Société Le 19 août 2019

Il ne faut pas avoir peur de Greta Thunberg

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Il ne faut pas avoir peur de Greta Thunberg

Greta Thunberg, devant le Parlement suédois. © Anders Hellberg

L’activiste climatique Greta Thunberg est attaquée avec force par ceux qui refusent de voir la réalité du réchauffement en face. Mais il faut considérer la transition écologique comme une chance plutôt que comme une calamité, argue Benjamin Keller dans ce texte engagé.


 

« D’abord ils vous ignorent. Ensuite ils vous ridiculisent. Et après, ils vous attaquent et veulent vous brûler. Mais ensuite, ils vous construisent des monuments. » Cette maxime énoncée par le syndicaliste américain Nicholas Klein en 19181 s’applique parfaitement à Greta Thunberg. La militante du climat n’en est plus vraiment au stade d’être ignorée, mais elle devra encore patienter un peu pour les monuments. Après sa mort, peut-être, s’il reste quelqu’un pour en bâtir.

Pour l’instant, les attaques pleuvent. On l’accuse d’être « manipulée », « hystérique », « mal informée », « trop jeune », « obsédée par le CO2 ». On lui reproche sa vision « apocalyptique » et « totalitaire ». Le conseiller national UDC Roger Köppel craint l’instauration d’une « Klimadiktatur »2. Son collègue libéral-radical Philippe Nantermod redoute que « décroissance » rime avec « moins » : « Moins d’argent. Moins de santé. Moins de logements. Moins de voyages. »3 Ces inquiétudes sont compréhensibles, mais c’est oublier que nous vivons déjà sous une dictature, celle du capitalisme, et que la grande majorité possède bien plus qu’il n’en faut pour être heureux.

« La plupart des hommes […], par simples ignorance et erreur, sont si obnubilés de soucis illusoires et des durs et vains travaux de la vie qu’ils ne parviennent pas à en cueillir les plus beaux fruits », écrivait déjà le naturaliste américain Henry David Thoreau il y a plus d’un siècle et demi4. Rien n’a changé. Nous travaillons quarante heures par semaine et disposons de quatre semaines par an pour « recharger les batteries ». Nous déployons nos ordinateurs dans le train dès six heures du matin pour faire plaisir à notre employeur. Nous sommes recroquevillés sur nous-mêmes, éloignés des autres parce que nous n’avons jamais le temps.

« La planète avant le profit ». Photo: Markus Spiske

 

Du foie malade pour Noël

Et en quoi dépensons-nous l’argent péniblement gagné ? En objets superflus, avilissants et sans valeur, fabriqués en série par d’autres forçats à l’autre bout du monde. En coûteux leasings parce qu’il est exclu de prendre le bus. En week-ends EasyJet à Barcelone. En nourriture insipide et malsaine. Des leaders d’opinion comme notre cher conseiller fédéral socialiste Alain Berset aimeraient nous faire avaler que pour accéder au bonheur, il faut pouvoir se gaver de foie malade à Noël5.

Nos sociétés actuelles ressemblent à celle décrite par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes. On nous abreuve de jouissances immédiates et de superficialités pour compenser l’absence totale de sens. La consommation à laquelle on nous conditionne est notre Soma. Le manque et l’ennui sont devenus anxiogènes. Pour alimenter ce paradis artificiel, nous rasons les forêts, nous poignardons la Terre, nous empoisonnons l’air et nous exterminons toutes les espèces vivantes, y compris la nôtre. La Nature, dont nous sommes coupés, n’est qu’un lointain souvenir. Il y a longtemps qu’un frêne a cessé d’être un frêne et qu’une grive a cessé d’être une grive.

Le paradoxe, c’est que ce système basé sur l’isolement et la déprédation ne semble satisfaire presque personne. « C’est fou comme les gens veulent vivre autre chose », m’a confié récemment un proche après m’avoir proposé presque sérieusement de me lancer avec lui dans le maraîchage. Personne n’a envie de gâcher sa journée devant un écran. Personne ne souhaite que les macareux disparaissent sous l’effet du réchauffement. Tout le monde aime les arbres, les paysages préservés, l’air pur et les animaux. J’ai vu dans la ville où j’habite un cycliste interrompre sa route pour venir en aide à un rat pourchassé par un corbeau. Il ne se serait probablement pas arrêté pour un mendiant en haillons.

Un macareux moine photographié aux Îles Féroé. Photo: Tomáš Malčo Malík

 

Changer de système

La transition écologique est l’occasion de changer radicalement de système, pour le meilleur. Loin d’être une calamité qui nous privera de nos libertés et abaissera notre niveau de vie, elle a le potentiel de nous libérer de nos chaînes et d’accroître notre bien-être ; parce qu’elle nécessite forcément de nous reconnecter avec nous-mêmes et de revenir à plus de sobriété. Loin d’accroître les inégalités, elle a le potentiel de renforcer l’égalité et la solidarité entre les citoyens ; parce qu’elle nécessite forcément un effort collectif. Loin de détruire la société, elle a le potentiel de raviver l’esprit de communauté ; parce qu’elle nécessite forcément d’inventer de nouvelles formes de vivre ensemble et d’agir d’abord au niveau local.

Cela ne veut pas dire que nous devons jeter toutes nos découvertes et inventions à la poubelle et retourner dans nos cavernes. Nous devons mettre ces innovations à notre service, plutôt que de nous y soumettre. Un exemple concret : l’agriculture. Etranglés par le libre-échange et les grands distributeurs, les paysans sont nombreux à finir une corde autour du cou. En favorisant les circuits courts, en misant sur la qualité, en diversifiant les cultures et en utilisant à bon escient les connaissances et outils dont nous disposons aujourd’hui, nous serions pourtant capables de développer une agriculture durable et de proximité qui profiterait à la fois aux producteurs et aux consommateurs. Des pionniers se sont déjà engagés sur cette voie.

Nous voyagerons moins en avion ? Tant mieux ! Voyageons mieux. Je suis un jour parti deux semaines en Thaïlande pour célébrer le mariage d’un ami avec une femme originaire de ce pays. A mon retour, je n’avais plus un sou et qu’une seule envie : repartir me faire un shoot d’exotisme à Bangkok. Si je retourne en Asie un jour, ce sera en train. Je prendrai le temps de voyager vraiment. Nous mangerons moins de viande ? Tant mieux ! Mangeons mieux. Je suis personnellement devenu végétarien il y a trois ans. Je dépense moins, je cuisine davantage, de manière plus créative et j’ai découvert un tas de nouveaux aliments. En plus, je fais souffrir moins d’animaux.

De toute façon, nous n’avons pas le choix. Les conséquences du réchauffement climatique seront bien pires que la perte des faux avantages matériels et privilèges dont certains croient encore profiter. Elles bouleverseront entièrement nos existences. Alors plutôt que d’essayer vainement de nous adapter quand il sera trop tard, rejetons le culte de l’abondance et du chacun pour soi et transformons dès maintenant la menace qui nous guette en opportunité pour mettre en place un monde nouveau basé sur l’amour, le respect et la solidarité. Ne le faisons pas seulement pour l’avenir, mais pour le présent.

 


1 https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux-numerique/la-phrase-que-n-a-jamais-prononcee-gandhi_1777763.html

2 https://twitter.com/KoeppelRoger/status/1128618677123932161

3 https://www.letemps.ch/opinions/mordre-media-me-publie

4 THOREAU Henry D., Walden. Le mot et le reste, Marseille, 2017, p. 14.

5 https://www.24heures.ch/suisse/foie-gras-pourrait-interdit-suisse/story/24929577

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