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Cible facile des critiques populaires, les météorologues ne sont évoqués que lorsqu’ils se trompent (rarement) et jamais quand ils voient juste (souvent) : on ne se souvient que des trains en retard, jamais des trains à l’heure. Les Wetterschmöcker, les « renifleurs de météo », bénéficient quant à eux du biais inverse (celui-là même qui permet aux voyants et aux homéopathes de continuer à prospérer): les gens ne se souviennent que leurs prédictions réussies et jamais de leurs échecs. Qu’on les présente comme des personnages folkloriques traditionnels, passe encore. Mais lorsqu’on tente de leur attribuer un taux de réussite équivalent à celui des météorologues professionnels, une limite est franchie et il devient évident que le public est trompé dans les faits qui lui sont présentés.
Dans son édition parue le 6 août 2014, l’Illustré publie un article intitulé Été pourri mais automne magnifique au sujet des Wetterschmöcker. Ils sont paysans, gardes forestiers ou montagnards et ils prédisent le temps qu’il va faire en observant la nature : escargots, pives, fourmis, mulots, etc. Au premier abord, rien de bien méchant. Le bon sens paysan et les connaissances empiriques basées sur l’observation de la nature, c’est très bien. Il y a un côté folklorique qui fait partie de la culture et des traditions suisses, et les photos de ces personnages qui ornent les pages de l’hebdomadaire sont à ce titre très intéressantes. Mais là où l’article déraille complètement, c’est quand apparaît une audacieuse tentative d’évaluation chiffrée de l’efficacité des Wetterschmöcker :
« Leur taux de réussite? Près de 80%, une moyenne aussi honorable que celle des météorologues professionnels dotés d’instruments plus sophistiqués que les yeux ou le nez. »
Daniel Cattani, météorologue et prévisionniste chez MétéoSuisse, est très remonté contre cette article, et en particulier contre cette comparaison :«L’article dit clairement que les « prévisions » des renifleurs sont comparables à celles des prévisionnistes professionnels. Le sommet, c’est qu’il est inscrit un taux de réussite de 80%. Il ne s’agit pas du tout de » prévisions » comparables. On ne parle pas de la même chose et on ne peut donc pas évaluer les prévisions de la même manière. Les Wetterschmöcker (hauts en couleurs et qui font indéniablement partie du folklore local) donnent des tendances du temps un peu comme les prédictions du Messager boiteux. Des tendances qui s’éloignent en général très peu, ou du moins pas énormément, de la climatologie.»
Les prédictions des Wetterschmöcker sont donc extrêmement vagues et très peu fiables, en particulier en ce qui concerne les événements météorologiques s’écartant des normes saisonnières. La preuve avec l’exemple cité dans l’article : le roi des Wetterschmöcker de cette année « reconnaît bien humblement avoir un peu sous-évalué les litres de flotte tombés en juillet. » Il a bien raison d’être humble : des records pluviométriques mensuels sont tombés un peu partout dans le pays en juillet1 et il n’a rien vu venir. Alors quand le même nous prédit que l’automne sera «super», on ne peut pas exclure un blizzard givrant sur l’ensemble du pays pour tout le mois de septembre…
Daniel Cattani est d’autant plus irrité qu’en matière de météorologie, l’avis d’un météorologue aurait logiquement été le bienvenu. Lorsqu’il a contacté la rédaction de l’Illustré pour le signaler, la réponse qu’il a reçue a été pour le moins surprenante : « J’ai fait remarquer qu’il aurait été bon de joindre à cet article le point de vue des professionnels. On m’a répondu que l’idée était de montrer une « alternative » aux prévisions de MétéoSuisse. Le mot « alternative » m’a évidemment irrité. » A juste titre : présenter les Wetterschmöcker comme une alternative aux prévisions de MétéoSuisse, c’est du même ordre que de présenter les tisanes de plantes comme une alternative au département de chirurgie du CHUV.
Contacté, Patrick Baumann, l’auteur de l’article, admet à demi-mot que le chiffre de 80% est douteux (tout en se dédouanant de son origine) et finit par concéder l’inutilité de le mentionner : « Le chiffre vient de journalistes de Schweizer Illustrierte qui s’occupent un peu de météo et qui se rendent compte que si on compare ce qu’ont prédit les météorologues par exemple pour l’été 2014, on tombe dans les mêmes estimations. Je pense que le chiffre de 80% doit être difficilement traçable, c’est une estimation grosso modo. Il ne faut pas trop s’attacher à ce chiffre. Les journalistes aiment bien quantifier, mais c’est parfois un peu extrapolé.
– Du coup, était-ce vraiment nécessaire de citer ce chiffre dans votre article ?
– Non. Du coup, vous avez raison. »
Alors comment est calculé le taux de réussite des uns et des autres ? Du côté de MétéoSuisse, la réponse de Daniel Cattani est claire : « Pour assurer la qualité de nos produits, nous avons un suivi précis et scientifique de la qualité des prévisions. Avec quelques collègues, j’ai mis en place en 2013 un système de vérification qui permet de connaître la qualité de tous les paramètres prévus, par région et par échéance. Je peux donc expliquer en détails à qui le veut comment est établi le score pour nos prévisions, et quelles mesures sont utilisées pour la vérification. »
Du côté des Wetterschmöcker, bien évidemment, rien de tout ça. Alors comment tenter d’évaluer l’efficacité du bon sens paysan et de cette « alternative » aux météorologues professionnels ? En constatant par exemple que les agriculteurs eux-mêmes, lorsqu’ils doivent récolter le foin, opération qui nécessite une période plus ou moins longue sans pluie, se tournent vers… les météorologues professionnels. Daniel Cattani le confirme : « MétéoSuisse, ainsi que d’autres bureaux de météorologie, fournissent des prévisions locales au jour le jour pour des échéances proches, généralement jusqu’à 5 ou 7 jours. Par exemple, nous travaillons beaucoup l’été avec des agriculteurs qui ont besoin de connaître avec précision les périodes de précipitations pour leur région. Cette information ne peut pas être fournie par des renifleurs. »
Présenter aux Romands des aspects méconnus de la culture et du folklore d’Outre-Sarine, c’est une excellente chose. Vanter les mérites des connaissances empiriques basées sur l’observation de la nature également. Mais utiliser des chiffres sortis de nulle part pour faire croire au public que le travail des météorologues professionnels et les progrès de la science ne valent pas mieux que les vagues « prévisions » d’un montagnard qui observe les pives ou les fourmis, ça dénote un grave manque de professionnalisme et de déontologie éditoriale.
1MétéoSuisse, Bulletin climatologique été 2014
"ce qu’ont prédit les météorologues" : la science prévoit, les voyantes prédisent !