Économie Le 24 janvier 2014

L’argent physique, une espèce en voie de disparition?

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L’argent physique, une espèce en voie de disparition?

Hajo de Reijger

Une évolution très pernicieuse est en train de se produire et il est inquiétant d’observer que seuls quelques bloggeurs avertis ou une poignée d’économistes engagés hésitent à en parler alors que les conséquences d’un tel phénomène mettent en péril la sécurité financière de tous; la disparition lente et inexorable de l’argent physique.

D’année en année, nous avons assisté à la multiplication des possibilités de paiement virtuel comme la carte de crédit, le paiement par SMS, le débit direct, etc. Cet essor des moyens de paiement s’est accompagné d’une expansion des lieux offrant ce nouveau type de services, favorisant ainsi toujours plus la voie à la dépense compulsive. Pour bon nombre d’entre nous, ces inventions ont rimé avec plus de sécurité et plus de facilité. Il faut mentionner que cette transition ne repose pas seulement sur le laissez-faire des citoyens ; nombreuses sont les mesures en vigueur qui visent à limiter, voire restreindre, l’utilisation d’argent liquide. Dernier exemple en date, l’interdiction par le gouvernement espagnol des transactions en cash excédant les 2 500 euros.1 Moins spectaculaire, mais tout aussi inquiétant, pensons aux limites de retrait imposées par les banques, la Poste,2 ou aux remboursements de prestations où le paiement en liquide est graduellement proscrit, sous prétexte de lutte contre l’argent sale.

Ce boom des paiements électroniques a de quoi ravir les institutions bancaires et les émetteurs de carte de crédit, car contrairement à l’argent liquide, le paiement électronique implique des frais d’activation et de garde. Plus spécifiquement, pour les banques, la diminution de l’argent liquide suppose moins de clients aux guichets et donc moins de personnel à embaucher pour s’en occuper. Ceci, tout en observant une augmentation de leur revenu. Par conséquent, l’argent virtuel n’offre que des perspectives de recettes supplémentaires aux institutions économiques, ce qui explique peut-être l’ampleur et la vitesse de la transition.

Les gouvernements sont également satisfaits de cette évolution ; ils y voient l’outil idéal leur permettant d’éradiquer toute l’économie cachée, celle qui opère « au noir ». C’est une occasion unique de pouvoir garder un œil sur la fortune de leurs concitoyens. En effet, le paiement électronique nécessite un compte en banque (je fais ici exception des Bitcoins !), qui doit être déclaré au Fisc. En outre, si l’argent palpable disparaît pour faire place au seul argent virtuel, alors la traçabilité de l’argent se trouve substantiellement accrue. A priori, cette image n’a rien de pénalisant, bien au contraire. Si l’on écoute le discours dominant, la traçabilité de l’argent permettrait de démanteler plus efficacement les trafics illégaux et d’empêcher l’évasion fiscale.3 Évidemment, je ne m’oppose pas à ces progrès, mais ce qui est dérangeant c’est la vulnérabilité qu’implique la disparition de l’argent matériel pour tout individu.

En 2013, plusieurs événements liés à la crise de la dette ont marqué les esprits, mais l’un d’entre eux m’a particulièrement indigné : la ponction soudaine mais surtout illégale de 6.75% de tous les comptes de la Banque de Chypre avec un montant inférieur à 100 000 euros et une taxe de 9.9% des comptes supérieurs à 100 000 euros.4 Cette mesure s’inscrivait dans le plan de sauvetage de Chypre et avait par conséquent été élaborée et imposée par l’Union européenne. Pour éviter que la mesure soit inefficace, l’Union européenne avait pris grand soin d’annoncer la ponction la veille d’un jour férié, prenant ainsi les Chypriotes en otage. La forme et le fond du prélèvement avaient suscité de nombreuses polémiques, mais en définitive, les Européens n’étaient pas montés au créneau se persuadant qu’il s’agissait d’une mesure de dernier recours pour un cas extrême qui ne pourrait se produire chez eux.

Quelle naïveté !

L’expérience chypriote n’était selon moi en rien un cas isolé. Il s’agissait plus sûrement d’un ballon d’essai pour les futures ponctions à venir. En effet, les niveaux de dettes des pays avancés sont beaucoup trop élevés pour être amortis par la seule réduction des dépenses publiques ou une augmentation des taxes. La croissance économique seule ne permettra pas de régler le problème par une ponction suffisante des recettes sur un long terme. Par conséquent, l’unique réponse permettant d’éviter des défauts de paiement successifs se trouve dans l’épargne privée.5 En octobre dernier, le FMI a d’ailleurs introduit l’idée d’une ponction généralisée à hauteur de 10% de tous les comptes épargne des pays surendettés.6 Bien évidemment, le FMI s’est gardé de faire de la publicité sur cette éventualité, mais cette annonce n’augure rien de bon. Il s’agit encore une fois d’un coup de semonce pour tester les réactions.

Il est de plus en plus clair que la situation économique actuelle ne pourra être résolue sans grands sacrifices et qu’un prélèvement de 10% de tous les comptes d’épargne doit malheureusement être pris très au sérieux. Une autre solution, également douloureuse, pour tous les rentiers existants et à venir, ou pour ceux qui ont leurs économies dans une assurance vie, sera le défaut sur les dettes souveraines, partiel ou total. En conséquence, le même individu pourra passer à la caisse plusieurs fois : à titre de déposant bancaire d’abord, (d’où l’intérêt de n’avoir plus que de l’argent électronique), à titre de retraité, actuel ou futur ensuite, car sa caisse de pension détient de la dette souveraine principalement, et enfin, au titre d’épargnant dans des instruments financiers qui ne pourront lui garantir le complément de revenu à sa retraite. De ce fait, lorsqu’on met cette sombre réalité en lien avec la disparition de l’argent liquide, on comprend bien vite le lien qui les unit et la vulnérabilité à laquelle chacun se trouvera exposé. Nous nous retrouverons dans la situation où notre gouvernement pourra se servir directement dans nos poches sans possibilité aucune de s’y soustraire. Enfin, rien ne nous garantit que le prélèvement ne se réitérera pas et que le montant saisi ne dépassera pas les 10% évoqués par le FMI.

Par conséquent, si l’on veut éviter d’être tondus sans limites, il faudra songer à investir dans des valeurs réelles (physiques), se battre pour le maintien de l’argent physique, mais surtout militer pour l’existence de monnaies virtuelles de type Bitcoin, échappant à toute influence étatique.

 

 


[1] White, T. , Spain Cash-Transaction Ban Begins as Rajoy Targets Tax Fraud,  19.11. 2012 [en ligne]. http://www.bloomberg.com/news/2012-11-19/spain-cash-transaction-ban-begins-as-rajoy-targets-tax-fraud.html, [consulté le 19.01.2014]

[2] Zaugg, C., La Poste: Payer avec de l’argent liquide, c’est bientôt fini!, 13.11.2013 [en ligne]. http://www.ghi.ch/le-journal/la-une/la-poste-payer-avec-de-largent-liquide-cest-bientot-fini [consulté le 19.01.2014]

[3] Migliaccio, A., Sirletti, S., Italy to Kick Cash Habit as Monti Cracks Down on Tax Evaders, 27. 12. 2011 [en ligne]. http://www.businessweek.com/news/2011-12-27/italy-to-kick-cash-habit-as-monti-cracks-down-on-tax-evaders.html [Consulté le 19.01.2014]

[4] Etwareea, R., Une ponction sur les dépôts bancaires ébranle Chypre, 18.03.2013 [en ligne]. http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f224e9e0-8f41-11e2-ba41-b448d514e21c/Une_ponction_sur_les_d%C3%A9p%C3%B4ts_bancaires_%C3%A9branle_Chypre [consulté le 19.01.2014]

[5] Rédaction Contrepoints, Pologne : main basse de l’État sur les fonds de pension privés, 07.09.2013 [en ligne]. http://www.contrepoints.org/2013/09/07/138242-ofe-pologne, [consulté le 19.01.2014].

[6] Garessus, E.,  Une taxe de 10% sur le capital pour résoudre la crise de la dette?, 06.11.2013. http://www.letemps.ch/Page/Uuid/81d71c56-4640-11e3-8c30-9d909737d395/Une_taxe_de_10_sur_le_capital_pour_r%C3%A9soudre_la_crise_de_la_dette, [consulté le 19.01.2014]

 

Commentaires

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Hugo Pereira

De mon point de vue, la conclusion sonne comme une oxymore. En mettant de côté la spéculation et les divers…

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CA

Il me semble que les questions de bases, quand on parle d'argent, ne sont pas abordées... -Qu'est-ce que l'argent ?…

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Hugo Pereira

De mon point de vue, la conclusion sonne comme une oxymore. En mettant de côté la spéculation et les divers taux d’intérêt, la valeur des monnaies virtuelles comme Bitcoin n’ont aucunes valeurs intrinsèques ; cette dernière est uniquement basée sur un processus algorithmique. Alors que la valeur des monnaies « étatiques » sont quand à elles basées d’une part sur la crédibilité et les actions de la banque centrale ainsi que sur les actifs qu’elles possèdent (actions, obligations, matières premières) qui sont quant à eux bien réels. Donc, selon moi, l’argument prônant d’investir sur le réel fait échos de dissonance avec l’argument consistant à vouloir utiliser des monnaies virtuelles.

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CA

Il me semble que les questions de bases, quand on parle d’argent, ne sont pas abordées…
-Qu’est-ce que l’argent ?
-Sur quoi repose sa valeure ?
-Qui le fabrique?
-Comment l’émet-on?
-Pourquoi l’ensemble de la population ne réussit pas à acheter l’ensemble de sa production ?

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