Critique Médias Le 11 septembre 2013

BHL, jusqu’en Suisse…

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BHL, jusqu’en Suisse…

[DR]

Le 10 août, le journal Le Temps gratifie ses lecteurs, dans son supplément « Samedi culturel », d’un article-entretien annoncé à la une sous le titre « L’art et la vérité selon BHL » (avec une photo du philosophe en mousse occupant les trois quarts de la page), au sujet de l’exposition dont il est le commissaire. Ainsi, le « quotidien de référence » en Suisse romande rejoint la meute de la presse française qui s’esbaudit à l’unisson dès que BHL lâche une caisse ou publie une œuvre (ce qui revient à peu près au même).

Supplément "Samedi culturel", Le Temps, 10 août 2013

Supplément « Samedi culturel », Le Temps, 10 août 2013


La goutte d’eau

Qu’a donc fait le public suisse pour mériter une énième dose du « philosophe » le plus inutile qui soit, par un beau samedi d’été? D’autant que BHL était déjà apparu récemment dans de (trop) nombreux médias français, à travers une foultitude d’articles sur l’exposition et d’entretiens-fleuves, dont voici le décompte pour le seul mois de juin1:

  • 1er juin : Le Figaro
  • 3 juin : Europe 1, interview d’Elkabbach
  • 4 juin : « Le Grand Journal », sur Canal+
  • 5 juin : L’Est Républicain
  • 6 juin : « C à vous », France 5
  • 6 juin : Le Point (alors même que BHL écrit dans ses colonnes…)
  • 8 juin : Marianne
  • 8 juin : « On n’est pas couché », France 2
  • 9 juin : le site du Point (article sur l’émission de la veille)
  • 9 juin : Midi Libre
  • 9 juin : Nice Matin
  • 12 juin : France Info, interview de Philippe Vandel
  • 14 juin : Le Figaro Madame
  • 20 juin : Le Nouvel Observateur
  • 21 juin : Public Sénat, interview de Jean-Pierre Elkabbach (encore…)
  • 21 juin : Le Monde
  • 23 juin : Le Journal du Dimanche
  • 25 juin : L’Indépendant
  • 26 juin : L’Express
  • 27 juin : Libération
  • 27 juin : Le Parisien
  • 28 juin : Les Echos
  • 29 juin : Le Figaro
  • 29 juin : Paris Match

 

Ce déluge était amplement suffisant à assouvir la curiosité de quiconque est assez masochiste pour s’intéresser à l’actualité de BHL. Alors pourquoi Le Temps s’est-il senti obligé d’en remettre une couche? Pour faire comme ses petits camarades? L’article en question n’était certes pas aussi aveuglément élogieux que ce qu’on a pu lire et entendre dans les médias français, mais tout de même, il est permis de se demander comment la fascination inexplicable qu’exerce BHL parvient à faire effet jusqu’en Suisse, comme en témoignent notamment les nombreuses interviews complaisantes de Darius Rochebin, qui ne l’a heureusement pas (encore?) invité pour parler de cette exposition à l’antenne de la RTS.


Consternante ignorance

BHL a une carrière exemplaire, moins pour sa contribution insignifiante à la philosophie que par sa capacité surprenante à rester sur le devant de la scène et à attirer les médias comme des mouches à chacune de ses apparitions. Et c’est un exploit de taille, quand on pense qu’il est un des philosophes et écrivains les plus incompétents de l’histoire de la pensée humaine. Il faut en effet une sacrée dose d’impéritie pour prendre au sérieux un livre subtilement intitulé « Landru, précurseur du féminisme »2, pour confondre le journaliste Frédéric Taddéï avec le footballeur de l’AS Roma, Rodrigo Taddei3, ou encore pour citer la déposition de Himmler (ou de son fantôme, sans doute…) au procès de Nuremberg4.

L’historien Pierre Vidal-Naquet avait écrit, en 1979, à l’occasion de la sortie d’un livre de BHL (et des inévitables et unanimes louanges médiatiques qui s’en suivirent): « Je n’entends pas fournir ici une liste complète des erreurs de Bernard-Henri Lévy, cela demanderait un gros volume; je me contenterai d’une simple anthologie de « perles » dignes d’un médiocre candidat au baccalauréat. Qu’il s’agisse d’histoire biblique, d’histoire grecque ou d’histoire contemporaine, Monsieur Bernard-Henri Lévy affiche, dans tous les domaines, la même consternante ignorance, la même stupéfiante outrecuidance. »4 Mais force est de constater que près de 35 ans plus tard, son carnet d’adresses bien rempli permet à notre philosophe à chemise déboutonnée de continuer d’exister médiatiquement, bien aidé en cela par l’admiration béate de certains journalistes.


La crème de la crème

Car non content de se tromper sur à peu près tout ce qu’il raconte – au point de commettre des actes de diffamation pour lesquels il a été condamné récemment, dans un silence assourdissant de la part de médias qu’on avait connus plus loquaces5 -, il livre à longueur d’articles et d’ouvrages une pensée vide et constellée de points Godwin6 qu’il semble collectionner comme les entartages à répétition7, ajoutant ainsi le ridicule à l’ignorance.

Voici ce que disait le philosophe Gilles Deleuze à propos de ces soi-disant « nouveaux philosophes » dont BHL est la figure de proue: « Je crois que leur pensée est nulle. Je vois deux raisons possibles à cette nullité. D’abord ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l’ange. En même temps, plus le contenu de pensée est faible, plus le penseur prend d’importance, plus le sujet d’énonciation se donne de l’importance par rapport aux énoncés vides.« 8 Les photos de presse d’un BHL systématiquement mis en exergue, les cheveux au vent et le regard faussement perdu au loin, ne laissent pas planer le moindre doute quant au caractère infinitésimal du contenu de sa pensée.


La recette gagnante

Après tout ça, on peut donc se demander comment, en 2013, il peut encore traverser l’esprit d’un rédacteur en chef de gaspiller du papier pour publier un entretien de BHL, qui plus est en Suisse. Le philosophe Cornelius Castoriadis s’était déjà posé la question à propos de la France : « Sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un « auteur » peut-il se permettre d’écrire n’importe quoi, la « critique » le porter aux nues, le public le suivre docilement – et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n’avoir aucun écho effectif ? »9

On le voit, il faut que trois éléments soient réunis: des médias qui se battent pour des parts de marché (« Que l’industrie des médias fasse son profit comme elle peut, c’est, dans le système institué, logique : son affaire, c’est les affaires. »), des pseudo-intellectuels qui n’ont rien de pertinent à dire (« Qu’elle trouve des scribes sans scrupule pour jouer ce jeu n’est pas étonnant non plus. »), et un public qui, par paresse intellectuelle ou par endoctrinement marchand, concourt à sa propre ruine: « Tout cela a encore une autre condition de possibilité : l’attitude du public. Les « auteurs » et leurs promoteurs fabriquent et vendent de la camelote. Mais le public l’achète […] Plus les gens lisent, moins ils lisent. […] Ils désapprennent à lire, à réfléchir, à critiquer. Ils se mettent simplement au courant  […] du « débat le plus chic de la saison ». »

Ces conditions sont aujourd’hui réunies en Suisse: les médias sont plus en concurrence que jamais, les intellectuels médiatiques à deux balles ne manquent pas (surtout si on va en chercher à l’étranger) et le public suisse est loin d’être immunisé contre les ravages du buzz, de l’information vite consommée et vite oubliée, permettant ainsi à BHL de se faire passer pour le « débat le plus chic de la saison » et d’étaler son imposture sur nos écrans et dans nos journaux, entre les lasagnes à la viande de cheval et le prénom du royal baby.


Un plan bien huilé

Au final, tout le monde y trouve son compte: le lecteur peut se vanter de s’informer dans les pages culturelles du quotidien de référence; ledit quotidien peut se vanter de maintenir ses ventes de papiers à des niveaux satisfaisants pour le conseil d’administration (comprendre: pour les actionnaires); et grâce à la campagne de promotion relayée par des médias complaisants, la Fondation Maeght espère attirer plus de 100’000 visiteurs à son exposition, ce qui, à 15 euros l’entrée, devrait permettre à BHL de passer confortablement l’hiver, avant de revenir nous abreuver, l’an prochain, d’un nouvel étron littéraire… ou pire, cinématographique.

« Nous avons à lutter pour la préservation d’un authentique espace public de pensée […] contre le bluff, la démagogie et la prostitution de l’esprit. », écrivait Cornelius Castoriadis en pensant à BHL. Pour préserver « un authentique espace public de pensée », il faut commencer par faire obstacle aux conditions de possibilité d’une telle imposture. Il faut que les journalistes de Suisse et d’ailleurs réfléchissent à deux fois avant d’écrire des articles ou de réaliser des interviews de Bernard-Henri Lévy, sous peine de se rendre coupables de complicité de proxénétisme intellectuel. Et surtout, il est vital que le public apprenne à nouveau « à lire, à réfléchir, à critiquer », pour garantir le bon fonctionnement de la démocratie, et pour empêcher l’émergence de nouveaux pseudo-penseurs ineptes parasitant le débat public par leur bruyante et médiatique vacuité.

 

Pour tout savoir sur l’imposture de Bernard-Henri Lévy, vous pouvez consulter les articles regroupés dans les dossiers respectifs du Monde diplomatique et d’Acrimed.

 

 


[1] Décompte d’Acrimed: Mathias Reymond, La pâte à crêpe selon Bernard-Henri Lévy, acrimed.org, 1er juillet 2013.
[2] Dans son livre De la guerre en philosophie, BHL cite le plus sérieusement du monde, un écrivain fictif, Jean-Baptiste Botul, auteur notamment de Landru, précurseur du féminisme et de La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant.
[3] BHL a accusé Frédéric Taddéi d’avoir négocié le prolongement de son contrat sur France 3 jusqu’en 2014. Problème: c’était Rodrigo Taddei qui avait vu son contrat reconduit à l’AS Roma. Lire ici la réponse de Frédéric Taddéï.
[4] Pierre Vidal-Naquet à la rédaction du Nouvel Observateur, critique du Testament de Dieu de Bernard-Henri Lévy, juin 1979
[5] Même la justice française condamne BHL…, site du Monde diplomatique, 26 avril 2013
[6] Pour une tentative de décompte du score, lire: Serge Halimi, Tous nazis !, Le Monde diplomatique, novembre 2007
[7] Sept entartages à ce jour (selon une source officielle), dont le plus célèbre est le premier, lors duquel BHL crie à Noël Godin à terre « Lève-toi vite où je t’écrase la gueule à coups de talon! » Pierre Desproges, avec une phrase restée tout aussi célèbre, commentera les images en disant qu’elles révèlent « la vraie nature des cuistres ». L’entartage et le commentaire de Desproges sont visibles ici. A noter que le dernier entartage de BHL date déjà de 2006… Amis de la pâtisserie et du rire, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
[8] A propos des nouveaux philosophes et d’un problème plus général, texte de Gilles Deleuze, publié comme supplément au n°24 de la revue bimestrielle Minuit, mai 1977.
[9] Cette citation et les suivantes: Cornelius Castoriadis, L’industrie du vide, Le Nouvel Observateur, 9 juillet 1979

Commentaires

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HN

On est désolé, on l'a laissé s'échapper. D'habitude, on fait gaffe et on arrive à le maîtriser mais de temps…

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L’Irish

La plus grosse merde du monde ce type !!!!

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HN

On est désolé, on l’a laissé s’échapper. D’habitude, on fait gaffe et on arrive à le maîtriser mais de temps en temps, il se fait la belle et fait bombarder un pays (Bosnie, Lybie).
C’est que ça nous rend pas service qu’il aille se montrer à l’étranger hein ! 😉
Dans le genre monument de nombrilisme: « Le serment de Tobrouk », un documentaire sur lui (de lui et pour lui je pense aussi) en Lybie, où il fait également la voix off, avec une voix chevrotante récitant des litanies insoutenables sur son périple.
N’hésitez pas à cuisiner des tartes à la crème, il adore ça.

Cdlmt

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L’Irish

La plus grosse merde du monde ce type !!!!

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