Genre Le 10 novembre 2015

Le harcèlement de rue, cette banalité qui nous pourrit la vie

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Le harcèlement de rue, cette banalité qui nous pourrit la vie

© Association MILLE SEPT SANS

Vendredi 30 octobre, vers deux heures du matin, je rangeais le bar dans lequel je travaille. Trois hommes ivres buvaient leurs dernières bières, jusqu’au moment où l’un d’entre eux me demande si je suis célibataire. Je réponds poliment que non. Après quelques phrases échangées sur l’adultère et autres bêtises, il me lance : « bon, on peut te niquer ? ».

Face à mon air outré et fâché, lui et ses acolytes se mettent à rire et ne semblent pas comprendre quel est le problème. Je les ai renvoyés chez eux, en soulignant que ce n’était pas normal ni acceptable de tenir des propos pareils. Sur le moment, ce manque de respect m’a réellement heurtée et fâchée, puis j’ai regretté de ne pas avoir mieux réagi. Ce genre d’anecdotes me conforte dans mon combat contre le harcèlement de rue et me motive à faire connaître MILLE SEPT SANS, une association que j’ai co-fondée à Fribourg cette année.

 

Harcèlement de rue, whut ?

Le harcèlement de rue peut se définir comme une sollicitation non désirée d’un individu envers un autre. Celle-ci se manifeste sous la forme de bruitages, de regards, de gestes, de remarques ou d’insultes qui importunent, voire dénigrent, un individu. Toute sollicitation à caractère sexuel relève du harcèlement de rue. Le terme « harcèlement » est employé parce que ce phénomène peut se répéter – plusieurs fois par jour, semaine ou mois1 – jusqu’à en devenir pesant pour la personne harcelée. Il ne s’agit pas d’une sollicitation individuelle perpétrée par une personne, mais bien d’interactions répétées et imposées par des individus différents dans une durée limitée.

Le harcèlement de rue émerge par définition dans la rue, mais il peut s’étendre à tous les espaces publics comme les bars, les gares, les transports publics ou les centres commerciaux. Cette pratique instaure un climat de malaise, voire d’insécurité, pour les habitants d’une ville. Les victimes de harcèlement de rue ont tendance à se sentir sales, à se remettre en question et à modifier leur comportement ou apparence pour éviter d’y être confrontées à nouveau.

 

« C’est juste de la drague de lourd quoi… »

Ben non. Il y a une différence toute simple entre le harcèlement de rue et la drague : le consentement des personnes impliquées. Dans une situation de drague, la personne abordée se montre consentante et ouverte à la discussion. Cela prend d’ailleurs place dans des lieux propices à la rencontre, comme les bars ou les clubs.

Le harcèlement de rue est une interaction imposée à une personne qui ne s’y attend pas et se montre fermée. On ne cherche pas à se faire draguer lorsque l’on se déplace pour aller travailler, par exemple. La distinction peut sembler subtile, mais elle est primordiale. L’espace public devrait être accessible à toutes et à tous et un déplacement dans la rue devrait être appréhendé de la même manière par tout le monde. Il est important de dénoncer le harcèlement de rue pour stopper sa banalisation.

Face à cette problématique, on entend dire que ce n’est pas grave, que ce sont des choses qui arrivent et que cela forge le caractère. Après tout, si une femme porte une minijupe, il faut qu’elle s’attende à des remarques, qui sont bien méritées d’ailleurs. C’est ce genre de réflexions qui dérangent et qui participent à la normalisation du phénomène. Chacun est libre de son corps et de ses dépacements. Un point c’est tout.

 

Buzz sur Internet

Si le harcèlement de rue existe depuis toujours, ce n’est que récemment qu’il a été mis en lumière. En 2012, la diffusion du documentaire de la Belge Sophie Peeters a secoué l’Europe sur cette problématique. Femme de la rue présente la réalisatrice se déplaçant avec une caméra cachée dans les rues de son quartier à Bruxelles. On découvre alors le nombre de remarques et d’insultes à caractère sexuel et sexiste qu’elle subit. Ce film a fait le tour de la Toile et a créé de forts remous menant à une mobilisation de plus en plus étendue à travers le monde.

Plusieurs projets ont été mis sur pied, notamment le fameux Tumblr Projet Crocodiles en France. Il s’agit de bandes dessinées mettant en scène des situations de harcèlement de rue et de sexisme, dans lesquelles les hommes sont illustrés par des crocodiles. Aux Etats-Unis, l’association Hollaback ! a diffusé en 2014 un film similaire à celui de Sophie Peeters, tourné uniquement dans les rues de New York. En Suisse, on retrouve principalement l’association romande Slutwalk Suisse. Constituée en 2014, elle organise des « marches de salopes » une fois par an et milite contre le slutshaming et le harcèlement de rue, entre autres.

 

MILLE SEPT SANS

logomilleseptsans

Pour défendre ces revendications de manière plus formelle, des amies et moi avons créé l’association fribourgeoise MILLE SEPT SANS au début de l’année 2015. Née suite à des discussions sur le sujet et un ras-le-bol généralisé, notre association est composée de bénévoles qui cherchent à sensibiliser au harcèlement de rue à Fribourg. D’où le nom, 1700 étant le code postal de la ville.

Nous réclamons une ville SANS harcèlement de rue. Le but principal de MILLE SEPT SANS est d’informer et de sensibiliser la population fribourgeoise2 au phénomène. Il est important d’éveiller les consciences et de dire : « Oui, ça existe en Suisse. Oui, ça existe même à Fribourg. Et non, ce n’est pas normal ». La première étape, pas des moindres, consistait en la création d’un site Internet réunissant toutes les informations nécessaires. Des définitions, des conseils, des témoignages, le tout avec une pointe d’humour et de l’interactivité. L’objectif est d’inciter les victimes à partager leurs histoires et les témoins à intervenir.

Le 8 octobre dernier, le site www.milleseptsans.ch a été lancé. Pour marquer le coup, nous avons placardé les panneaux d’affichage de la ville de remarques associées au harcèlement de rue (cf. photo). La démarche, volontairement « harceleuse », représente on ne peut mieux la problématique soulevée. Pour anecdote, une majorité des affiches a été arrachée (et non recouverte) dans les 24 heures. Comme quoi, on ne peut pas plaire à tout le monde.

Mis à part ça, nous sommes ravies de l’accueil qu’a reçu notre site Internet. Nous avons reçu de nombreux retours positifs, des encouragements pour la suite et des inscriptions de nouveaux membres. De plus, nous avons récolté huit nouveaux témoignages de harcèlement de rue via le formulaire de notre site, ce qui valide notre cause et nous motive à continuer.

© Association Mille Sept Sans

© Association Mille Sept Sans

 

« Mouais… encore un truc de féministes frustrées ! »

MILLE SEPT SANS ne se définit pas comme une association féministe. Certes, les membres actifs sont des femmes, mais nous ne partons pas en guerre contre les hommes. C’est un fait, le harcèlement de rue touche principalement les femmes et les personnes de la communauté LGBTQ. C’est un fait, les « harceleurs de rue » sont majoritairement des hommes. Ce sont les témoignages3 et les articles qui parlent.4 Aucune statistique n’est disponible actuellement, car il est rarement possible de porter plainte pour harcèlement de rue.

Cependant, nous sommes contre toute forme de généralisation et tenons à préciser que non, les hommes ne sont pas tous des porcs. Nous sommes conscientes qu’une grande partie des hommes ne cautionnent pas un tel comportement et qu’ils ne sauraient pas eux-mêmes comment réagir. Certains subissent probablement du harcèlement de rue aussi. Nous les invitons d’ailleurs à témoigner, montrer leur soutien pour notre cause et militer avec nous. Dans tous les cas, MILLE SEPT SANS cherche à éviter les catégorisations, qu’elles soient liées au genre, à l’origine ou à la classe sociale. Nous dénonçons la pratique en soi et défendons toute victime de harcèlement de rue.

Même si celui-ci n’est pas nouveau et semble habituel, il ne doit pas pour autant être considéré comme quelque chose de normal. Les causes explicatives du harcèlement ont trop souvent été reportées sur le comportement des victimes, qui ont majoritairement comme premier réflexe de se taire. Ainsi, pour trouver des solutions à cette problématique, la première étape consiste à en parler.

Biscuits

 

Plus d’infos :

Site Internet : www.milleseptsans.ch

Facebook : https://www.facebook.com/milleseptsans/

Instagram : https://instagram.com/milleseptsans/

 


1. Voire même par minute ou par seconde, lorsque des individus en groupe surenchérissent les uns après les autres, comme dans le fameux cas-cliché des sifflements au passage d’une femme.

2. Pour l’instant, nous sommes actives à Fribourg, ville natale de l’association. Puisque le harcèlement de rue est présent partout, nous espérons avoir un impact plus national, notamment grâce à notre communication sur Internet. L’idéal serait de donner envie à de nouvelles associations de se former.

3. Voir des témoignages sur http://harcelementderue.tumblr.com/ ou sur le site Internet de MILLESEPTSANS.

4.  Quelques exemples en vrac : https://www.migrosmagazine.ch/societe/reportage/article/harcelement-de-rue-lorsque-la-drague-se-fait-trop-lourde

http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/04/16/harcelement-de-rue-quand-on-est-une-femme-en-france-on-est-seule_4617354_3224.html

http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/04/16/le-harcelement-de-rue-c-est-notre-quotidien_4616724_3224.html

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