International Le 15 février 2020

Enfants de nazis ou de résistants déportés : quand la deuxième génération témoigne

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Enfants de nazis ou de résistants déportés : quand la deuxième génération témoigne

© CICAD

Ils sont enfants d’officiers SS ou de résistants déportés : ces quatre amis arpentent l’Europe pour raconter leur histoire. A l’occasion du 75ème anniversaire de la libération des camps et de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, ils étaient de passage à Genève. Valérie Geneux a recueilli leur témoignage.


 

C’est l’histoire de pères résistants et de pères nazis. Ceux de Barbara Brix, Ulrich Gantz, Jean-Michel Gaussot et Yvonne Cossu. Ces derniers ont décidé de prendre la parole, parfois contre l’avis du reste de leur famille, afin de raconter l’histoire de leurs pères et du douloureux héritage qu’ils leurs ont transmis. Ensemble, le quatuor partage un passé dramatique, lourd à porter et que tout oppose. Mais cela ne les a pas empêchés de se lier d’amitié.

Fin janvier, ils participaient à une conférence publique organisée par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) et les Nations Unies. Une première en Suisse.

Les pères de Jean-Michel Gaussot et d’Yvonne Cossu étaient résistants français. Arrêtés par la Gestapo et envoyés au camp de concentration de Neuengamme, dans le nord de l’Allemagne, ils sont tous deux morts là-bas. Quant aux pères de Barbara Brix et d’Ulrich Gantz, ils étaient officiers SS, membres des Einsatzgruppen (« groupes d’intervention »).

 

Un deuil impossible

Le père d’Yvonne Cossu fabriquait de fausses cartes d’identité et fournissait des armes, parachutées par les Anglais, aux maquisards. Un soir, il n’est jamais rentré du travail. Yvonne Cossu avait six ans. Arrêté par la Gestapo puis déporté au camp de Neuengamme, son père est mort d’épuisement et de faim, un jour avant la libération du camp par les soldats britanniques.

Yvonne Cossu a longtemps éprouvé un sentiment de haine envers les Allemands. « Je mélangeais tout. Les Allemands n’étaient pas tous nazis. Je ne l’ai compris qu’à 60 ans lorsque je me suis décidée à me rendre en Allemagne pour la première fois. Je devais regarder les choses en face », explique-t-elle. Ce voyage prend alors la forme d’une thérapie. « Ça m’a fait du bien de parler avec d’anciens déportés », ajoute-t-elle.

Jean-Michel Gaussot était encore bébé quand son père fut assassiné au camp de Neuengamme. Résistant gaulliste, il a été arrêté par la Gestapo puis déporté. « Ce que je sais de mon père est ce que ma mère et mes grands-parents m’en ont raconté. Il a été le grand absent de ma vie mais son image m’a toujours habité », révèle l’ancien ambassadeur, aujourd’hui retraité.

 

Culpabilité à vie

Barbara Brix a rencontré son père à l’âge de six ans. Il lui transmet son goût pour l’histoire et la lecture. « C’était un médecin, quelqu’un d’humain et surtout un bon père. J’étais sa fille préférée », reconnaît-elle. Barbara Brix savait que son père avait participé à la guerre. Il en est rentré amputé des deux jambes. Cependant, elle n’osa jamais lui poser de questions sur son passé. « Mon père n’a pas parlé. Je me rends compte que j’ai aussi un rôle dans cette situation. Il y aurait eu des occasions où j’aurais pu lui demander des choses mais je ne l’ai pas fait », avoue-t-elle.

Après la mort de son paternel, elle entame des recherches. Elle découvre qu’il était officier dans l’Einsatzgruppe C qui a massacré plusieurs milliers de personnes à Lviv, en juillet 1941. Son père se trouvait dans la ville durant les pogroms. Cependant un doute subsiste. Y a-t-il participé ?

Elle trouve alors des documents qui attestent la présence de son père lors des massacres. En tant que médecin, il devait garantir la « bonne hygiène » des exécutions. « Pour moi, cela a été un choc terrible. Comment était-ce possible ? raconte Barbara Brix. Je n’ai pas réussi à intégrer les deux images, celle du bon père et celle du persécuteur nazi, en une seule et même personne. » Aujourd’hui, elle continue ses recherches tout en étant consciente qu’il restera toujours des trous noirs.

Le père d’Ulrich Gantz était officier dans l’Einsatzgruppe B, en Biélorussie. Durant sa vie, Ulrich Gantz a essayé à plusieurs reprises de poser des questions. Son père n’a jamais voulu parler. A sa mort, la belle-mère d’Ulrich Gantz a déposé des sacs en plastique sur la table de la cuisine. « Voici la réponse à toutes vos questions », a-t-elle lancé aux frères et sœurs.

Le frère d’Ulrich Gantz suggère alors de tout brûler. Mais Ulrich, lui, refuse. Entre les frères et sœurs, un pacte s’établit. Ils consultent les documents mais jurent de n’en parler à personne, pas même à leur conjoint.

Les sacs contiennent des jugements. Entre 1960 et 1980, l’ancien officier SS a été convoqué au tribunal 18 fois, accusé de meurtre ou comme témoin. Dans ces documents, Ulrich Gantz ne trouve aucune mention de l’identité des victimes. « De toute évidence, le tribunal n’avait pas assez de preuve pour l’inculper », explique-t-il. Son père échappe à la justice en niant toutes les accusations. « Il disait qu’il n’avait jamais tiré, ni donner l’ordre de le faire. Le Tribunal n’a pas réussi à prouver le contraire », signale Ulrich Gantz. Son père consignait également par écrit tout ce qu’il avait dit lors des séances : « Il construisait sa stratégie ».

Ulrich Gantz décide de rompre sa promesse et prend la parole lors de réunions entre descendants nazis à Neuengamme. Cette trahison lui a valu l’éloignement de son frère qui ne lui adresse plus la parole.

 

La valeur du témoignage 

Pourquoi les quatre amis ont-ils décider de témoigner ensemble ? Pour Barbara Brix, parler constitue une libération et un soulagement après avoir porté la culpabilité toute sa vie. « Je me dois de réparer, de faire mieux », complète-t-elle. Quant à Ulrich Gantz, c’est la notion de devoir qui le pousse à s’exprimer. « Mon père a assassiné plus de 10’000 personnes avec son unité. Je ne peux pas rendre la vie mais je fais un acte de sincérité en essayant de dire la vérité », déclare-t-il. Jean-Michel Gaussot avoue ressentir une grande admiration pour ses amis. « Ils ne sont pas coupables du passé et des actes des autres », relève-t-il. Quant à Yvonne Cossu, il s’agit de dépasser ses souffrances personnelles.

Le quatuor s’est rencontré au mémorial du camp de Neuengamme en 2014. « Nos témoignages servent à lutter contre l’antisémitisme et s’inscrivent dans un processus de transmission de la mémoire », explique Yvonne Cossu. Ils estiment que la mémoire doit être partagée. Chacun est tenu se raconter son histoire afin de véhiculer un message de paix et de tolérance, à l’image de leur amitié.

 

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