L'encrier Le 22 janvier 2020

Loin de tout, hors de sa zone de confort #1 – Ils s’aiment comme ils se détestent

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Loin de tout, hors de sa zone de confort #1 – Ils s’aiment comme ils se détestent

© Sophie Helle

Du vécu qui nous marque et qui nous définit. Sophie Helle revient de Colombie, où elle a réalisé un travail d’accompagnement auprès de défenseur-se-s des droits humains menacé-e-s. Elle propose une série de publications autour des pensées et réflexions développées durant cette expérience. Dans ce premier texte, elle donne un aperçu de la vie en communauté en vous accueillant dans la maison dans laquelle elle a vécu et travaillé ; maison dans laquelle collègues sont devenu-e-s ami-e-s, colocataires et membres de la famille.


6h, le réveil sonne. Il l’éteint vite pour ne pas réveiller sa voisine de chambre. A pas feutrés, il embarque son linge, ses habits, et sort de la pièce. Alors qu’il veut entrer dans la salle de bains, la porte est fermée. Il attend. Une fois la chasse d’eau tirée, une collègue en sort. Elle est surprise de le croiser de si bon matin. Cheveux ébouriffés et yeux gonflés, elle ne pose pas de questions et retourne se coucher. Vingt minutes plus tard, la mission est accomplie : il est douché et vêtu, la journée peut commencer.

Personne ne comprend pourquoi il se lève à l’aube. Pour lui, c’est sa garantie d’avoir un espace à soi avant que la journée agitée ne commence. Il vit là où il travaille, avec 10 autres collègues. D’autres vivent à l’extérieur mais ont aussi pour lieu de travail cette même maison. L’interaction sociale est infinie, et l’espace pour soi limité. Il identifie rapidement ses besoins. L’un d’eux : un petit-déjeuner dans le calme et la sérénité. La première demi-heure, tout fonctionne comme désiré. 7h30, d’autres lève-tôt se joignent. Puis, arrivent les plus stressés : ceux qui se sont levés et douchés en 10 minutes et qui ont une réunion à l’extérieur. Leur énergie corporelle est trop intense pour lui. Il respire, maintient son calme. Et puis, la petite question rapide de travail lui est posée, « juste pour être sûr ». Et là, c’en est un peu trop – il rappelle son besoin de ne pas parler boulot avant de rentrer dans le bureau.

Les règles de coexistence : si difficiles à définir et si dépendantes des membres de cette mini-communauté. On les travaille, les adapte. On essaie de se respecter, de définir ses limites et de respecter celles d’autrui. Se laver les mains avant de manger, laisser la porte de sa chambre fermée, mettre le lait dans le frigo… Ces petits trucs bêtes mais si importants pour que l’on se sente bien. Tous-tes formaté-e-s mais d’un pays différent, on apprend à vivre ensemble.

Je te respecte, t’observe du coin de l’œil quand tu cuisines, et finis par te demander. Je me laisse influencer.

9h, la matinée est lancée, il est concentré dans le bureau à lire les e-mails reçus. L’ambiance de travail est bonne, tout le monde s’est levé du bon pied. Le sourire lui monte aux lèvres lorsqu’il entend le quatrième « Bonjour ! » depuis la porte et y découvre la collègue croisée à 6h du matin. En pyjama, elle rentre dans le bureau pour y distribuer tendresse et attention. La chanceuse ne travaille pas aujourd’hui. Il aurait très envie de lui demander où est-ce qu’elle a sauvegardé la dernière version du rapport, mais il veut respecter son jour de repos. Lorsqu’elle le salue, elle lui indique spontanément son emplacement. Il est soulagé.

Elle n’est pas totalement déconnectée. Va-t-elle pouvoir se reposer dans une maison qui lui sert à la fois de foyer et de bureau ? Elle n’en est pas très convaincue. D’ailleurs, elle passe son temps libre à l’extérieur, jonglant entre cinéma, café, Skype avec ami·e·s proches et événements culturels. C’est ça sa stratégie pour se ressourcer et déconnecter. Parfois, elle ouvre un carnet et essaie d’y griffonner quelques idées. La seule activité qu’elle aime faire dans la maison, c’est cuisiner. Elle attend que les heures de travail soient derrière elle pour aller dans la cuisine. Une petite musique de fond, elle se laisse porter par la mélodie et ce qu’elle trouve dans le frigo. Ça lui rappelle l’époque où elle avait son chez soi, rien que pour elle. Elle est tranquille, déconnectée.

Il est 20h. Elle sursaute au bruit de pas d’un collègue – elle était persuadée que plus personne ne travaillait à cette heure-ci. Il lui raconte sa journée, bien qu’elle n’ait rien demandé. Il semblerait qu’il ait besoin de s’exprimer et d’être écouté. Et puis au fond, elle est un peu curieuse du déroulement de cette journée, alors ils discutent. D’autres collègues viennent renifler le contenu de ses casseroles et se joignent à la conversation. Ils rient de situations absurdes, la musique change, et l’énergie se transforme. Ils sont comme des membres d’une même famille : ils ne se sont pas choisis. Ils s’aiment comme ils se détestent.


Texte 2 : « Ici, pas de hiérarchie »

Texte 3 : « Le corps parle »

Texte 4 : « Les ingrédients de la réussite »

Pour en savoir davantage, rendez-vous sur le site de PBI Suisse ou vendredi 31 janvier au Café Gavroche à 18:30 (salle au sous-sol).

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