Genre Le 17 février 2020

Persécuté·e en raison de son orientation sexuelle et de son identité de genre : un motif d’asile à défendre

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Persécuté·e en raison de son orientation sexuelle et de son identité de genre : un motif d’asile à défendre

© Couleur, Pixabay

Jet d’Encre vous présente la quatrième et avant-dernière plaidoirie du concours d’art oratoire pour « les droits humains ». Amel Merabet prend son sujet, la discrimination liée au genre comme motif d’asile, à rebrousse poil et nous emmène dans un monde miroir dans lequel tous les repères s’inversent et rendent visible l’invisible.


 

Mesdames et Messieurs du jury,
Mesdames et Messieurs,

Ce soir, je vous propose une expérience.

Laissez-vous emmener, avec moi, dans une expérience de pensée. Imaginons, ensemble, un monde miroir où la réalité est inversée…

Pour commencer, je souhaiterais vous présenter des excuses, au nom du Festival Les Conservatives et de l’Association des Juristes Régressistes pour avoir manqué à notre engagement en faveur de la parité. Car ce soir, avec notre jury de prestige, c’est bien le féminin qui l’emporte.

Habituellement, ce n’est pas notre genre de sous-représenter les personnes déjà invisibilisées dans notre société. Alors que risquent de dire de notre panel les hommes cisgenres et hétérosexuels ? Pardon ? Vous ne savez pas ce qu’est « une personne cisgenre » ? Et bien, Mesdames et Messieurs, si vous avez le privilège de vous poser cette question, c’est que vous en êtes certainement une.

Mais aujourd’hui, dans notre monde miroir, vous appartenez à un groupe social persécuté…

L’hétérosexualité et la cis-identité sont réprimées puisqu’à teneur de l’article 347-1 du Code pénal suisse : « Est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de vingt mille à deux cent mille francs, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne [du sexe opposé] »1.

 

***

 

J’apprends à l’instant que des personnes homosexuelles et transgenres se sont glissées dans la salle… Vous pouvez rester… Ce soir, dans cet univers miroir, ce n’est pas vous qui allez devoir partir…

Mesdames et Messieurs hétérosexuel·le·s et cisgenres, je vais vous demander de bien vouloir garder votre calme. Je vois déjà quelques chaises vides.

J’ai été prévenue qu’une rafle allait avoir lieu lors du festival ce soir. Il est important que vous suiviez attentivement les consignes de sécurité que je m’apprête à vous donner. A tout moment maintenant la police va débarquer.

  • Conseil : Observez les sorties de secours et, utilisez-les.
  • Conseil : Dépêchez-vous de placer toute votre vie dans le fond du baluchon que nous mettons à votre disposition.
  • Conseil : Glissez-y un peu d’espoir, cela vous sera utile.
  • Conseil : Attrapez sous vos sièges vos bouées de sauvetage.
  • Conseil : Souhaitez bonne chance à votre voisin de siège, mais faites vite.
  • Conseil : Une fois sortis de ce Palais, n’espérez plus aucune justice.
  • Conseil : Une fois sortis de ces Bastions, rien ne doit plus transparaître de votre hétérosexualité. Piétinez une part de vous-même s’il le faut ; il en va de votre survie.

Mesdames et Messieurs, je vous souhaite bonne chance ; il vous faut maintenant y aller. Moi, je dois encore faire un petit détour le temps de ce discours.

 

***

 

Les rues de Genève ne sont plus sûres. Le climat y est hostile et froid ; tel le fleuve glacé dans lequel vous vous apprêtez à plonger. Cette descente aux enfers, c’est par le Rhône qu’elle sera la plus sûre.

Sur votre parcours, vous croiserez des embusques, rencontrerez des obstacles, cognerez des barrages – en béton et de police. Vous serez capturés. Violés. Libérés. Puis repris. Certains d’entre vous feront la tentative de cette descente 3 fois, 4 fois, 5 fois s’il le faut. Mais, rassurez-vous, la plupart d’entre vous seront épargnés par cette souffrance ; puisque la majorité, Mesdames et Messieurs, n’arrivera jamais à destination.

Accostage à Marseille ! Il faudra maintenant vous rendre sur une plage, payer un passeur et embarquer. Commence alors la longue traversée de la mer Méditerranée, où chaque jour plusieurs dizaines de Suisses meurent sur leurs embarcations de fortune.

« Une Mère endeuillée » qui avale dans son lit les enfants sombrant dans un profond et éternel sommeil bleu, déclamait le marin d’eaux-vives Seth Médiateur Tuyisabe. Dans les bras de votre Mère, plongés sous les flots incolores de ses larmes salées, vous pleurerez vos derniers rêves échoués. Pour ceux qui se réveilleront de ce cauchemar ? Vous en aurez pour seuls souvenirs des appels à l’aide, des cris de douleurs, de fureur, de rage et de pleurs.

Des cris emportés par la houle qui vous transpercent et qui rejaillissent au fond de vous. Mais le son de votre voix s’étouffe dans le cri des autres et vous crispez vos poings maudissant la houle qui vous vole la vie de l’autre côté de la mer Méditerranée que vous vous étiez imaginée. Cette vie, la Mère s’est mise du côté des Hommes pour vous l’arracher. Elle tue indifféremment les hommes et les femmes en quête d’une vie meilleure, votre Mère. Elle ne plaidera pas le crime passionnel, la mer Méditerranée…

 

***

 

A la conquête de votre rêve de liberté à trente sur un zodiac gonflable vous apercevez aux premières lueurs le rivage de l’Algérie aux mille et un sourires…

Le bateau accoste. Vous vous approchez géographiquement de votre terre de liberté. Et la première vision de votre destination rêvée ? Ce sont des barbelés.

Commence alors votre survie sous les ponts d’Alger…Une vie clandestine, qui se jouera comme au Monopoly.

La règle du jeu est simple : ne pas se faire attraper. Le but ? Gagner le statut de réfugié à l’issue de la partie. Faites attention lorsque vous jetterez les dés de votre destinée : évitez à tout prix la case prison. Prenez garde également à la carte malchance et son retour à la case départ – fusse-t-il prévu par vol spécial.

 

***

 

Expulsés aux portes du Sahara, vous pleurerez la sécheresse de ces cœurs insensibles à votre sort malheureux. Vous traverserez le Niger, puis le Nigéria. On vous poussera hors du camion. Vous vous ferez violer. Mais courage ! Vous y êtes bientôt.

Durant cette traversée du désert, je vous souhaite de croiser des cœurs habités par la chaleur humaine, car dans votre vie il fera froid.

Ces élans de solidarité vous permettront de garder l’espoir. Tout cette souffrance pour une question d’orientation sexuelle et d’identité de genre, penserez-vous.

Après la rosée des larmes, l’arc-en-ciel brille – vous en êtes certains.

 

***

 

Arrivés au Cameroun. Enfin, la terre d’asile dont vous rêviez tant ! L’accueil n’est pas comme vous l’aviez imaginé. Vous pensez déjà être réfugiés ; vous êtes en réalité clandestins. On vous fouille, on vous examine, on vous désinfecte. Vous refusez de signer des papiers car vous ne les comprenez pas ? On les signera à votre place…

Entassés dans le bus qui vous mènera jusqu’à votre centre d’hébergement, vous franchissez la capitale Yaoundé. Par la fenêtre, au milieu de la foule compacte, vous croisez le regard hostile d’un homme : sur la pancarte qu’il tient entre ses mains il est inscrit : Rentrez chez vous !

Rentrez chez vous…

Mais chez moi, Monsieur, on emprisonne et on tue les gens comme moi. Si je suis là, c’est que je ne peux être ailleurs.

Vous dites, Monsieur, que je devrais rentrer chez moi. Mais je n’ai plus de chez moi. Du moins ce qu’il en reste ce sont quelques souvenirs enfouis dans le fond de ma mémoire. Habite-t-on des souvenirs, Monsieur ?

Mon chez-moi, je le demande chez vous. Le voyage que j’ai fait ? C’est un voyage dont on ne revient pas après quelques jours au soleil.

Vous voudriez que je retourne en arrière ? Mais vous ne savez pas, Monsieur, quel enfer il y a derrière moi.

 

***

 

« J’ai été persécutée en raison de mon orientation sexuelle et de mon identité de genre – et je demande l’asile sur ce fondement ! ». Voilà la première phrase que vous prononcerez dans le centre d’enregistrement pour requérants d’asile de Yaoundé.

Vous devrez dire :

  • Je cours un grave danger en Suisse parce que je suis attirée par des personnes du sexe opposé ;
  • Je suis persécutée personnellement en Suisse pour y avoir affiché mon hétérosexualité et ma cis-identité ;
  • Pour cette raison, dans mon pays d’origine, de mort j’ai été personnellement menacée ;
  • J’ai fui la Suisse en y laissant toute ma vie, je n’avais d’autre choix que de la quitter.

Vous serez ensuite auditionnés par le Secrétariat d’Etat aux Migrations camerounais qui vous demandera vos motifs d’asile. C’est l’étape fondamentale de votre procédure.

Vous devrez raconter d’une voix vive, complète et détaillée, comment votre amour a été réprimé.

Vous n’aurez d’autre choix que de partager les moments les plus intimes de votre vie entre vous, un interprète et une administration qui reste à convaincre. Gare aux imprécisions : ici le doute ne profite pas au réfugié.

Vous allez devoir leur expliquer ce que c’est que de vivre son orientation sexuelle et affective dans un pays où elle est pénalement réprimée.

« Madame, vous avez eu des relations hétérosexuelles ? Oui ? Êtes-vous en mesure de le prouver ? »

Comment leur prouver des sentiments que j’ai éprouvés et que toute ma vie j’ai été contrainte de cacher… ?

« Madame, vous ne m’avez pas l’air vraiment hétérosexuelle… »

Je ne sais plus quoi leur répondre. Vous me donnez la parole…

Je dois dire maintenant mes souffrances. Mais attention ! Soyons clairs, je ne quémande pas la pitié. Je suis à la recherche d’une protection.

Dois-je leur dire ce que c’est que de se sentir à l’étroit dans sa peau ?

Dois-je leur dire que toute ma vie je me suis sentie vide ?

Dois-je leur parler du viol collectif punitif dont j’ai été la victime ?

Dois-je leur montrer les strangulations autour de mon cou ?

Veulent-ils voir, le temps d’un soir, ce que c’est que le visage du désespoir ?

J’attends leur prochaine question.

Mon cœur se fane à écouter la litanie de mon existence minable déflorée entre ces hauts murs lambrissés.

J’attends qu’ils me posent leur prochaine question.

Tout le monde parle, tout le monde s’agite. J’ai comme l’impression d’être au dernier rang de ma vie. Comme les mauvais élèves. Alors je repense à l’école. Je repense au recueil de Victor Hugo « Actes et paroles depuis l’exil» . Un passage prend tout son sens maintenant que j’attends : « Je suis le criminel dont le crime est décrété par le législateur, délibéré par le juré, ordonné par le juge, consenti par le prêtre, gardé par le soldat, contemplé par le peuple ».

J’attends leur prochaine question.

Je me dis que la vie n’est qu’un immense théâtre…

J’attends leur prochaine question.

Et vous, qu’attendez-vous ?

 

 


1. Il s’agit en réalité d’un détournement de l’art. 347-1 du code pénal camerounais qui réprime de l’emprisonnement et de l’amende toute personne qui a des rapports sexuels « avec une personne du même sexe ».

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