Jet d'ancre sur Le 22 décembre 2020

Le garçon qui ne voulait que jouer au football

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Le garçon qui ne voulait que jouer au football

« Depuis sa mort, j’ai eu envie de retrouver ces gestes familiers, mais lointains : jongler, dribbler du pied gauche et l’imiter une fois encore, comme je le faisais il y a 30 ans. » Le décès de Diego Armando Maradona, le 25 novembre dernier, a fait retomber le sociologue Daniel Burnier en enfance, où il nous amène dans cet article.


 

Diego Armando Maradona ne peut plus jouer. Le 25 novembre 2020, la nouvelle de sa mort en Argentine a fait le tour du monde. Elle est arrivée jusqu’à moi comme une vague qui m’a submergé de souvenirs et d’émotions venus du pays de l’enfance.

Quand j’avais 10 ans, Maradona était mon idole. Dans notre album Panini de la Coupe du monde 1986 au Mexique, mon grand frère avait écrit sous sa photo, entre Burruchaga et Bochini : « meilleur joueur du monde ». Il était petit (1m65) et malin, charismatique aussi, et incarnait le talent, la maîtrise absolue du ballon rond. Avec le recul des années, je dirais qu’il représentait surtout le plaisir, la passion et l’amour du football. Un amour qui a rendu tellement de gens heureux.

Tous les footballeurs en herbe du monde ont essayé à un moment d’imiter ses gestes. Tous voulaient avoir le numéro 10 sur leur maillot. J’ai passé d’innombrables heures à taper dans un ballon. Enfant, je ne voulais pas venir manger, car, disais-je à ma mère, je « perds du temps pour jouer ». Jouer au football. Il y avait pourtant déjà des malheurs et un peu de tristesse dans cette enfance-là, mais ce temps passé avec le ballon – souvent un Adidas « tango », taille 4 – était comme préservé, sans tâches. Le plaisir de marquer, de faire une belle passe ou le plus souvent de jongler, de renvoyer la balle contre un mur était pur. « Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus », a écrit Marcel Proust. Avec la mort de Maradona, une partie de ce paradis enfantin s’est détachée de moi.

 

Rêver football

Le football, dans toutes les cours de récréation, sur tous les terrains vagues du monde, fait encore rêver. Les artistes n’ont pas encore disparu des terrains. Messi, Neymar et Ronaldo jouent encore. Il y a même un vieux Suédois qui fait de la résistance. Certes, Ronaldinho, le dernier fou à s’être rapproché des plus belles danses de Maradona sur le terrain et en dehors, a remisé ses crampons. Le football des grands a perdu en folie ce qu’il a gagné en maîtrise, en calcul. Un véritable désenchantement.

Je me demande néanmoins si ce diagnostic pessimiste n’est pas influencé par le vieillissement de celles et ceux qui l’établissent. Sommes-nous devenus trop sages pour percevoir la folie, trop compliqués pour apprécier la simplicité du jeu ou trop vieux pour ressentir les émotions du football ? Tous les grands enfants rieurs du monde – comme ce gamin en or qui a grandi dans le bidonville de Villa Fiorito et qui sourit encore à l’hôpital sur sa dernière photo publique – doivent encore être capables de pleurer de joie lors d’un grand match, quand le ballon franchit la ligne et vient caresser les filets adverses.

Je crois que ce lien émotionnel fort avec l’enfance et le ballon existe encore en chaque adulte amateur de football. L’émotion planétaire provoquée par la mort de Maradona nous montre que l’enfant en nous n’était qu’endormi. Il faut le réveiller. Lacets défaits, comme Maradona dans son célèbre échauffement lors d’une demi-finale de coupe UEFA en 1989, cet enfant peut encore nous aider à trouver de la beauté et de la passion pour le beautiful game.

 

Mi-homme, mi-dieu

Diego était le « plus humain des dieux », avait si justement écrit l’écrivain et journaliste uruguayen Eduardo Galeano. Un vrai dieu grec alors ! Créateur et capable de faire basculer un match ou un destin, jaloux, colérique et tricheur, faible et puissant à la fois – tout aussi ballotté par le destin que les hommes. Humain, trop humain, Diego.

En 2001, à l’occasion de son jubilé dans la bien nommée « boîte à bonbons » (la Bombonera) du Boca Juniors, il reconnaissait en pleurant ses erreurs personnelles. Devant ses milliers de fans, il disait aussi, se donnant une étreinte à lui-même, que le football était le plus beau sport du monde et que le ballon ne pouvait être sali (« La pelota no se mancha »). Toutes ces heures heureuses de mon enfance que je lui dois, personne non plus ne peut les salir.

Depuis sa mort, j’ai eu envie de retrouver ces gestes familiers, mais lointains : jongler, dribbler du pied gauche et l’imiter une fois encore, comme je le faisais il y a 30 ans. Dans son discours d’adieu, il affirmait aussi : « J’ai toujours essayé de prendre du plaisir lorsque je jouais au football et j’ai toujours essayé de vous rendre heureux. Je crois que j’ai réussi… » Oui Diego, tu as si bien réussi cela ! Merci ! Quel plaisir tu as donné à cet enfant que je n’ai cessé d’être, ce garçon qui ne voulait que jouer au football. Comme toi.

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