Politique Le 18 septembre 2017

Et lorsqu’il ne restera plus rien à couper ?

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Et lorsqu’il ne restera plus rien à couper ?

Eirene Suisse soutient l’UNES, une ONG salvadorienne spécialisée dans la protection de l’environnement et dans la lutte pour l’accès à une eau salubre. © Eirene 


Le 24 septembre prochain, les habitants de la Ville de Genève sont appelés à se prononcer sur le budget communal 2017, un budget âprement débattu au Conseil municipal et qui inclut une coupe des dépenses liées à la solidarité internationale. Béatrice Faidutti Lueber, responsable de la communication et de la recherche de fonds de l’ONG Eirene Suisse, explique les raisons de son opposition à cette réduction budgétaire. 


 

Le Conseil municipal de la Ville de Genève souhaite procéder à des coupes dans le budget dédié à la solidarité internationale. Eirene Suisse, une ONG genevoise active dans la coopération par échange de personnes, explique les raisons de son opposition à ces coupes en apparence modestes mais qui auraient des conséquences durables.

Le 24 septembre les Genevois sont conviés aux urnes pour se prononcer sur différents objets fédéraux, cantonaux mais aussi communaux d’importance tel le financement du modèle d’assurances ou la sécurité alimentaire. Il est un autre objet qui ne sera que peu évoqué néanmoins : la coupe de 340’000 francs prévue dans le budget de la solidarité internationale de la Ville de Genève. La somme paraît en effet dérisoire, à peine le salaire d’un joueur de foot moyen ou de quoi s’acheter la moitié d’un studio à Genève. Pourtant, au-delà de l’aspect financier, ce coup de rabot budgétaire illustre la situation de plus en plus remise en question d’un secteur qui contribue au rayonnement de la cité de Calvin.

 

Petit montant, grosses conséquences

Pour Gaspard Nordmann, secrétaire général de la Centrale sanitaire suisse romande à Genève, la coupe budgétaire n’est en apparence pas énorme mais pourrait avoir des conséquences importantes : « Ces 340’000 francs peuvent financer des dizaines des projets et permettre d’aider des milliers de personnes au Sud. » Même son de cloche chez René Longet, le président de la Fédération genevoise de coopération (FGC), qui constate de son côté que le budget alloué à la solidarité internationale a déjà été réduit. « Le Conseil municipal a, à la fois, décidé de rejeter une hausse des fonds de 250’000 francs dédiés à la solidarité pour l’année 2017 proposée par l’exécutif afin de se rapprocher de l’objectif internationalement convenu du 0,7% du budget, et d’ajouter à cela une baisse de 340’000 francs par rapport à 2016 ». C’est donc un montant total de 590’000 francs en moins qui est en jeu.

Ces deux décisions sont dénoncées par Tobia Schnebli, conseiller municipal Ensemble à gauche. « Le volte-face de l’Exécutif sur le budget lié à la solidarité est dommageable car il éloigne Genève de l’objectif – inscrit dans la Constitution et précisé dans la loi cantonale – de consacrer 0,7% du budget de fonctionnement de la ville à la solidarité internationale. » Une tâche non seulement cantonale mais également fédérale au titre de l’article 54 de la Constitution. « La Ville s’était fixée l’objectif d’atteindre cet objectif d’ici 2020 ; entre le rabotage du dernier budget et cette proposition de coupe, le message envoyé est au mieux contradictoire. »

René Longet regrette lui aussi un déficit de clarté. « Nous avions présenté, sur sa demande, à la commission des finances du Conseil municipal les activités de la Fédération genevoise de coopération (FGC), nos critères de qualité et nos outils de controlling en janvier lors d’une séance d’information, et nos interlocuteurs nous ont donné de très bons retours. » Il a donc été surpris par ces coupes, dans un contexte où la Ville a dégagé de bons excédents budgétaires lors du dernier exercice, et pensait que l’investissement dans la stabilité du monde faisait désormais l’objet d’un consensus entre les groupes politiques. « Il est choquant de régler les querelles politiciennes genevoises sur le dos des plus démunis de la planète » estime-t-il. En effet, Tobia Schnebli voit dans ces coupes un refus de l’Exécutif d’écouter le peuple qui s’est pourtant exprimé contre des coupes linéaires en 2016 déjà.

 

Une baisse généralisée des financements

L’importance de l’engagement de la Ville de Genève en matière de solidarité est d’autant plus critique qu’au niveau cantonal les objectifs fixés ne sont pas respectés. Le budget 2016 prévoyait ainsi une enveloppe de 16 millions de francs destinée à la solidarité internationale, soit environ 0,23% du budget du Canton. Un engagement qui avait déjà été écorné en 2014 lorsque le Grand Conseil avait décidé de réduire sa contribution à la FGC de 3 millions de francs à 2,5 millions. Certes le montant dont a été privé la FGC est resté à disposition du Service de la solidarité internationale, mais ce dernier ne l’a pas utilisé.

Au niveau national, la situation n’est guère plus encourageante. Après avoir diminué le budget dédié à la coopération de 150 millions de francs en 2016, le Parlement risque de renouveler ce geste cette année, avec cette fois une réduction prévue d’un montant de 190 millions de francs. La dynamique est si mauvaise que les dépenses liées à la solidarité semblent avoir plafonné en 2015, et que les dernières coupes budgétaires ne présagent pas d’amélioration prochaine. La solidarité internationale semble être de plus en plus délaissée au niveau fédéral.

Une position qui interpelle étant donné que la solidarité internationale ne coûte paradoxalement pas grand-chose. Des sommes modestes permettent de financer des projets avec des impacts locaux incontestables. De plus, selon une étude de l’Université de Neuchâtel et de l’IHEID, chaque franc investi dans l’aide publique au développement rapportait 1,19 francs à la Suisse en 2014 (contre 1,29 francs en 2010). En tout, ce sont ainsi 25’000 emplois qui sont liés à l’aide publique au développement en Suisse.

Et la Ville de Genève est bien placée pour capter ces revenus, elle qui accueille de nombreuses organisations internationales et organisations non gouvernementales. Elle possède également une tradition de ville solidaire vieille de plus de cinquante ans. C’était en effet en décembre 1966 que le Conseil municipal genevois, à l’initiative de Jean Ziegler, dotait le budget de 100’000 francs destinés à « l’aide aux pays en voie de développement ».

 

Un vote est un don

Ces cinquante dernières années, l’univers de la solidarité internationale a beaucoup évolué. Il s’est professionnalisé. L’obtention de fonds est un processus de plus en plus encadré et chronophage. Les ONG doivent faire face à davantage de défis avec des moyens qui s’atrophient. C’est le cas de notre organisation, Eirene Suisse. Nous sommes actifs depuis des décennies dans la solidarité internationale par échanges de personnes. Nous sommes solidement implantés dans la région des Grands Lacs en Afrique, en Haïti et en Amérique centrale. Nous envoyons chaque année une dizaine de volontaires sur le terrain à la demande de nos partenaires, des ONG locales (voir les articles de deux d’entre eux ici et ).

Il y a quelques mois, nous avons dû recourir à un appel aux dons extraordinaire. Sans cela, la survie de notre organisation et de nos projets était remise en question. Heureusement, les nombreuses contributions reçues vont nous permettre de poursuivre nos activités cette année et de financer nos volontaires sur le terrain une année de plus. Néanmoins, la pérennité des actions de notre association est mise en danger par ces coupes successives, tant au niveau national que cantonal.

C’est pourquoi nous nous opposons fermement à la coupe de 340’000 francs dans le budget de la solidarité internationale de la Ville de Genève. Elle aurait pour conséquence l’abandon de projets peu onéreux qui permettent de changer la vie de nombreuses personnes. Elle affaiblirait encore davantage la santé d’ONG dont la présence est bénéfique pour l’économie suisse et genevoise. Cette inclinaison vers la solidarité internationale distingue Genève de nombreuses autres villes prospères. Pour autant, c’est un trait distinctif qui tend à s’estomper, rendant la cité moins exceptionnelle, plus anonyme. Soutenez-nous ! Pour une fois nous ne faisons pas appel à votre porte-monnaie pour tenter d’inverser la tendance. Votre vote nous suffira.

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