Politique Le 25 octobre 2018

La Suisse tient parole / Posons des questions claires

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La Suisse tient parole / Posons des questions claires

Le 25 novembre prochain, les citoyennes et citoyens suisses devront se prononcer sur l’initiative populaire « Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) ». Lancée par l’UDC, elle entend consacrer le principe de la primauté du droit constitutionnel helvétique sur le droit international. À l’occasion de cette votation cardinale, Jet d’Encre vous propose une confrontation de points de vue.

Selon Fanny Randanne et Søren Henrichsen, co-président-e-s d’Opération Libero Genève, il convient de dire NON à cette initiative trompeuse, dans la mesure où le droit international protège avant tout la Suisse, ses citoyen-ne-s et ses entreprises.

Pour la prise de position du conseiller national (UDC/GE) Yves Nidegger en faveur du OUI, cliquez ICI.


 

Nos rues sont couvertes d’affiches nous invitant à sauvegarder la démocratie en votant un grand OUI à l’autodétermination. Cette campagne de l’UDC cache bien son jeu. Car derrière la volonté de lutter contre de prétendus « juges étrangers », les initiants dissimulent une véritable attaque contre la sécurité juridique, la prévisibilité de nos engagements et la garantie des droits fondamentaux dont bénéficient les citoyennes et citoyens suisses. Personne ne souhaite se faire dicter sa conduite chez lui, c’est une évidence, mais résumer cette initiative ainsi est réducteur et surtout faux. Libre de ratifier ou non un traité international, la Suisse a toujours fait preuve de la plus grande prudence au moment de s’engager. Lorsqu’elle devient l’un des derniers pays à rejoindre l’ONU, elle le fait de manière libre et souveraine, sans contraintes externes1.

Les engagements européens de la Suisse au travers des accords bilatéraux répondent à la même logique. Ardemment négociés par nos diplomates, ils ont été ratifiés par le peuple parce qu’ils servaient nos intérêts. C’est parce que la Suisse est souveraine qu’elle décide ou non de conclure des accords sectoriels avec ses partenaires européens. Ces traités sont nécessaires et nous en bénéficions tous. Personne n’imagine aujourd’hui renoncer à l’accord bilatéral sur le transport aérien par exemple, lequel permet chaque jour à des dizaines de milliers de Suisses de prendre l’avion depuis le territoire helvétique vers une destination européenne2. Cet accord prévoit pourtant une reprise automatique de l’acquis communautaire dans ce domaine, c’est-à-dire sans que le peuple suisse ne puisse se prononcer. Or personne ne s’en offusque, ce traité sert en effet nos intérêts.

Petit pays ne pouvant se prévaloir de rapports de force, la Suisse a tout à gagner d’un système international fort dans lequel chacun respecte ses engagements. Le droit international protège l’ensemble des Suissesses et des Suisses ainsi que nos entreprises en leur offrant une sécurité juridique et une prévisibilité renforcée. Le douloureux épisode de la fin du secret bancaire le prouve : lorsqu’elle n’est pas protégée par le droit international, la Suisse est à la merci des grandes puissances de ce monde.

Les conséquences de cette initiative vont encore bien au-delà des seules questions économiques. Elle porte atteinte aux droits humains. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les États-nations ont dû se faire à l’évidence que les gouvernements s’attaquent parfois à leurs propres citoyens. C’est pourquoi il a été décidé de créer un mécanisme supranational de protection des libertés fondamentales de toute personne vivant dans les États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Les Européens s’accordaient alors pour dire qu’il fallait tout mettre en œuvre pour éviter de nouvelles atrocités sur le continent.

Précision importante, la CEDH n’est en rien un mécanisme lié à l’Union européenne mais un accord librement conclu par 47 États européens. Cette Convention permet aux individus victimes de discrimination d’accéder à une ultime voie de recours : la Cour européenne des droits de l’homme. La Suisse, qui y a adhéré de son plein gré dans les années 1970, est parfois condamnée par ces prétendus « juges étrangers ». Mais tous les autres pays le sont également, et notamment par des juges suisses3. Dans quel but cette Cour opère-t-elle ? Garantir le respect des droits humains partout en Europe car aucun État n’est au-dessus de tout soupçon en la matière, pas même la Suisse. En ce sens, la CEDH nous protège et nous offre une garantie supplémentaire du respect de nos droits fondamentaux.

Sécurité juridique, prévisibilité, garantie des droits fondamentaux, voici quelques-uns des bénéfices apportés par le droit international. En renversant la hiérarchie des normes juridiques, l’UDC ne renforce pas la souveraineté nationale mais l’affaiblit considérablement en laissant la Suisse à la merci des grandes puissances. En ouvrant la porte à la violation des traités internationaux ratifiés par la Suisse, l’UDC fragilise notre pays en le faisant passer pour un partenaire peu fiable. Enfin, en prétendant renforcer la démocratie suisse, l’UDC s’attaque aux mécanismes protégeant les droits fondamentaux des habitantes et habitants de notre pays.

Il est sain de questionner nos acquis mais il faut le faire en toute transparence. Finalement, voulons-nous sortir de la CEDH ? Faut-il quitter de Schengen ? Que l’UDC sorte du bois et joue franc jeu4 ! Qu’elle nous pose les vraies questions, concrètes. Respecter le peuple, c’est aussi lui demander clairement ce qu’il veut et ne pas se cacher derrière une vague notion d’autodétermination.

 


Références:

1. Les Suisses ont d’ailleurs préalablement refusé l’accession du pays à l’ONU. https://www.swissinfo.ch/fre/politique/suisse-onu–une-longue-histoire—/2913570

2. Plus d’information sur cet accord bilatéral sur le transport aérien: https://www.eda.admin.ch/dea/fr/home/bilaterale-abkommen/ueberblick/bilaterale-abkommen-1/luftverkehr.html

3. Composition de la Cour (CEDH): https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=court/judges&c=fre

4. Le vote sur l’immigration de masse est un parfait exemple de la stratégie UDC. Il s’agit de formuler une question simple qui semble découler du bon sens. En effet, personne ne souhaite une “immigration de masse” ou encore des “juges étrangers”. Pourtant, les conséquences sont bien plus complexes que ne le laisse entendre l’intitulé de l’initiative. La mise en œuvre du votre du 9 février 2014 a, par exemple, remis en cause des collaborations bien établies et avantageuse pour la Suisse. Notre participation au programme Erasmus, aux programmes de recherche européens mais aussi la distribution des films suisses en Europe ont été remis en cause. Il s’agit de bien plus que des immigrés de masse. Une fois de plus, la question doit être claire pour permettre un choix.

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