Tout a commencé il y a deux ans, lorsque je suis tombé par hasard sur une vidéo d’Alain Soral critiquant de manière virulente la finance internationale. Intéressant, stimulant même. Un gars qui démonte la logique d’un George Soros (un haut financier de New-York) sans prendre de gants pour une fois, ça me parle, j’attends la suite. Je clique, je clique. Très vite, je deviens un surfeur professionnel, un rider de l’extrême, et sans même m’en rendre compte, peu à peu, je glisse un peu trop, et j’atterris finalement dans le caniveau d’Internet. Mon wake up call ? Lorsque je me demande si le génocide des Juifs a vraiment eu lieu. Un choc. Comment tout ceci a-t-il pu m’arriver à moi, jeune homme issu de la classe moyenne, éduqué par des baby-boomers-à-tendance-hippies ? Aujourd’hui, je crois avoir mieux compris ce qui s’est passé. Tout est politique, tout est économique. Qui est le big boss ? Le système de production capitaliste. Attention, un marxiste ! Un quoi ? Petit récapitulatif.
Au début, ce que je n’arrivais pas à saisir, c’est que si l’on essaie de regarder the big picture, il y a principalement deux capitalismes. À chacun d’eux, si l’on simplifie, correspond des joueurs, que j’appellerai les Big Gamers (BG), et les Little Gamers (LG).
Les BG, ce sont les capitalistes transnationaux, des gars apatrides, qui n’en ont rien à foutre des États, c’est le nomade Attalien dont parle si bien Jean-Claude Michéa1. Ces gars voient le monde comme un grand terrain de jeu dont ils n’ont que trop bien compris les règles. Bon, c’est normal, car la plupart du temps, ils les ont eux-mêmes créées2. Ils investissent indifféremment en Europe, en Asie, en Amérique latine, en Afrique…partout où il y a des BIG PROFITS à se faire. Mais aussi, souvent:
– Ils fraudent le fisc de tous les États du monde, en mettant leurs énormes quantités d’argent dans des paradis fiscaux (Bermudes, Bahamas, Suisse?)3
– Pour passer le temps et éviter de payer des impôts, ils spéculent en achetant des œuvres d’art (contemporaines de préférence)4
– Ils montent des fondations (exemples : Rockefeller fondations, Ford fondations, Open Society fondation).
Quel est le but de ces fondations et des autres structures du même style? Payer moins d’impôts, déstabiliser les gouvernements du monde de manière détournée, faire ce qu’on appelle du soft power (exemple, l’Open Society de George Soros qui finance la Gay Pride d’Istanbul5) ; se faire encore plus de fric ; se racheter une conscience parfois (Warren Buffet qui donne presque toute sa fortune à Bill et Melinda Gates Fondation par exemple) ; passer le temps, car eux non plus ne savent pas trop ce qu’ils font sur cette terre. C’est d’ailleurs aussi grâce à eux (enfin, aux gentils scientifiques qu’ils financent) qu’on investit pour aller voir ce qu’il se passe dans l’espace et obtenir un début de réponse6.
Bon, si on creuse un peu (pas très loin), on retrouve souvent les mêmes gars au sommet : des hauts financiers genre Ken Griffith, des entrepreneurs géniaux du style Bill Gates, des magnats de l’acier du type Lakshmi Mittal… Ces gens partagent souvent la même vision du monde, normal ils le parcourent de long en large depuis longtemps, en jet privé ou en business class, vont manger dans les mêmes restos, fréquentent les mêmes clubs privés, achètent aussi sûrement les mêmes fringues, qu’ils sélectionnent durant les fashions weeks de Milan ou Paris… Bon à la fin, quand ils s’entendent vraiment bien, ils décident de faire du business ensemble, afin d’orienter le monde selon leur vision. Bref, avant, ils se retrouvaient dans des sociétés secrètes ou des loges maçonniques, mais de nos jours, on les retrouve plus simplement dans des think tanks, ou alors ils se rassemblent en lobby et partent faire pression sur les États qui se trouvent de plus en plus désemparés. L’exemple actuel le plus typique étant la tentative de création d’un marché transatlantique lancé par le Transatlantic Business Council (TBC), un lobby surpuissant composé de multinationales européennes et américaines (Deutsche Bank, Exxon, Siemens, Philippe Morris, KPMG)7.
Alors c’est normal que le peuple ne les aime pas trop, car ces personnes ont d’énormes moyens financiers en plus d’avoir d’énormes réseaux. De plus, ils accaparent les meilleurs avocats et les meilleurs étudiants des grandes écoles de business du genre Harvard. À ces surdoués du marketing viral ou des maths, ils font des ponts d’or. Les meilleurs ou les plus chanceux arriveront peut-être un jour au sommet, là ou le BG du domaine se trouve. Bref, même si la concurrence est féroce à leur niveau, eux sont sûrs d’avoir à boire et à manger pour les prochaines 300 millions d’années (à moins bien sûr que le scénario de l’effondrement l’emporte comme le prédit le chercheur américain Dennis Meadows8). Mais dans la pyramide de Maslow, ils cherchent à atteindre le dernier étage, soit la reconnaissance sociale ou plus simplement: le pouvoir.
Le problème, c’est que l’on constate que, depuis la crise de 2007, ceux qui se font un maximum de fric grâce à des formules mathématiques ou à des super calculateurs boursiers, ce sont les hauts financiers. Et là, d’un coup, ça devient indécent, et quand on apprend qu’un George Soros a gagné trois milliards de dollars en 2008, soit au moment où de plus en plus de personnes commencent à être plongées dans la misère, il faut s’indigner. Donc, on crée le mouvement des Indignados en Espagne ou sa version américaine Occupy Wall Street. Mais ces crises sont inhérentes au système capitaliste. Il n’y a pas de quoi être surpris, ce ne sont que les respirations normales du marché, comme le dirait certainement un prophète de l’ultralibéralisme tel que Milton Friedman.
C’est une banalité de dire qu’à travers l’histoire, à chaque crise correspond la montée de mouvements de protestations. Politiquement, cela se traduit dans l’histoire contemporaine par la montée de mouvements nationalistes et fascistes avec à la clé la désignation d’un bouc émissaire permettant de canaliser la haine du peuple. La montée en puissance dans les sondages d’opinion de toute l’Europe des partis de l’extrême droite illustre parfaitement cela. En France, c’est le Front national, en Grèce l’Aube Dorée, aux États-Unis le Tea Party. Le coupable idéal? L’autre, l’étranger, le musulman ou le juif par exemple. Bref, plus la crise est grave, plus le nombre de gens impactés est grand, plus la colère est grande, et donc le risque de voir des réactions extrêmes augmente avec. Tout ceci est logique, car avant la crise, la majeure partie des gens ne se posait pas trop de questions sur le fonctionnement du système économique et politique dans lequel ils vivent. Mais depuis qu’ils sont touchés (perte d’emploi, de logement, etc.), ils cherchent des réponses (légitimes) à leur désarroi. Mais ces nouveaux entrants (dont je fais partie) dans le domaine des idéologies politiques sont pour la plupart dépolitisés depuis des années (abrutissement par la télévision, les jeux vidéos et autres divertissements du genre) ou ne l’ont jamais été (moi), et sont donc des proies faciles pour les extrémistes de tous bords et autres embrouilleurs d’esprit que l’on trouve sur Internet. En gros, vous l’aurez compris, c’est là que les Little Gamers (LG) interviennent. Et c’est aussi là que je me suis fait piéger.
Les LG, j’ai plus de mal à les définir. D’une part parce qu’ils sont moins visibles médiatiquement, et d’autre part parce qu’ils constituent au final la majorité des joueurs du capitalisme. On a, dans cette catégorie, le petit patron qui emploie un employé jusqu’au patron qui en emploie dix mille ou plus, c’est difficile à déterminer. En fait, je dirais que ce qui différencie principalement le LG du BG, c’est la limite géographique dans laquelle il opère. Je dirais que les BG sont tous ceux qui voient le monde entier comme un terrain de jeu, et les LG, ce sont les autres, ceux qui jouent dans des bacs à sable de taille plus ou moins grande selon les armes qu’ils possèdent (soit les mêmes que les BG : capital, réseaux, compétences). Bon, d’après ce que je comprends, ces LG gardent quand même des valeurs, ou donnent encore l’impression d’en avoir, qu’ils puisent de leur héritage culturel propre. L’idéologie judéo-chrétienne en est bien souvent le socle dans nos contrées. La rengaine j’incarne la France éternelle d’un Alain Soral exprime bien cela9.
Actuellement, en France notamment, il y a un conflit entre les BG et les LG qui se cristallise politiquement avec la montée du cynisme d’un côté, et du fascisme de l’autre. Les BG sont de plus en plus déconnectés des réalités que vivent les gens des pays qu’ils survolent, mais ça fait longtemps déjà. Ils veulent gagner toujours plus, mais c’est normal car personne n’est assez puissant pour leur dire stop, qu’ils abusent (il n’y a pas encore de gouvernement mondial). Les LG eux, ont pour la plupart les mains dans le cambouis comme la majorité des gens de tous les pays et doivent travailler huit heures par jour ou plus pour gagner leur croûte. Comme les BG n’en ont rien à foutre du pays dans lequel ils investissent, et qu’ils sont seulement guidés par la réalisation de profits maximums, ils délocalisent leurs entreprises dès qu’ils le souhaitent et font donc monter la colère des habitants de ces pays dont les LG font partie. Ainsi, on assiste à une concentration toujours plus intense du capital ; le grand mangeant le petit. C’est le cas lorsqu’Apple rachète pour une forte somme d’argent une petite startup, pour ensuite lancer ses produits révolutionnaires sur le marché mondial.
Bref, tout ça pour dire que je comprends la démarche de ceux qui nous mettent en garde contre la montée du FN en France, qui n’est en fait que la montée du fascisme déguisé en nationalisme. Alain Soral et Cie font donc partie des LG de France et tentent de rallier à leur idéologie de petits bourgeois, des gens qui, pour la plupart, n’ont pas de conscience de classe (actuellement les lâchés du système, racaillons des cités, autres jeunes dépolitisés comme moi). En gros, il vend son rêve de petit bourgeois au prolétariat qui veut grimper dans l’échelle sociale, comme le gros patron vend son rêve de grand bourgeois aux jeunes cadres dynamiques fraîchement sortis des grandes écoles. Évidemment, quelques-uns vont y arriver, les plus voraces et les plus chanceux, on appelle ça le darwinisme économique je crois.
Quand je poste une vidéo d’Alain Soral sur Facebook, je fais la promotion, sans le savoir, d’une idéologie que je ne suis absolument pas sûr de soutenir. Et même si la plupart des choses qu’il évoque méritent d’être dénoncées – qui ne peut pas sincèrement être scandalisé par les bonus des traders de Wall Street à moins d’être complètement aliéné ? –, au final, je ne suis pas sûr qu’un Alain Soral, ou tout excité du même style qu’on trouve sur la toile, veuille vraiment le bien-être social pour tout le monde. Je suis même sûr du contraire. Et que penser de son camarade Dieudonné ? À mon avis, c’est l’humoriste le plus talentueux de France, un vrai fou du roi, mais il s’est aussi égaré. La violence qu’il a dû subir depuis son sketch malheureux chez Marc-Olivier Fogiel a vraiment dû le déstabiliser. Depuis, il s’est radicalisé10, et il est maintenant dépassé avec son mouvement de la Quenelle. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au monde qui m’entoure, je n’avais aucune conscience politique, et c’est Soral et consorts qui m’ont stimulé. Mais maintenant que je commence à y voir plus clair, je ne suis vraiment pas sûr de vouloir me rallier à ce qu’ils disent. La force du capitalisme réside dans sa capacité à se renouveler et à avaler ses opposants. Certaines personnes expliquent que nous sommes entrés dans sa quatrième phase où la compétition généralisée va être encore plus intense et où la logique marchande sera étendue au monde entier11. Le fascisme, soit le repli sur soi, est-il la seule solution face à ce qui se prépare ? Le capitalisme peut-il devenir soutenable comme le proposent ceux qui font l’apologie du développement durable ? Comme l’a écrit Edgar Morin, on marche comme des somnambules vers la catastrophe12, mais celle-ci est-elle inévitable ? Pour revenir à ce qui a stimulé ma démarche, soit de savoir si je suis devenu fasciste sans m’en rendre compte, je dois répondre par l’affirmative. À un moment donné, j’ai cru naïvement qu’une élite toute puissante aux traits culturels reconnaissables était la seule responsable de tous les maux de notre société occidentale. Mais je sais maintenant que je m’étais égaré et que d’autres mouvements de protestations plus légitimes commencent à émerger sur la toile et ailleurs, il suffit de continuer de chercher.
1. Sur le sujet, se référer à son ouvrage La double pensée: retour sur la question libérale
2. L’exemple qui me vient spontanément en tête ici est la création de la Banque Fédérale Américaine (FED) par des banquiers privés en 1910. Sur le sujet, se référer à l’ouvrage d’Eustace Mullins Les secrets de la réserve fédérale
3. Les exemples sur le sujet ne manquent pas. On peut citer dernièrement le scandale autour de Terra Nova, le think tank du Parti socialiste français http://www.charliehebdo.fr/news/terra-nova-paradis-fiscaux-1074.html ou encore celui des entreprises de la Silicone Valley: Apple, Google, Microsoft http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/08/02/paradis-fiscaux-le-tresor-des-geants-americains-des-technologies_1741871_3234.html
4. Sur le sujet voir le documentaire The Great Contemporary Art Bubble de Ben Lewis
5. http://en.wikipedia.org/wiki/Istanbul_Pride
6. je fais ici référence à un business angel comme Elon Musk (le fondateur de Paypal) qui a fondé en 2012 spaceX http://en.wikipedia.org/wiki/Istanbul_Pridehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Elon_Musk afin de faire de l’Homme une espèce « interplanétaire » http://spatiales.wordpress.com/2012/05/07/exploration-spatiale-le-secteur-prive-prend-la-main/
7. Voir les participants du lobby sur leur site officiel: http://transatlanticbusiness.org/
8. Laure Nouhalat, le scénario de l’effondrement l’emporte, www.liberation.fr, http://www.liberation.fr/terre/2012/06/15/le-scenario-de-l-effondrement-l-emporte_826664
9. Alain Soral, vidéo du mois, octobre 2013, Dailymotion
10. Sur l’antisémitisme de Dieudonné, lire l’article de Pierre Tevanian « Un négationnisme respectable » http://lmsi.net/Un-negationnisme-respectable
11. Wolfgang Schreck, « La crise de 2008 a commencé il y a quarante ans » http://www.monde-diplomatique.fr/2012/01/STREECK/47162
12. Edgar Morin, Nous avançons comme des somnambules vers la catastrophe, http://www.terraeco.net
Je suis désolé de te le dire mais tu sembles mélanger beaucoup trop de choses pour que je puisse répondre…