Migrations Le 15 octobre 2016

Une Europe unie contre les réfugiés

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Une Europe unie contre les réfugiés

Hotspot de Kios (Grèce), août 2016. © Sara Prestianni

Pour beaucoup d’observateurs, la politique de l’Union européenne (UE) serait caractérisée par un profond clivage entre la « vieille Europe » et le groupe dit de Visegrad – composé de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie. La campagne xénophobe de Viktor Orbàn contre la « relocalisation coercitive de citoyens non hongrois en Hongrie », plébiscitée par plus de 98% des votants, témoignerait de la profondeur de ce fossé, malgré la faible participation (40% des inscrits) au scrutin de dimanche 2 octobre1. Plus généralement, la réticence de ces pays à accueillir des réfugiés est analysée comme en profond décalage avec les « valeurs » de l’UE. Pourtant, au-delà des discours électoraux et des anathèmes populistes, les dirigeants de ces États s’inspirent des principes fondamentaux des politiques européennes de contrôle des frontières : le refus de toute liberté de circulation pour les demandeurs d’asile et la volonté de maintenir les exilés toujours plus loin du cœur de l’espace Schengen, et si possible enfermés.

Les pays du groupe de Visegrad ne sont ainsi pas les seuls à avoir protesté quand, pendant quelques semaines à la fin de l’été 2015, l’Allemagne et l’Autriche ont ouvert leurs frontières aux exilés empruntant les « routes des Balkans »2. Cette politique d’accueil, rompant avec toutes les règles européennes en matière d’asile, a entraîné un véritable vent de panique dans les instances de l’UE et chez plusieurs États-membres. Ainsi, en février dernier, le Premier ministre français tançait publiquement la chancelière allemande, en affirmant lors d’une visite à Munich : « Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés (…) Le temps est maintenant venu de mettre en œuvre ce qui a été discuté et négocié : des hotspots, des contrôles aux frontières extérieures, etc. »3. Manuel Valls rappelait alors comment, depuis plus de vingt ans, l’UE piétine les principes fondateurs du droit d’asile.

Elle subordonne en effet ce dernier à un contrôle des frontières, empêchant de fait les exilés d’accéder à une procédure d’asile respectueuse de la convention de Genève et des textes internationaux. Les règles européennes – notamment le règlement de Dublin – conduisent à concentrer les exilés dans les pays dits de « première arrivée » où leurs droits ne sont pas respectés. Une fois les frontières allemandes refermées et la chancelière revenue aux positions partagées de longue date par ses partenaires européens, l’anathème a pu être jeté sur les Italiens et les Grecs, décrits comme incapables d’assurer « la sécurité » de l’UE et de faire face à « l’afflux de migrants ». La politique des hotspots promue par la Commission européenne depuis le printemps 2015, et progressivement mise en œuvre à partir de février 2016, fut ainsi présentée comme la solution à la « crise des migrants » : l’envoi de fonctionnaires européens et l’ouverture de camps d’identification et de tri dans les îles grecques et en Italie devaient permettre de multiplier les expulsions de boat people. La reconnaissance de la Turquie comme « pays sûr » et l’accord conclu avec Recep Tayyip Erdoğan en mars 20164 répondaient à ces objectifs : depuis des mois, la Commission européenne n’avait d’ailleurs eu de cesse de prôner l’augmentation des « taux de retours » et la multiplication des accords de coopération avec des pays dits « de transit » ou « de départ ».

Toutefois, la « relocalisation » – autrement dit les règles provisoires régissant la répartition dans différents États membres des demandeurs d’asile arrivés en Grèce et en Italie – s’est révélée un leurre destiné à masquer la logique concentrationnaire des hotspots. Au 26 septembre 2016, seules 5 600 personnes – soit moins de 10% du nombre initialement « prévu » – avaient été « relocalisées »5. À la même date, plus de 60 000 exilés s’entassaient dans des camps grecs dans des conditions unanimement qualifiées d’inhumaines. Le nombre de « relocalisations » devrait encore diminuer dans les prochaines semaines et, à peine enclenché, ce dispositif est déjà à bout de souffle. Or, dès le mois de juillet dernier, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme s’alarmait que des îles de la mer Égée soient devenues de « vastes zones de confinement forcé »6. Depuis des mois, la politique européenne se donne ainsi à voir dans toute son inhumanité : après avoir fait de la Méditerranée un véritable cimetière marin (avec près de 4 000 morts depuis le début de l’année 20167), elle transforme la Grèce en archipel de camps.

Si cette perspective scandalise les défenseurs des droits humains, elle inquiète aussi de nombreux chefs d’États amenés à gérer des espaces qu’ils aimeraient voir cantonnés hors d’Europe. Réhabilitant une proposition formulée en 2003 par Tony Blair, alors premier ministre britannique, Viktor Orban a affirmé, le 24 septembre, que « de grands camps de réfugiés doivent être créés hors de l’UE, financés et gardés par l’UE », où les migrants seraient transportés et « contraints de rester le temps que soient examinées leurs demandes d’asile »8. Ces propos doivent être pris au sérieux : si la Hongrie fut le premier pays de l’espace Schengen à littéralement murer certaines de ses frontières, son exemple a depuis été suivi, notamment par les Français et les Britanniques, aux alentours de la ville de Calais9. « On ne respecte pas les valeurs de l’Europe en posant des grillages qu’on ne ferait pas pour des animaux » avait pourtant tonné Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères, quand la Hongrie avait lancé la construction d’un « mur anti-migrants » le long de sa frontière avec la Serbie10. Or, l’extension d’un monde de camps et de murs n’est pas seulement le projet du leader hongrois : c’est aussi une ligne directrice, aux conséquences déjà bien visibles, de la politique migratoire menée par l’UE et ses États membres depuis une vingtaine d’années.

 


1 Hongrie: 98,32% des votants contre l’accueil des réfugiés, le référendum invalidé (3 octobre 2016), L’Express, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/referendum-anti-refugies-en-hongrie-viktor-orban-en-partie-desavoue_1836712.html

2 L’Autriche et l’Allemagne accueillent des milliers de migrants (5 septembre 2015), Le Temps, https://www.letemps.ch/monde/2015/09/05/autriche-allemagne-accueillent-milliers-migrants

3 « Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés », selon Manuel Valls (13 février 2016), Le Monde, http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/13/a-munich-l-europe-se-divise-sur-la-crise-des-refugies_4864911_3214.html

4 Déclaration UE-Turquie (18 mars 2016), http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18-eu-turkey-statement/

Voir aussi La Turquie, un pays sûr ? (mai 2016), EuroMed Droits, AEDH, FIDH, http://euromedrights.org/wp-content/uploads/2016/05/Factsheet-Safe-Country-Turkey-FR.pdf

5 Les documents « States of Play » de la Commission, concernant le nombre de relocalisations effectuées, sont régulièrement actualisée et consultables en ligne : http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/european-agenda-migration/press-material/docs/state_of_play_-_relocation_en.pdf. Selon Amnesty International, au rythme actuel, il faudrait 18 ans pour relocaliser l’ensemble personnes déjà retenues en Grèce, sans compter celles encore susceptibles d’arriver, http://www.amnesty.sn/spip.php?article3268. Voir aussi le rapport Grèce : nos rêves sont brisés-La paralysie européenne bloque des milliers de réfugiés en Grèce (22 septembre 2016), https://www.amnesty.org/fr/documents/eur25/4843/2016/fr/

6  L’ONU compare les hotspots européen à des « zones de confinement forcé » (16 juin 2016), l’Humanité.fr, http://www.humanite.fr/migrants-lonu-compare-les-hotspots-europeen-des-zones-de-confinement-force-609434

7 Plus de 4 000 migrants morts depuis début 2016 (2 août 2016), La Tribune de Genève, http://www.tdg.ch/monde/Plus-de-4000-migrants-morts-depuis-debut-2016/story/30991434

8 Viktor Orbán: I love this country, and I do not want to see anyone change it under orders from outside (29 septembre 2016), The Budapest time, http://budapesttimes.hu/2016/09/29/viktor-orban-i-love-this-country-and-i-do-not-want-to-see-anyone-change-it-under-orders-from-outside/

9 A Calais, le Royaume-Uni finance un mur végétal pour dissuader les migrants de monter dans les camions, (8 août 2016) The Huffington Post, http://www.huffingtonpost.fr/2016/08/08/a-calais-le-royaume-uni-finance-un-mur-vegetal-pour-dissuader-l/

10 A Calais, la France, à son tour, construit un mur anti-migrants (17 septembre 2016), Le Monde, http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/09/17/a-calais-la-france-a-son-tour-construit-un-mur-anti-migrants_4999328_3224.html

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