Face au choc de l’acceptation de l’initiative UDC se met en place un mouvement, qui, dans un compréhensible besoin de communion héminationale, base sa communication sur le fait que la moitié, ou presque, des Suisses ont tout de même voté NON.
Les idées fusent, les visuels sont réussis, l’humour est ravageur… et la psychothérapie de groupe fait son effet: Nous sommes minoritaires certes, mais de peu, et sommes dans le vrai, l’intelligent et l’ouvert. Bref, nous avons raison !
Cette simplification me laisse pourtant un goût plutôt désagréable et me fait espérer que, une fois le traumatisme passé, le niveau du discours politique reprendra son envol pour atteindre des niveaux de nuance désormais délaissés.
Pour tout dire, je ne parviens pas à m’identifier aux « 49,7% » pour les raisons suivantes:
– Je ne peux me résoudre, par principe, à une approche binaire des questions politiques, qui sépare sans équivoque le bien du mal.
– La mise en évidence de ce taux écarte de l’analyse – et de la communauté – tous ceux qui n’ont pas voté: abstentionnistes, étrangers et jeunes, dont il aurait été intéressant de connaître l’avis sur la question.
– Les deux blocs dessinés par le vote sont en fait eux-mêmes complètement morcelés : Si je ne peux m’identifier à un xénophobe de souche, je dois admettre que, politiquement, je me sens plus proche du chômeur abusé par les arguments UDC, que du patron qui a refusé l’initiative dans l’espoir de pouvoir continuer à sous-payer ses employés.
– En traçant une ligne de démarcation infranchissable, on refuse de tenter de comprendre et surtout de convaincre ceux qui, sans être du tout xénophobes, ont voté l’initiative pour des raisons qui méritent d’être entendues et traitées politiquement. Au contraire, en les confinant de l’autre côté, on ne peut que les convaincre d’y rester.
– Derrière les visuels et les textes proposés transparaît souvent un mépris de la Suisse alémanique, assez peu compatible avec l’esprit d’ouverture revendiqué, et de fort mauvais aloi, alors que les différences se sont considérablement estompées entre les régions linguistiques et que certaines villes alémaniques ont refusé le texte plus nettement que les romandes. On peut dénoncer la bêtise d’un Blocher, mais il faut aussi relever le peu de consistance d’un Burkhalter humiliant un journaliste radio alémanique qui lui demandait une intervention en allemand pour ses auditeurs.
– Enfin, on remarque une troublante tentation de la Schadenfreude, montant en épingle toutes les réactions outrancières de représentants de l’Union Européenne. Cela est particulièrement inquiétant, car on risque ainsi de conforter une part de l’opinion suisse et européenne dans sa représentation d’une technocratie bruxelloise méprisant la volonté populaire exprimée démocratiquement.
La Suisse s’est engagée dans une période instable de négociations difficiles avec un partenaire lui-même en crise. Personne ne peut raisonnablement en anticiper l’issue.
C’est pourquoi il est nécessaire de se retrousser les manches et de faire de la politique, imaginer, convaincre et bâtir, plutôt que de se retrancher dans une morgue condescendante et d’expliquer en anglais à ses compatriotes qu’ils ne font pas partie de « the other half« .
Putain, 0,5% d'écart, ça rapproche plutôt, non?