Jet d'ancre sur Le 4 novembre 2020

Makalé Traoré ou l’audace d’espérer

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Makalé Traoré ou l’audace d’espérer

Makalé Traoré © mosaiqueguinee

Candidate malheureuse à l’élection présidentielle qui s’est déroulée le 18 octobre 2020 en Guinée, le docteur Makalé Traoré a marqué les esprits avec son projet de refonte de la société guinéenne. Selon Zié Oumar Coulibaly, elle promeut des valeurs progressistes qui encouragent le changement dans un continent où le droit de rêver n’est presque plus permis. Voici son portrait qui souligne sa détermination, ses choix de carrière, et son projet de société novateur et hors du commun.


 

L’Afrique de l’Ouest vit actuellement une série d’élections présidentielles dont l’issue pourrait voir émerger de nouveaux chefs d’États : la Guinée et la Côte d’Ivoire en octobre, le Burkina Faso en novembre, le Ghana et le Niger en décembre. Si dans certains pays les électeurs se préparent à faire le choix de reconduire ou non le président sortant, dans d’autres le problème se pose différemment. C’est le cas de la Guinée, où malgré la polémique concernant les velléités du président sortant de briguer un troisième mandat, les élections présidentielles du 18 octobre 2020 ont bel et bien eu lieu provoquant une violente crise postélectorale. Depuis 2010, une constante demeure : le Président sortant Alpha Condé défie, parmi treize candidats, M. Cellou Dalein Diallo, le président du principal parti de l’opposition, l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG).

Pourtant, la donne a changé en 2020 ! Le contexte sociopolitique actuel ne semble plus être dominé par une ou deux personnalités, tant les Guinéens restent insatisfaits du manque d’initiatives et de résultats de la classe politique dirigeante. Parmi les onze hommes et deux femmes candidats à l’élection présidentielle de 2020, on a l’impression que le seul grand favori est l’aspiration du peuple au changement : un changement de gouvernance, un changement de génération, un changement de vision.

Alors que les résultats officiels de l’élection présidentielle n’avaient pas encore été promulgués par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), M. Cellou Dalein Diallo s’est autoproclamé vainqueur de l’élection présidentielle, déclenchant de facto une confusion totale. Dans l’attente d’un dénouement apaisé à ce qui semble être une longue crise postélectorale, on constate que les projecteurs sont exclusivement tournés vers les deux mêmes protagonistes, excluant injustement les autres prétendants. Parmi eux, la personnalité de Makalé Traoré s’est révélée tout au long de sa campagne, qu’elle a particulièrement bien dirigée.

 

Une femme déterminée

En 2010, Alpha Condé incarnait l’espoir et le changement. Son parti politique, le RPG, avait mené une campagne présidentielle qui a traversé le pays par une vague jaune, couleur symbolique de la formation. Fait singulier, cette campagne présidentielle innovante, enthousiaste et attrayante a été dirigée par une femme : le Docteur Makalé Traoré.

Tout d’abord universitaire puis Docteur en Droit, elle a enseigné à l’université de Montpellier avant de décider de rentrer en Guinée pour servir son pays. Elle a ensuite enseigné dans les universités guinéennes sans percevoir de traitement salarial pendant 10 ans. Elle est aussi une Cheffe d’entreprises et une farouche dirigeante de la société civile. Elle est enfin une femme politique, ancienne ministre de la Fonction Publique ; puis directrice de campagne du candidat Alpha Condé en 2010. C’est l’une des rares femmes africaines à avoir dirigé la campagne d’un candidat ayant gagné une élection présidentielle sur le continent. Obsédée par le souci d’apporter le changement en Guinée, elle a contribué à conquérir le pouvoir en 2010. Malheureusement, ses espoirs ont été rapidement déçus lorsque la gestion du pouvoir s’est éloignée rapidement du schéma proposé dans le projet de société qu’elle a défendu. Face à la désillusion, cette femme de poigne et de principes s’est réorientée pour s’engager activement sur le terrain de l’action et mener d’autres combats.

 

Des choix de carrière audacieux

Son action en tant qu’activiste a commencé en 2011, après sa rupture avec le président Alpha Condé. Elle a décidé de servir l’intérêt général en assistant les femmes et les jeunes pour les amener à réussir leur insertion professionnelle. Cette phase de sa carrière a contribué à faciliter sa proximité avec le peuple et surtout à façonner sa capacité à traduire les besoins des populations en termes de politiques publiques pragmatiques, orientées vers des résultats concrets.

Ses actions couvrent notamment l’autonomisation des femmes, la scolarisation des jeunes filles, la lutte contre les violences basées sur le genre, la promotion de la paix et la concorde sociale, entre autres. C’est une femme d’action au service des plus faibles à qui elle donne de l’espoir en posant des actes concrets. En un mot, elle les accompagne jusqu’à ce qu’ils retrouvent leur dignité. Ses actions pour l’autonomisation des femmes lui ont valu d’être plébiscitée à la tête de deux influentes ONG : elle est à la fois présidente du « Réseau des Femmes Africaines Ministres et Parlementaires de Guinée » (REFAMP) et de la « Coalition des Femmes et Filles de Guinée » (COFFIG).

 

Un projet de société hors du commun

Son projet de société est porté par le PACT (Parti de l’Action Citoyenne par le Travail), son parti politique, qui propose un contrat social au peuple guinéen en les invitant à repartir sur de nouvelles bases. Les propositions sont concrètes et répondent exactement à des besoins essentiels, longtemps ignorés par les dirigeants politiques. Quelques exemples : la proposition de la création d’une « Caisse Nationale pour l’Egalité des Chances », qui se décline en plusieurs aides destinées aux couches sociales les plus défavorisées. On peut citer en particulier le « Fonds de Sécurité Sanitaire des Femmes », qui est une prise en charge complète et gratuite des femmes durant toute leur grossesse. Car en Guinée, cette aide est salvatrice dans le domaine de la maternité, où le taux de mortalité tend à augmenter considérablement. Pour permettre aux enseignants et au personnel de santé d’être des propriétaires immobiliers, le « Fonds d’aide à l’acquisition de terrains viabilisés » est une espèce de pension complémentaire pour motiver une catégorie professionnelle tellement indispensable. À l’endroit de la diaspora, elle propose pour la première fois un cadre de dialogue institutionnel et une politique de réinsertion des Guinéens de la diaspora sur le plan national.

En fait, les électeurs guinéens, habitués à des propositions générales et abstraites, découvrent une forme de simplicité, de pragmatisme et de proximité dans sa démarche. C’est en cela qu’elle est audacieuse, car elle s’éloigne avec une aisance qui lui est propre des liens ou des habitudes inutiles et inefficaces. Tout est abordé avec simplicité, mais avec une grande lucidité, pour apporter les solutions afin de lutter contre les maux récurrents de la société guinéenne : la dégradation du système éducatif, la faiblesse du système de santé, la marginalisation des plus démunis, l’ethnocentrisme, le chômage, le manque de politique d’insertion de la diaspora, l’inefficacité de la formation des élites. Liste non exhaustive. Il s’agit bien là d’un projet de société.

 

Héritière d’une lignée de femmes guinéennes d’exception

La femme a toujours occupé une place importante dans l’histoire de la Guinée. La légende associe la formation de l’État moderne à une tradition qui veut que le mot « Guinée » vienne du soussou, une des langues du pays. À des marins portugais qui leur demandaient le nom du lieu où ils débarquaient, des habitants de la côte, comprenant la question de travers, auraient répondu qu’elles étaient des femmes (djiné). Associée à cette valeur symbolique et historique, la femme guinéenne a toujours été un acteur déterminant dans la construction de la nation.

Les figures influentes du premier régime comme Mafory Bangoura1 ou Jeanne Martin Cissé2 ont contribué à créer le lien fort entre le destin du pays et l’implication des femmes dans la gouvernance. Présidente du Conseil National de Transition en février 2010, Rabiatou Serah Diallo3 a brillamment contribué à jouer un rôle d’arbitre pour gérer la transition vers un régime démocratique. Aujourd’hui, Makalé Traoré veut continuer à tenir haut le flambeau pour contribuer à apporter le changement en Guinée.

Sa candidature va au-delà de la promotion du genre féminin. Elle s’est largement inspirée du combat de ses illustres aînées pour faire un diagnostic rigoureux de la société guinéenne. Pour bien préparer son projet de société, elle a parcouru le pays et s’est impliquée dans plusieurs projets de développement auprès des plus démunis et auprès des institutions publiques et privées. Elle a été, pendant ses tournées, un acteur pour la préservation de la paix. Makalé Traoré s’est servie de toutes ses vies (universitaire, technocrate, cheffe d’entreprise, actrice de la société civile, politicienne) pour définir une vision de développement claire, ambitieuse et réaliste pour la Guinée.

 

Une vision de développement novatrice

Pour Makalé Traoré, une société en construction, qui n’a pas su poser depuis longtemps les fondamentaux d’un État moderne, a besoin de repères forts. Les Guinéens espéraient franchir un véritable palier avec la gouvernance du président Alpha Condé. Ils espéraient que le pays se dote des fondamentaux nécessaires pour affronter les défis du développement socio-économique. Malheureusement, ni le niveau du système éducatif, ni celui de la santé, ni même celui de l’emploi ont atteint un minimum de décence, comme l’attestent les indicateurs de développement humain (IDH).

Makalé Traoré a une vision simple pour transformer la Guinée. Sa vision s’inspire de la pyramide des besoins selon Maslow4. Pour elle, il faudrait définir une hiérarchie des priorités parce que l’objectif d’une gouvernance en Guinée est d’offrir les fondamentaux d’une vie décente à la population. Pour un peuple très majoritairement analphabète avec des frustrations profondes qu’accentuent gravement les inégalités, il est nécessaire de définir des paliers de développement et de les franchir progressivement. Elle considère que les besoins primaires sont fondamentaux.

 

« Se nourrir, se loger, se soigner, se former, se vêtir, se déplacer sont fondamentaux. Ce sont ces domaines qu’il faut attaquer en premier lieu. Je pense qu’un pouvoir doit avoir en ligne de mire ces objectifs-là. Après viennent les infrastructures et tout le reste. Pourtant en Guinée, tout semble prioritaire en même temps. Ce qui est complètement impossible. Il faut prioriser les priorités.5 » Makalé Traoré

 

Le choix de l’audace ne serait-il pas cette solution mesurée et progressive pour redresser la Guinée qui a connu tant de peines et de controverses ? Une chose est sure, la candidature de Makalé Traoré a le mérite de proposer un projet de société dans lequel se reconnaissent les jeunes et les femmes. La particularité de ses propositions tient au fait qu’elles répondent exactement aux besoins des Guinéens. Ils se reconnaissent facilement en elle car porteuse de propositions concrètes. Pour apporter le changement en Guinée, sa démarche consiste à remettre de l’ordre dans le pays et faire naître l’espoir face aux graves tensions qu’il traverse. La Guinée doit éviter de tomber dans le piège de la division nourri par l’ethnocentrisme. C’est pour cela qu’elle préconise de fédérer les Guinéens autour de nouvelles valeurs citoyennes afin de reconstruire une nation rassemblée et plus forte. Le « Guinéen nouveau » qu’elle veut contribuer à construire découle de cette volonté. Sa proposition faite au peuple guinéen de choisir une autre voie pour le pays résonne beaucoup plus fort maintenant, au moment où le pays est confronté à une violente crise postélectorale dont les germes prennent essence dans la perpétuelle et fratricide rivalité entre le président sortant M. Alpha Condé et le leader de l’opposition M. Cellou Dalein Diallo.

 


Références :

1. Héroïne de la lutte pour l’indépendance et femme politique. Elle est issue d’un milieu rural et illettré.

Figure emblématique du progressisme, elle a été ministre des Affaires sociales dans les années 1970.

2. Femme politique des premières heures, enseignante et diplomate. Elle fut en 1972 la première femme à présider le Conseil de Sécurité des Nations unies et ministre à la fin des années 1970.

3. Syndicaliste, première femme africaine à accéder à la direction d’un syndicat national. Elle a organisé la grève générale en Guinée en 2007. Ancienne présidente du Conseil national de la transition et actuelle présidente du Conseil économique et social.

4. Classification hiérarchique des besoins humains. On passe au besoin supérieur quand le besoin de niveau immédiatement inférieur est satisfait.

5. Programme de Gouvernance : www.drmakaletraore.com

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