncle, donc je le connaissais déjà avant [rires]. Mais ce concert était particulier dans le sens que le Weetamix reste un club. Tu joues super tard, devant un public plus ou moins…alcoolisé. Je préfère chanter dans un lieu comme la Taverne de la République par exemple, c’est beaucoup plus convivial. Après, j’ai aussi fait un concert en Espagne, à San Sebastián, devant 600 personnes et c’était incroyable! Autant de personnes qui connaissent tes paroles, t’as carrément envie de pleurer sur scène!

 

En parlant de public nombreux, est-ce que tu te fixes comme objectif de participer un jour à un des grands festivals de la région lémanique comme le Paléo ou le Montreux Jazz?

Je n’y ai jamais vraiment pensé [elle réfléchit]. C’est vrai que ça me plairait bien de me présenter comme artiste franco-suisse à ce genre de festivals, mais pour l’instant honnêtement je pense que c’est vraiment trop tôt pour y penser.

> “Let’s celebrate” en live à La Bellevilloise (Paris) :

 

On a beaucoup parlé jusqu’à maintenant de Danitsa l’artiste, mais beaucoup moins de Shanna, la jeune femme. Où en es-tu dans tes études?

Je viens de terminer mon école, c’est pourquoi j’ai décidé de prendre une année sabbatique, afin de me consacrer pleinement à la musique et me perfectionner. Je vais en profiter pour prendre des cours de chant – je n’en ai jamais eu jusqu’à présent – des cours de danse aussi, et je vais m’instruire musicalement.

 

Tu nous as mentionné ton oncle Ben-J, ton père qui a baigné dans la musique, ta mère qui écoutait beaucoup de funk et de soul. Avec un tel environnement familial, n’étais-tu pas finalement prédestinée à chanter?

Très certainement, oui! Je te donne un exemple: quand j’étais petite, je vivais avec mon père qui composait, prenait sa guitare ou son piano et jouait avec son groupe que j’allais voir en concert. Un jour, je devais avoir 5-6 ans, je suis montée sur scène et j’ai commencé à chanter avec eux! Plus tard, j’ai donc décidé d’aller au conservatoire, j’ai appris à jouer du piano et je me suis vite rendue compte que je n’étais pas faite pour les instruments mais plutôt pour chanter.

 

Que pensent tes proches de tes projets?  

Ils me soutiennent tous beaucoup, ce qui me donne énormément de force. C’est dur de faire de la musique parfois tu sais, certaines critiques te donnent envie d’arrêter. Il faut être une battante d’une part, et pouvoir compter sur tes parents et tes frères et sœurs de l’autre.

 

D’ailleurs, c’est bien ton petit frère que l’on voit dans le clip de “Good Coffee”?

Oui c’est bien lui! Il a 14 ans, et il est tout content parce que sa soeur a chanté avec Darryl Zeuja. Comme c’est un fan du groupe 1995, il est très fier de moi [rires]!

 

Toi qui es née dans cette grande métropole qu’est Paris, quel est ton rapport avec la “petite” Genève, ta ville d’adoption?

Je suis carrément amoureuse de cette ville! À Paris j’étais jeune, donc je ne sortais qu’avec mes parents ou avec la famille. C’est à Genève que j’ai passé mon adolescence, vu que je suis arrivée à l’âge de 14 ans. Donc voilà, j’ai fait mes bêtises ici, j’ai rencontré de belles personnes ici, et c’est ici que j’ai commencé à vraiment faire de la musique en rencontrant Little Lion Sound. Il y a quatre ans, il m’a proposé d’enregistrer une dubplate3 sur un son de Dr Dre, dont la vidéo a été postée sur Youtube. Darryl Zeuja est tombé dessus et c’est comme ça qu’il m’a connue et que tout a commencé. Danitsa est née à Genève en fait, pas à Paris!

 

D’ailleurs, dans tes clips, comme “Boom Boom” (tourné sur la plage de La Savonnière) par exemple, ou dans les photos que tu publies sur les réseaux sociaux, on voit souvent différents endroits emblématiques de Genève. C’est une manière de montrer que tu y es attachée?

Bien sûr! On se sent bien à Genève, même si les gens paraissent un peu froids de prime abord [rires]. En réalité, j’ai envie d’être considérée comme une artiste “parigo-genevoise”. Donc je mets en avant le côté genevois, mais aussi le parisien! Et je fais découvrir ces deux villes à mon public. Par exemple, tu sais qu’il y a pas mal de gens qui me suivent à Bogotá?

 

Donc objectif pour le futur: un concert en Colombie c’est ça ?

On m’a vraiment proposé un concert là-bas en plus [rires]! En fait, j’ai appris que mes sons étaient écoutés de l’autre côté du Pacifique grâce à un ami. Il se baladait dans un quartier de Bogotá et d’un coup, il entend “Good Coffee”. C’était une femme qui écoutait cette chanson sur son téléphone portable! Je reçois plein de messages de gens de Bogotá, du Mexique et d’Espagne aussi, c’est assez marrant!

 

Danitsa, merci de nous avoir accordé cet entretien!

Merci à vous et salutations à tous les lecteurs de Jet d’Encre!

> clip “Boom Boom” :

Danitsa sera en concert le samedi 14 novembre à la Salle communale d’Onex dans le cadre du festival Les Créatives. Elle se produira à 20h, en première partie des chanteuses Sister Fa et Queen Ifrica. Plus d’infos ici


1. De l’anglais extended play, qui désigne un format musical plus long qu’un single mais plus court qu’un album.

2. Auparavant, Danitsa avait travaillé avec la réalisatrice Vanessa Bapst, que les lecteurs de Jet d’Encre connaissent bien, sur les clips de “Boom Boom” et “Emily

3. Production musicale exclusive pour un sound system ou un DJ.

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