Société Le 22 juin 2015

La philosophie pour percer les mystères du temps

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La philosophie pour percer les mystères du temps

Le prof. Fabrice Correia enseigne la logique et la philosophie à l’Université de Neuchâtel ainsi qu’à l’Université de Genève.
Image: www2.unine.ch

Que peuvent nous apprendre la physique quantique et la théorie de la relativité sur le temps ? C’est la question que s’est posée Fabrice Correia, professeur de philosophie et de logique à l’Université de Neuchâtel. Sélectionné parmi 250 projets, son programme de recherche visant à « réconcilier les conceptions scientifiques et non scientifiques du temps » recevra 1,4 million de francs du Fonds national de la recherche (FNS). Éclairage.

 

Le temps n’est pas absolu. Il dépend de notre vitesse, dit Einstein. Cette idée heurte notre entendement car nous faisons chaque jour l’expérience de l’invariance du temps. Même lorsqu’une heure dans l’avion paraît interminable, nous savons qu’elle ne dure pas plus de soixante minutes. Le postulat de l’invariance du temps permet l’organisation et, de ce fait, il est essentiel au fonctionnement des sociétés. À une époque où l’on calcule la microseconde avec la précision d’une horloge atomique, au jour où l’on communique instantanément depuis les quatre coins du monde, la possibilité d’un temps relatif paraît d’autant plus échapper au réel.

C’est pourtant bien le réel qu’Einstein a décrit, mais à une échelle non humaine. La « dilatation » du temps – le ralentissement de l’écoulement du temps – ne peut être observée qu’à partir d’une vitesse proche de celle de la lumière. Alors imperceptible pour le commun des mortels, ce phénomène physique creuse un abîme conceptuel entre le monde ordinaire et le monde scientifique. Comment le comprendre autrement que par équations ?

C’est ce genre de questions qui obsèdent Fabrice Correia1, professeur de logique et philosophie contemporaine à l’Université de Neuchâtel. Il mènera dès août prochain un projet philosophique pour tenter de réconcilier les conceptions scientifiques et non scientifiques du temps. « En métaphysique, on réfléchit à la manière dont on conçoit la réalité », explique-t-il. « En épistémologie, on s’interroge sur les façons d’envisager la science, le savoir. Mon projet est à l’intersection entre ces deux branches. »

Ce programme recevra 1,4 million de francs du FNS. Un montant important pour un projet en philosophie, mais adapté à sa durée d’une longueur inusuelle. Durant cinq ans, Fabrice Correia ainsi que deux autres personnes formeront le noyau des recherches. Des collaborations sont prévues entre Neuchâtel, Genève (notamment avec le centre de métaphysique Eidos), Barcelone et Hambourg. « Deux physiciens m’ont déjà contacté spontanément », souligne le métaphysicien.

 

Deux théories majeures en physique contemporaine

« La relativité générale et la mécanique quantique ont toutes deux des choses à dire sur le temps », image Fabrice Correia. « Dans le cas de la relativité, les scientifiques soutiennent que la simultanéité absolue n’existe pas car l’écoulement du temps dépend du point de vue de l’observateur. Ceci entre en conflit avec nos conceptions ordinaires. Nous considérons par exemple que le passé, le présent et le futur sont des notions objectives. Mais sans le principe de simultanéité absolue, ces dernières deviennent entièrement subjectives », raisonne le philosophe. Dans de telles conditions, essayer de déterminer le passé et le présent paraît alors aussi absurde que de chercher à discerner la gauche de la droite sans un point de référence.

La situation se complique dans le cas de la mécanique quantique. « Les physiciens eux-mêmes ne sont pas d’accord sur la manière dont il faut interpréter le formalisme mathématique de cette science. Einstein lui-même était sceptique », constate le professeur. « Aujourd’hui, plusieurs interprétations existent et sont probablement incompatibles entre elles. La dominante est celle du structuralisme, qui soutient qu’au niveau fondamental de la matière aucune particule n’existe, seulement des structures », éclaire le logicien. La matière serait ainsi constituée d’un réseau de relations mais pas d’entités reliées. « Je cherche une interprétation qui soit conciliable avec une approche ordinaire sur le temps », explique-t-il. « À quoi ces grandeurs physiques reliées par équations correspondent dans le monde ? »

 

Une réflexion millénaire

Des textes anciens révèlent que les hommes s’interrogent sur le temps depuis des milliers d’années. Alors qu’Aristote le définissait par « le nombre ou la mesure du mouvement, selon l’avant et l’après », Bergson, contemporain d’Einstein, identifiait au contraire « le vrai temps » à un « flux ininterrompu », un « devenir qualitatif ». « On dit qu’il n’avait rien compris à la relativité générale », ironise Fabrice Correia. « Pour ma part, je n’ai pas de définition du temps, c’est cela qui est intéressant ». Et le philosophe de professer « la recherche doit éclairer son objet, pas l’emmurer. »

 


Le Conseil européen de la recherche (ERC) 

Cet organe de l’Union européenne est chargé de coordonner les efforts de la recherche entre les États membres. Il est la première agence de financement pan-européenne pour la recherche. Dans le cadre du programme Horizon 2020 qui a débuté l’an dernier, l’ERC dispose d’un budget de 13 milliards d’euros en progression chaque année, destiné à financer des projets dans le monde entier. Depuis 2007, la moyenne annuelle estimée des subsides alloués dans le domaine de la philosophie s’élève à 6,5 millions d’euros (sur un budget total d’un milliard). (source: Commission européenne).

Lors du programme précédent, l’ERC a soutenu 3404 projets (tous domaines confondus) de chercheurs actifs en Suisse, faisant de la Confédération le 7ème pays ayant reçu le plus de contributions entre 2007 et 2013 (plus de 2 milliards d’euros). (source: http://www.horizon2020.gouv.fr)

Suite à l’exclusion de la Suisse du programme Horizon 2020 en raison des votations du 9 février 2014, le FNS a mis en place des mesures transitoires afin de maintenir la compétitivité internationale de la place scientifique suisse. C’est dans ce cadre exceptionnel que le projet de Fabrice Correia a été choisi avec 20 autres finalistes parmi 250 lors d’un concours pour recevoir un fonds d’encouragement.


 

1. Ce professeur de philosophie à l’Université de Neuchâtel a obtenu son doctorat à l’Université de Genève, où il enseigne aussi à présent. La logique et la métaphysique sont ses principaux domaines de recherche. Il dirige actuellement quatre projets impliquant chacun une à dix personnes à Neuchâtel, Genève et Hambourg. Ses publications dans des grandes revues de logique telles que DialecticaStudia Logica, ou Journal of Philosophical Logic lui confèrent aujourd’hui une renommée internationale.

Commentaires

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Celi

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